Bien sûr j’ai perdu le pouls de ce qui se passe exactement dans les institutions. Mais la dernière réforme annoncée m’a interpelée. Je n’ai pas lu le projet de loi, je n’en sais que ce que les médias rapportent et ce que des commentateurs.rices en disent, de même que le ministre. Donc je ne dirai rien sur la totalité du projet. Mais je veux signaler trois écueils qui sont toujours là, toutes ces années et réformes plus tard.
1- La concentration des pouvoirs
L’annonce de la création de Santé Québec, est dangereuse. Si pour le gouvernement il s’agit d’une décentralisation par rapport au ministère, pour le réseau dans son entier, c’est une surconcentration des pouvoirs. Le retour de gestionnaires dans les institutions ne fait pas le poids.
Quand j’ai visionné cette annonce, le ministre avait en tableau derrière lui, écrit à répétition, le mot « Efficacité « . Voilà qui ajoute à la crainte voire la méfiance envers ce projet. Souvent, le ministre Dubé et d’autres font la comparaison avec Hydro-Québec. Or, c’est une entreprise avec tous les pouvoirs d’établir des normes, des règles et surtout de transiger avec des entités extérieures, de passer des contrats, de vendre et d’acheter. Santé Québec pourra en faire autant si je comprends bien. Or, de tels pouvoirs liés à l’efficacité telle qu’on la comprend en affaire, cela nous mènera surement à des privatisations multiples. S’il est plus efficace c’est-à-dire rentable, de transmettre sous contrat des actes médicaux et autres à des organisations privées pourquoi ne pas le faire ?
Cela est déjà le cas d’ailleurs. Et on « vendra » la chose à la population sous le couvert de la carte d’assurance-maladie toujours valide (ou presque) dans ces opérations. Premièrement, en agissant ainsi, collectivement nous allons payer deux fois : pour l’acte et pour le profit que feront les cliniques, hôpitaux et autres compagnies sous contrat avec Santé Québec. Deuxièmement, ce qui restera du secteur public sera dépouillé de ses effectifs et probablement les plus qualifiés. En ce moment, et depuis longtemps, le ministère ne réussit pas à en finir avec « l’achat » de services infirmiers aux agences privées. (Je prends note de la loi qui vient d’être adoptée sur ce sujet. On verra ce qu’elle donnera). Ajoutez de la validation, de la facilité à ces opérations contractuelles, et vous détruisez le secteur public à terme. Votre imagination pour visualiser le jeu de dominos introduit, vaut la mienne. Nous risquons de nous retrouver devant des usines à soins qui n’ont rien à voir avec la santé globale telle qu’on l’entend et telle que la définit l’OMS.
Ramener les accréditations syndicales à quatre pour tout le secteur est aussi un geste de concentration des pouvoirs. Comment faire partie des débats obligatoires, se sentir partie aux décisions quand les lieux où elles se prennent sont si loin de vous ? Les moyens de communication se sont enrichis mais l’expérience des réunions par zoom durant la pandémie ont montré leurs limites. Dur, dur de créer des liens dans ces circonstances. La participation et l’implication se sont affaiblies ces dernières années, cette réforme n’aidera en rien, j’en ai bien peur. Peut-être est-ce l’objectif : avoir des syndicats faibles comme interlocuteurs.
2- La déstructuration de la règle d’ancienneté et l’attribution des postes selon la compétence
J’ai vécu et participé aux travaux post-réformes, notamment à ceux de 1997 quand les institutions ont été fermées, regroupées et que les syndicats locaux ont dû se régionaliser par secteurs d’activités. Les plaies laissées par la gestion de l’ancienneté dans ce cadre étaient toujours vivantes au moment où je suis partie à la retraite. La démobilisation était omni présente ; pas qu’envers la vie syndicale mais aussi envers les tâches et les institutions.
Pour ceux et celles qui ne s’y connaissent pas, il faut imaginer l’arrivée dans une équipe de travail d’une personne détenant 20 ou 25 ans d’ancienneté acquise dans un établissement autre et qui va la faire valoir dans toutes les circonstances où cela compte : le choix des quarts de travail, des congés, des vacances, l’accès aux postes etc. etc. alors que ses collègues déjà sur place en ont moins……..! Joli problème de gestion des humeurs. J’ai confiance que les syndicats pourront négocier des ajustements raisonnables mais on introduit un fabuleux coin dans le système. Bien sûr, l’argument de la mobilité provinciale est puissant mais les retombées peuvent empoisonner la vie du réseau bien longtemps. Il existe des COVIDs longs.
On me dit que l’attribution des postes sur la base de la compétence s’applique déjà notamment dans les CLSC. En plus de l’ancienneté la partie patronale fait valoir la notion de compétence pour l’attribution effective. Il y a toujours eu des pressions pour que ce soit la règle surtout pour les professionnels.les, mais pas que. En fait, à ma connaissance, cette fameuse compétence correspondait la plupart du temps à une préférence. Les gestionnaires voulaient telle personne et non telle autre près d’eux et d’elles dans leurs équipes. Pour que la notion de compétence prenne un sens concret, il faudra qu’elle soit appuyée sur des données probantes fortes et que les mécanismes d’application soient extrêmement stricts et vérifiables par toutes les parties et quelles s’appliquent à tous les cas. Autrement c’est l’arbitraire au pouvoir.
Je souligne, dans cette situation, le fait qu’il était notoire que rien n’était fait dans les institutions pour donner les formations continues en lien avec les compétences exigées ou à l’être. Et j’ai pu observer très souvent que les conditions d’embauche étaient traitées avec une légèreté déconcertantes.
3- Les conflits de loyauté
Quand on souligne avec force que les conditions de travail sont très, très mauvaises, dans le secteur public on parle de beaucoup de choses toutes aussi importantes les unes que les autres et le TSO n’en est pas la moindre. Mais il est peu question des conflits de loyauté présents à grande échelle et depuis extrêmement longtemps.
Tout le personnel, quelle que soit sa fonction, a une conception des standards qui doivent être appliqués. Les professionnels.les ont ceux de leurs professions les autres se réfèrent à ce qu’on leur a appris en entrant en poste. Or, les méthodes de gestions principalement issues du « New Public Management » mettent à mal ces pratiques. Des critères d’efficacité sont plus pesants que les standards normalement admis. Ainsi, les fins de quarts de travail sont de plus en plus durs à vivre. On quitte avec la conviction de n’avoir pas été honnête envers la population dont on s’occupe : pas assez de temps pour soigner correctement, réellement, pour écouter et comprendre les difficultés d’une personne, d’une famille, pour nettoyer correctement en respect avec les normes d’hygiène, etc. etc.
Ce sont des conflits émotifs et psychologiques qui rongent, empêchent d’agir à l’aise même dans sa vie privée ou familiale, qui font partie de la charge mentale et contribuent aux fameux burnouts autant que la charge matérielle de travail. Rien de ce que j’ai lu, entendu, à l’occasion de cette Nième réforme, ne traite de cela qui pourtant est en jeu dans les sorties du réseau.
Conclusion
Tout changement apporte son lot de désagréments et les nouvelles organisations mettent du temps à s’installer durablement. Dans le secteur de la santé et des services sociaux, les réformes se sont succédées à une telle vitesse que le temps d’adaptation à chacune n’a généralement pas été suffisant. Cette fois-ci ne fait pas exception.
Mais les changements sont d’autant plus acceptés et appliqués que leur sens et leurs objectifs, au ras des pâquerettes, sont tangibles et positifs dans l’ensemble. Est-ce que cela sera la cas cette fois ? À suivre. L’enjeu est d’autant plus grand qu’il ne s’agit pas de reconditionner des chaines de montage mais bien de créer les cadres où des HUMAINS.ES doivent donner des soins et des services à d’autres HUMAINS.ES. Il est impératif que la règle ait du sens et que ce sens puisse créer du lien : lien avec l’établissement, dans les équipes et avec les usagers et usagères des services. Ce sont des rapports humains dont il faut permettre le déploiement.
Mais, comme on le dit maintenant dans les études sur la main d’œuvre, « on sacrifie souvent les rapports humains à l’efficacité ». Les très grands ensembles créés par les réformes successives ont brisé bien des liens d’appartenance. L’organisation par territoires et populations a aussi été passée à la trappe. Le système s’est conçu comme une entreprise de distribution des soins et services et la population, mal connue, qui est devenue un simple groupe de consommateurs.trices. Si des méthodes de gestion et d’organisation des entreprises peuvent être appropriées dans le secteur de la santé et des services sociaux, il faut s’en approcher avec toute la méfiance possible et voir s’il ne s’agit pas de simple placage destructeur compte-tenu de ses spécificités.
Au moment de la révolution tranquille, de la nationalisation des services publics, l’idée d’être au service de la population était portante. Les conditions de travail étaient loin d’être mirobolantes et la syndicalisation s’est imposée après un certain temps. Mais la conviction de faire partie d’un projet de développement positif pour tous et toutes a permis de tenir le coup un bon moment. Cet esprit a disparu ; permettez que je m’en désole. Je n’ai pas l’impression que cette réforme le fera revenir.
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