Pour extraire les hydrocarbures non-conventionnels (HNC) il est nécessaire d’injecter de l’eau, des produits chimiques et du sable à haute pression pour fracturer la roche et créer les conditions de perméabilité… Cette technique nommée aussi fracking n’est pas « un geste anodin », elle entraine des pollutions du sol et des nappes phréatiques, des émissions de gaz toxiques ; elle concourt à la transformation des territoires et aux déplacements de communautés.
C’est souvent au nom de la promesse de l’abondance, du fantasme de l’indépendance énergétique et, plus prosaïquement, en défense des intérêts privés et des rentes directes ou indirectes que l’exploitation est encouragée.
La passion du schiste est un ouvrage collectif qui « se centre sur une région du pays pour dévoiler le boom des hydrocarbures non conventionnels à Vaca Muerta. Ou sur la fièvre de l’extraction du gaz et du pétrole de schiste et des sables compacts dans le nord de la Patagonie ».
Sommaire
Partie 1 : Le contexte argentin
Partie 2 : Vaca Muerta : un cas d’école
Partie 3 : La progression du tight gas
Partie 4 : Des résistances dans le monde
Partie 5 : Un cadre légal et contraignant
Quelques éléments.
Nationalisations et privatisations d’entreprises du secteur des hydrocarbures ont remodelé le paysage énergétique, avec un renforcement de la dépendance à l’extractivisme pétrolier ou assimilé. Les impacts sont nombreux : non-respect des droits des communautés autochtones, répression des opposant-e-s aux différents projets, secret des contrats, utilisation discrétionnaire de produits chimiques, déplacements de population, impacts sur les activités agricoles, non consultation des instances publiques…
Si une loi, en 2012, est adoptée concernant la souveraineté des hydrocarbures, les « limites du nationalisme pétrolier » sont manifestes. La compagnie YPF contrôlée par l’état obtient des programmes d’incitation à l’extraction, les logiques de marché dominent. Le tout parachevé avec l’accord entre YPF et Chevron, dont le contenu reste éminemment secret…
Il n’y aurait pas d’alternative à l’extractivisme et aux gaz de schiste. Nous connaissons bien cette petite ritournelle. Les gouvernements, comme les dirigeants d’entreprise, chantent cela depuis bien longtemps. Mais un refrain, même asséné des millions de fois, ne saurait remplacer les débats démocratiques sur les orientations socio-économiques et supprimer l’expression des intérêts divergents des groupes sociaux. Il n’y a « ni fracture hydraulique nationale » ni intérêts convergents « nationaux » dans la défense des « intérêts particuliers ». Derrière les mots fracture ou « stimulation » de la roche, le déni ou la dépréciation d’« options dissidentes », les processus d’accaparement des concessions…
Dans la seconde partie du livre sont explorées « les manifestations sociales, politiques et économiques qui ont accompagné les deux premières années de développement de l’industrie des hydrocarbures non conventionnels dans la province de Neuquén ». Nouvelles formes de lutte, blocage de route, el piquete…
Le développement de l’extraction entraine aussi, l’augmentation de la rente, la corruption (je souligne les paragraphes sur les syndicats des ouvriers du pétrole), les investissements et les aménagements d’infrastructures et les centres commerciaux et les supermarchés, le développement de la prostitution (je ne partage pas la banalisation du rapport prostitutionnel, dans le silence du rôle des clients-prostitueurs, derrière le terme de « travail sexuel autonome »). Une sorte de boucle de développement très particulière qui aggrave les situations sociales, dégrade les choix d’occupation et d’utilisation des sols (dont le secteur fruitier menacé) et profite aux grandes entreprises. Une fuite en avant dans un futur niant la démocratie, la crise de nos relations à l’environnement (dont la pollution des nappes phréatiques et de la terre, le « traitement » des déchets), les droits des communautés autochtones et plus largement les choix de vie.
J’ai été notamment intéressé par les passages sur les communautés mapuche, les résistances, « Mari Chi Weu ! » (« Dix fois nous vaincrons ! », celles et ceux qui disent non, les municipalités libres de fracking, la judiciarisation et la criminalisation des luttes.
Dans le dernier chapitre, les auteurs reviennent sur des exemples de luttes à travers le monde, des expertises partagées, des mobilisations populaires, des alternatives pour une véritable transition énergétique.
L’ouvrage se termine par un texte du Cetim sur l’urgence d’encadrer les sociétés transnationales, de lutter contre leur impunité. (Sur ce sujet, en complément possible : Abolir les privilèges accordés aux entreprises, abolir-les-privileges-accordes-aux-entreprises/ ; Impunité des sociétés transnationales, la-defense-des-droits-humains-implique-de-lutter-contre-limpunite-des-stn/ ; 8 propositions pour le nouvel instrument international contraignant sur les sociétés transnationales (STN) et les droits humains, 8-propositions-pour-le-nouvel-instrument-international-contraignant-sur-les-societes-transnationales-stn-et-les-droits-humains/ ; Alejandro Teitelbaum et Melik Özden : Sociétés transnationales acteurs majeurs dans les violations des droits humains, limplication-directe-ou-indirecte-des-stn-dans-les-violations-des-droits-humains-nest-plus-a-demonter/ )
Ouvrage collectif : La passion du schiste.
Démocratie, capitalisme, environnement en Argentine
Préface d’Adolfo Pérez Esquivel (Prix Nobel de la Paix)
Avec les contributions d’OPSur, de Grégory Lassalle et de Vincent Espagne
PUBLICETIM n° 40
CETIM, Genève (Suisse) 2016, 184 pages.