5 mai 2023 | tirée de democracynow.org
https://www.democracynow.org/2023/5/5/dream_defenders_florida
AMY GOODMAN : Ici Democracy Now !, democracynow.org, The War and Peace Report.
Nous terminons l’émission d’aujourd’hui en nous penchant sur la liberté d’apprendre. Cette semaine, des manifestations ont eu lieu à travers les États-Unis contre les efforts de la droite pour interdire les livres et l’éducation antiracistes dans les écoles. En Floride, 14 militant-e-s des Dreams defenders ont été arrêtés pour avoir organisé un sit-in pacifique dans les bureaux du gouverneur républicain Ron DeSantis, possible candidat à l’élection présidentielle de 2024. Les manifestant-e-s ont également protesté contre la nouvelle législation interdisant l’avortement au-delà de six semaines, contre le refus imposé aux jeunes de bénéficier de soins tenant compte de leur sexe, contre le rejet du rétablissenent du contrôle des loyers, contre l’interdiction des discussions sur les questions LGBTQ dans les écoles et contre les attaques faites aux immigrés et les syndicats.
NAILAH SUMMERS-POLITE : Nous allons donc rester assis ici jusqu’à ce que Ron DeSantis daigne revenir à son bureau pour rencontrer les habitants de la Floride qui ont été directement touchés par ses absurdités, sa haine et ses mesquineries.
AMY GOODMAN : Il s’agit de Nailah Summers-Polite, codirectrice de Dream Defenders. Elle a été l’une des premières à être arrêtée lors de l’occupation du bureau du gouverneur DeSantis. Elle nous rejoint depuis Miami. Nous avons également avec nous le professeur Kimberlé Crenshaw, directrice exécutive de l’African American Policy Forum, professeure de droit à l’UCLA et à l’université de Columbia, qui nous rejoint depuis la Nouvelle-Orléans.
Nous vous souhaitons à toutes deux la bienvenue à Democracy Now ! Nailah, commençons par vous. Expliquez-nous pourquoi vous étiez dans le bureau de Ron DeSantis, le possible candidat à la présidence et gouverneur de Floride. Pourquoi avez-vous été arrêtée ?
NAILAH SUMMERS-POLITE : Eh bien, Ron DeSantis s’est déchaîné, avec l’Assemblée législative de Floride, en attaquant les droits de toutes les personnes en Floride qui ne lui ressemblent pas ou ne pensent pas comme lui. Il s’en est pris aux immigré-e-s, aux Noir-e-s, aux drag-queens, aux jeunes homosexuels et transgenres, aux locataires, aux enseignant-e-s, aux membres des syndicats. Je veux dire par là que ces attaques sont incessantes. Et c’est la dernière semaine de la session législative. Aujourd’hui, c’est le dernier jour de notre session législative. Et nous ne pouvions pas la laisser se terminer sans, vous savez, prendre des mesures courageuses pour nous faire entendre.
AMY GOODMAN : Parlez-nous des différents projets de loi qui ont été adoptés les uns après les autres et qui vous ont le plus préoccupée, qu’il s’agisse des droits reproductifs, de la législation anti-LGBTQ ou de la question de savoir ce que les enseignants peuvent enseigner à l’école.
NAILAH SUMMERS-POLITE : Oui. Je veux dire que DeSantis s’en prend aux classes populaires de Floride, aux personnes de couleur, depuis qu’il est entré en fonction. Il a fait monter la pression, la haine chaque année par l’interdiction de l’avortement, l’interdiction de l’avortement de six semaines, par le retrait des livres des salles de classe des enfants, par l’interdiction de la discussion de l ’usage du mot gay jusqu’à la 12e année. Ils ont cité la loi sur les esclaves fugitifs pour une version d’un projet de loi sur l’immigration qu’ils essayaient de faire passer cette année. Je veux dire que c’est de la haine pure et simple. Et toute la session, encore une fois, n’a été qu’une plateforme pour cela. Il attaque tous ces gens dans sa quête de la candidature à la présidence. Tout cela est donc préoccupant. Tout cela, vous le savez, met les gens en danger dans l’État de Floride. Alors, oui, il était temps de faire un peu, un peu plus, de poser de nombreux gestes.
AMY GOODMAN : Professeure Crenshaw, si vous pouvez mettre en contexte l’action de Floride, qui était l’une de plus d’une centaine d’actions à travers le pays, pourquoi avez-vous aidé à organiser cette manifestation nationale cette semaine ?
KIMBERLÉ CRENSHAW : Eh bien, Amy, comme nous l’avons entendu, Ron DeSantis et beaucoup d’autres dans leurcampagne anti-woke se sont attaqués à un certain nombre de groupes. Ils se sont attaqués à toute l’infrastructure qui a été développée au cours des 50 dernières années pour faire de l’égalité une aspiration réelle. Cela inclut les idées autour de l’égalité, l’idée même qu’il existe une chose appelée le racisme structurel, l’idée même que les formes intersectionnelles de discrimination façonnent encore l’avenir de beaucoup trop de personnes. Le moment était venu de tirer un trait sur la situation. Trop de gens avaient lu des articles sur ce sujet, mais ne savaient pas comment s’impliquer.
Je pense que lorsque le College Board a saisi l’occasion du meurtre de George Floyd pour proposer un cours sur les études afro-américaines, il a surfé sur la vague des demandes de cadres pour aider les gens à comprendre comment, 60 ans après l’adoption des lois sur les droits civiques, nous pouvions tous voir un homme se faire étouffer par la police dans la rue. Ils ont fait naître la possibilité d’une nouvelle orientation. Et en même temps, cela a mené au développement d’une cabale anti-woke, par DeSantis, à créer des lois contre l’utilisation de beaucoup de ces idées dans l’éducation publique. Ces forces se sont rejointes lorsque le College Board a décidé de supprimer du cours toutes les idées qui étaient demandées, après que Ron DeSantis ait déclaré que ces idées étaient inacceptables.
Je pense qu’un trop grand nombre d’Américain-e-s ont finalement décidé qu’il était inacceptable de laisser cette censure se poursuivre sans s’exprimer. C’est ainsi que le 3 mai a marqué le début de l’action. C’était la journée d’action, au cours de laquelle 150 activités ont eu lieu dans tout le pays, y compris deux manifestations devant le College Board. Ce n’est qu’un début. Sur le site FreedomToLearn.net, les gens peuvent comprendre pourquoi il était important de tracer la ligne, comment ils peuvent s’impliquer et pourquoi il s’agit d’une menace pour notre démocratie.
AMY GOODMAN : Je voudrais parler de l’article du Wall Street Journal qui a révélé, par le biais de courriels, que les changements apportés par le College Board à son programme d’études afro-américain n’ont pas tenu compte de l’avis des membres de son comité de développement. L’article cite Nishani Frazier, professeur à l’université du Kansas et membre du comité de développement des études afro-américaines, qui déclare : "Nous savons tous qu’il s’agit d’un mensonge flagrant. En fait, les changements majeurs qui ont eu lieu sont venus de mon unité - et pas une seule fois on n’a parlé avec moi de ces changements. Au lieu de cela, il a fait passer des révisions à toute vitesse, a prétendu que la transformation des cours se faisait comme d’habitude et a ajouté l’insulte à l’injure en essayant d’éclairer le public avec une fausse innocence". Professeur Crenshaw, expliquez l’importance de cet exposé et tout ce qu’il a révélé.
KIMBERLÉ CRENSHAW : Eh bien, Amy, cette lettre confirme ce que toute personne capable de lire savait déjà. Les matières qui ont été supprimées, notamment l’intersectionnalité, le féminisme noir, les études queer noires, l’idée de marginalisation systémique, ces idées sont exactement celles que DeSantis a déclarées sans valeur éducative, qui n’ont pas été acceptées par le terrain législatif anti-woke de la Floride. Ainsi, le fait que les éléments que DeSantis n’aimait pas ont été supprimés par le College Board qui a déclaré :"Nous l’avons fait en consultant nos experts. Et certaines des choses que nous avons retirées, nous les avons retirées parce que les idées avaient été tellement assaillies par la critique et les attaques qu’elles n’avaient plus de valeur éducative." On voyait bien qu’ils ne disaient pas la vérité. Mais il s’agissait là d’une preuve irréfutable. Quelqu’un de la commission disait : "Nous savons tous qu’ils n’ont pas dit la vérité", et nous étions en fait appelés à agir.
La vraie question est de savoir s’il y aura des comptes à rendre à ce sujet. Qu’est-ce qui a fait penser au College Board qu’il pouvait dire que DeSantis, en essayant de se conformer aux pressions anti-wokes, n’avait rien à voir avec cela, alors qu’il savait qu’il y avait des traces écrites qui allaient montrer le contraire ? Cela nous dit que le même manque de responsabilité face aux attaques contre les vies des Noir-e-s s’applique potentiellement aux attaques visant à faire taire nos voix et de nos réponses à cette histoire contre de nos vies. C’est pourquoi tant de gens étaient prêts à dire : "Pas sous notre surveillance. Cela suffit. Nous allons demander des comptes à DeSantis, et nous allons aussi demander des comptes à des institutions comme le College Board".
AMY GOODMAN : Et Kimberlé Crenshaw, bien sûr, nous devons dire que c’est votre travail sur l’intersectionnalité - vous avez vraiment inventé ce terme qui est devenu si puissant, reliant tant de mouvements différents - qui a été retiré du programme obligatoire du cours pour les Afro-Américains. Quelle a été votre réaction ?
KIMBERLÉ CRENSHAW : Eh bien, vous savez, nous devons nous poser la question suivante : comment se fait-il que les idées qui dérangent tant la cabale anti-woke sont des idées que les gens ont trouvées incroyablement utiles ? Partout dans le monde, les gens utilisent le concept de base de l’intersectionnalité pour donner un sens aux faits. Vous savez, beaucoup de gens disent : "C’est un concept. C’est un terme. Pourquoi en avons-nous besoin ?" Pourquoi avons-nous besoin de la grammaire ? Pourquoi avons-nous besoin de règles pour nous aider à comprendre comment donner un sens à des phénomènes aléatoires ? C’est ce que l’inégalité structurelle aide à comprendre. C’est ce que le féminisme noir aide à comprendre. En supprimant ces idées, on supprime notre capacité à analyser les situations dont nous avons hérité et, surtout, à élaborer, à comprendre et à organiser des stratégies de transformation. S’ils veulent nous les enlever, c’est parce qu’elles sont importantes. Tout comme ils veulent nous priver de nos votes parce que c’est important, ils veulent nous priver de nos voix parce que c’est important. Cela nous indique où nous devons mener le combat.
AMY GOODMAN : Je voudrais citer le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, qui a expliqué aux journalistes, en février, pourquoi il s’opposait au cours original d’études afro-américaines de l’AP. Nailah, j’aimerais avoir votre réponse.
GOV. RON DESANTIS : Ce cours sur l’histoire des Noirs, de quoi s’agit-il ? La théorie queer. Qui pourrait dire qu’une partie importante de l’histoire des Noirs est la théorie queer ? C’est quelqu’un qui impose un programme à nos enfants. Et donc, quand on voit qu’il y a des choses sur l’intersectionnalité, l’abolition des prisons, c’est un programme politique.
AMY GOODMAN : En avril dernier, le gouverneur de Floride Ron DeSantis a signé la loi House Bill 7, également connue sous le nom de Stop WOKE Act, qui, selon lui, s’attaquera à la théorie de la race critique sur le lieu de travail et dans les écoles.
GOV. RON DESANTIS : Nous pensons qu’une composante importante de la liberté dans l’État de Floride est la liberté de ne pas se voir opposer des idéologies oppressives sans consentement, que ce soit dans la salle de classe ou sur le lieu de travail, et nous avons décidé de faire quelque chose à ce sujet.
AMY GOODMAN : Nailah Summers-Polite, vous avez été arrêtée à cause de ses opinions cette semaine, parce que vous protestiez dans son bureau. Quelle a été votre réaction ?
NAILAH SUMMERS-POLITE : Je pense que cela devrait nous dire quel genre d’homme est Ron DeSantis. Il est ouvertement haineux. Il fait de son mieux pour nous diviser, pur nous isoler. C’est comme s’il n’avait jamais entendu parler de Bayard Rustin. C’est comme s’il n’avait jamais entendu parler de tant de pionniers queer Noirs, comme Marsha P. Johnson. Je veux dire qu’il pense qu’il est plus facile de nous éliminer si nous nous battons en rangs dispersés.
En réalité, dans son bureau mercredi, nous étions un groupe composé de toutes les catégories de personnes qu’il a attaquées. Nous étions des homosexuels. Nous étions des Noir-e-s. Nous étions des immigré-e-s. Nous étions des personnes qui ont besoin d’avortements. Nous étions des enseignant-e-s et des syndicalistes. Nous n’allons donc pas le laisser nous diviser ou nous laisser isoler. Ce que disait le Dr Crenshaw à propos de l’intersectionnalité. C’est exactement cela. Nous avons besoin d’un mouvement multiracial pour battre des gens comme Ron DeSantis, Greg Abbott, Sarah Huckabee Sanders et tous ces nouveaux confédérés anti-wokes.
C’est donc ce qu’il fait dans sa marche vers la Maison Blanche. Il vomit ce genre d’absurdités. Et vous savez, nous devons nous battre contre cela. Nous devons nous rassembler et résister à ce genre de rhétorique.
AMY GOODMAN : Et, Dr. Crenshaw, pensez-vous que les gens prennent au sérieux ce qui se passe à travers le pays - par exemple, la législature du Missouri qui a voté pour le financement des bibliothèques ; le comté de Llano, au Texas, qui, lorsqu’un juge a dit "Vous devez garder les livres sur les étagères", a dit "Nous allons juste fermer notre système de bibliothèque" ; combien de livres sont maintenant retirés des étagères à travers ce pays - pensez-vous que les forces progressistes, peut-être la majorité des gens dans ce pays, prennent cela suffisamment au sérieux ?
KIMBERLÉ CRENSHAW : Eh bien, Amy, je pense que c’est enfin le cas. Ce que nous savons, c’est que la majorité est vraiment de notre côté. Les Américain-e-s n’aiment pas la censure. Ils n’aiment pas l’idée qu’on leur dise cequ’ils ne peuvent pas lire. Et ils n’aiment surtout pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire, parce qu’ils luttent contre l’endoctrinement. Il y a de l’endoctrinement dans le fait de dire que ces idées sont si dangereuses, qu’elles divisent tellement la république, que les autocrates peuvent dicter si nous pouvons y adhérer.
Ecoutez, l’objectif de la liberté académique, l’objectif de l’éducation, est de présenter du matériel pour que les gens y achèrent, pour développer une pensée critique sur le monde dans lequel ils vivent. Pourtant, les DeSantis et la cabale anti-woke ont une orientation diamétralement opposée. Ecoutez, je ne m’inquiète pas du tout que les gens soient exposés à des idées qui critiquent l’intersectionnalité, la théorie critique de la race ou le racisme structurel. Je sais que ces idées sont suffisamment fortes et puissantes pour survivre au débat. Mais lorsque la réponse à des idées qu’ils n’aiment pas, y compris la démocratie elle-même, ils essaient de supprimer ces idées, eh bien, c’est là que nous avons un problème.
Je pense que de nombreux Américain-e-s s’en rendent compte aujourd’hui. C’était lent. Ils pensaient qu’il ne s’agissait que de la théorie critique de la race, sans comprendre que la théorie critique de la race était toute l’infrastructure qui permettait aux gens d’identifier l’inégalité raciale, le pouvoir racial comme un problème qui mine encore notre démocratie. Maintenant que le College Board a fait ce qu’il a fait, les gens voient que la lutte est contre la cabale anti-woke. Et le combat est également mené contre les institutions qui doivent joindre le geste à la parole. On ne peut pas être à la fois pour la liberté de l’éducation et contre la conscience de ce qui est. Les lignes sont tracées, et ils vont devoir choisir un camp.
AMY GOODMAN : Nous n’avons que 10 secondes. Mais, Dre Crenshaw, je vous ai vu mardi soir. Nous ne savions pas à l’époque ce qui se passait à l’arrêt de métro Broadway-Lafayette, mais Jordan Neely a été tué par un autre passager. Il était noir. Il était sans logis. Vous avez tweeté : "Être Noir et pauvre en Amérique ne devrait pas être un crime puni par la mort par des justiciers".
KIMBERLÉ CRENSHAW : Et c’est exactement la question, soit celle de l’absence de responsabilité pour les décès de Noirs qui subsiste jusqu’à aujourd’hui. Nous devons nous inquiéter non seulement du fait que des policiers nous enlèvent la vie, mais aussi du fait que des individus pensent qu’ils ont suffisamment de pouvoir pour imposer une discipline, pour imposer une punition mortelle parce qu’ils ont peur de quelqu’un qui a besoin d’aide plutôt que de mort.
AMY GOODMAN : Kimberlé Crenshaw, je tiens à vous remercier chaleureusement d’être avec nous, directrice exécutive de l’African American Policy Forum, professeure à l’UCLA et à l’université de Columbia. Au fait, je vous souhaite un très bon anniversaire !
KIMBERLÉ CRENSHAW : Merci !
AMY GOODMAN : Et merci beaucoup à Nailah Summers-Polite.
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