Ernest Tate, europe-solidaire.org, 15 mars 2017
Traduction, Alexandra Cyr,
L’augmentation sensible du nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés-es à la frontière canadienne, est un sous-produit de l’atmosphère toxique qui règne aux États-Unis depuis les attaques contre les immigrants-es dans ce pays. Ces personnes se mettent souvent en danger avec leurs familles dans nos hivers si rigoureux. C’est aussi, et cela devrait être noté, une conséquence des interventions militaires de l’empire américain dans le monde arabe et africain. Ces régions sont très déstabilisées surtout depuis la chute de l’Union soviétique. Et, ici comme ailleurs, les forces réactionnaires tentent de profiter de la situation et de soulever les sentiments négatifs contre les immigrants-es et les réfugiés-es.
En ce moment, les Canadiens-nes observent la crise des réfugiées-es en direct à la télévision durant les émissions d’information. Les journalistes patrouillent à la frontière pour voir qui entre au pays, interrogent ceux et celles qui arrivent et même les conduisent en sécurité. Les images sont vraiment bouleversantes. Les demandeurs d’asile tentent de contourner l’entente entre le Canada et les États-Unis sur le « tiers pays sûr » qui a été signée en 2002. Son objectif premier était de venir à bout du flot de réfugiés-es qui fuyaient les régimes dictatoriaux d’Amérique latine, spécialement la Colombie. En 2001, 45,000 personnes avaient traversé la frontière canadienne. De manière sarcastique, cette entente à été rebaptisée « Aucun c’est encore trop ». C’est une allusion à la déclaration d’un représentant d’Immigration Canada, faite au cours de la deuxième guerre mondiale, alors que de nombreux juifs qui cherchaient asile dans leur fuite des pays fascistes européens, avaient été refoulés à la frontière. Un vigoureux mouvement de protestation s’était alors organisé par toutes les associations de défense des libertés civiles, les Églises, les groupes de soutien aux réfugiés-es, les associations de juristes, les syndicats et le N.P.D.
Toutefois, il existe une faille dans cette entente que plusieurs de ceux et celles qui veulent entrer chez-nous ont découvert. Parce que le Canada reconnait le statut de « tiers pays sûr » aux États-Unis, si ces personnes se présentent aux postes frontières officiels, c’est le renvoi dans ce pays qui les attend. C’est ce qui se passe habituellement. Mais, si leur chemin évite ces postes et leur permet de rentrer au Canada, généralement à pied, les conventions de Genève sur le refuge dont le Canada est signataire, s’appliquent à leur situation.
Ceux et celles que nous voyons à la télévision le soir ont pris avantage de cette faille. La Police Montée les arrête à leur arrivée. Personne n’est accusé de quoi que ce soit mais un interrogatoire leur est imposé et le Service frontalier les prend en charge, leur explique où se présenter pour faire leur demande de refuge. Ensuite ils et elles sont libres.
Le passage de la frontière se fait à pied, à travers champs, en marchant le long de chemins à l’écart des grandes routes, le long des voies ferrées pendant de longues heures, la nuit, pour aboutir à des points d’entrée dits « illégaux ». Cela se passe partout au pays mais surtout au Québec, en Ontario et au Manitoba. On peut les voir cherchant leur voie au Canada. Souvent ce sont des personnes seules, habituellement de jeunes hommes mais ce sont surtout des familles, pères et mères portant leurs bébés dans leurs bras avec de jeunes enfants à leurs côtés. Ils portent leurs bagages derrière eux, mal préparés qu’ils sont pour affronter la neige profonde et les températures souvent sous zéro.
Ce sont les conditions terribles qui inquiètent les fermiers ; que vont-ils trouver dans leurs champs le printemps venu. Récemment, deux jeunes ghanéens ont été découvert presque morts de froid tout près d’Emerson au Manitoba. Ce village est près du Minnesota côté américain de la frontière. On a dû les amputer d’une partie de leurs mains à cause du gel subit.
Nous somme habitués-es à voir ce genre de tragédie en Europe du sud et ailleurs dans le monde. Là, des centaines de milliers de migrants-es désespérés-es mettent leur vie à risque dans de frêles embarcations pour arriver dans un endroit sûr. Mais jamais n’avons-nous vu cela au Canada. Même si ça n’est pas à la même échelle, c’est maintenant notre version de cette crise migratoire.
À cause du climat d’intolérance et de xénophobie qui règne au sud de la frontière, à cause de la peur d’y être arrêté par les forces de sécurité et de devoir passer de nombreux mois en prison, des gens mettent leur vie en danger pour entrer au Canada. Plusieurs de ces personnes vivaient aux États-Unis. L’an dernier 7,022 d’entre elles sont ainsi arrivées chez nous soit une augmentation de 40% par rapport à l’année précédente. Avec le beau temps qui approche, les autorités en attendent beaucoup plus.
Mais ce qui est réconfortant et inspirant, c’est qu’au milieu de cette tristesse, beaucoup de résidents-es des petits villages à la frontière, patrouillent les chemins perdus, surtout la nuit, pour rechercher des migrants-es, leur offrir des repas chauds, souvent les recevoir pour la nuit et s’occuper de leur installation dans les refuges locaux.
Toronto a reçu environ 900 personnes. Les élus municipaux ont demandé l’aide des gouvernements provincial et fédéral. En plus, dans un geste de solidarité, de grandes villes canadiennes, Toronto, Hamilton, London et Vancouver se sont déclarées « villes refuges ». Ottawa et Edmonton songent à en faire autant. Ce n’est pas très significatif puisqu’elles n’ont pas les ressources pour traduire cet engagement dans la réalité. Mais cela permet aux réfugiés-es d’utiliser les services municipaux comme les refuges pour sans abris, les centres communautaires, les bibliothèques et les services policiers, sans avoir à prouver leur citoyenneté ou leur statut résidentiel.
La population canadienne est d’un peu plus de 35 millions. Le pays se montre plus généreux que son voisin du sud. Environ 300,000 immigrants-es vont entrer au pays cette année. Vraisemblablement, 30,000 de ce nombre feront une demande de d’asile. Peu après son élection en 2015, le Premier ministre Trudeau, s’est distingué de son prédécesseur Stephen Harper, l’homme de la droite dure, et de Donald Trump qui déteste les musulmans-es, en accueillant 40,000 réfugiés-es de Syrie dans le pays.
Au moment de l’annonce de l’interdiction du territoire américain aux musulmans-es par le Président Trump, dans un « tweet » plein de sous-entendus, M. Trudeau a déclaré : « Les Canadiens-nes vous invitent quelle que soit votre religion ». Bon sentiment, mais il faut comprendre qu’il y a ici, un peu d’hypocrisie. Comme le note Michael Barutciski dans le National Post : « Les politiques canadiennes d’émission de visa empêche beaucoup de ressortissants-es de pays désignés d’entrer au pays légalement. C’est une vérité dérangeante qui échappe à ceux et celles qui veulent entendre le message attendrissant ».
Néanmoins, l’entente sur le « tiers pays sûr » et son application ont soulevé des débats. D’abord à cause des dangers auxquels sont confrontés les demandeurs d’asile. Les organisations de défense des libertés civiles, les groupes de soutien aux immigrants-es, le mouvement ouvrier, et le NPD, font pression sur le gouvernement pour qu’il l’abroge. Ils invoquent que les États-Unis, surtout depuis l’élection du Président Trump, ne peuvent plus être considérés comme un pays sûr pour les demandeurs d’asile. Le chef du NPD, M. Mulcair, a qualifié D. Trump de fasciste.
Au Canada comme ailleurs dans le monde, l’opposition qui s’est développée contre les réfugiés-es depuis quelques années, est devenue un enjeu. Les forces réactionnaires se sont mobilisées pour profiter de l’islamophobie, de l’antisémitisme et du racisme ambiant. Elles ont jeté de l’huile sur le feu avec leur racisme criminel. Les journaux canadiens rapportent une augmentation sensible du nombre d’attaques contre les mosquées, les synagogues et dans les cimetières juifs. Le meurtre de six musulmans par un fanatique, dans la grande mosquée de Québec en janvier, en est un exemple. Cela se situe dans la foulée de propositions de lois interdisant le port du hidjab aux fonctionnaires et ailleurs dans les services publics dans cette province.
Les Conservateurs soutiennent l’entente sur le « tiers pays sûr » mais ils demandent au gouvernement que ceux et celles qui traversent la frontière illégalement, soient refoulés-es ou accusés-es de crime. Ils parlent de réfugiés-es qui « ne respectent pas leur rang dans la queue » et critiquent les Libéraux qui n’appliqueraient pas l’entente assez sévèrement. Mais il faut noter leur prudence dans l’approche. Ils n’ont toujours pas récupéré du résultat de l’élection de 2015 alors qu’ils ciblaient les groupes d’immigrants-es pour ne pas les avoir suffisamment soutenus dans les isoloirs, contribuant ainsi à leur défaite.
Mme Kelly Leitch, ministre dans le cabinet Harper, ne semble pas tirer cette leçon. Elle est candidate dans la course à la chefferie du Parti conservateur, et fait de son mieux pour imiter le Président Trump. Comme le Globe and Mail le rapporte, elle propose : « avec un soupçon de racisme qu’on ne peut pas ne pas voir, qu’un questionnaire soit administré à tous les candidats-es à l’entrée au pays, pour connaître leur degré d’adhésion aux valeurs canadiennes, sans spécifier ce qu’elles sont. Ce test déterminerait leur droit d’entrée ».
Il est peu probable, que les Libéraux abrogeront l’entente et ainsi offenser la nouvelle administration américaine. Déjà qu’elle questionne l’ALÉNA qu’elle veut affaiblir en imposant de lourdes taxes aux exportations canadiennes aux États-Unis. Ce commerce s’élève à presque deux milliards de dollars par jour. M. Trudeau ne fera sûrement rien qui puisse agacer le président américain. La semaine dernière, M. Ralph Goodale, le ministre fédéral de la sécurité publique, était à Washington. Il a eu des discussions avec les représentants-es autorisés-es de l’administration Trump. Il a répété catégoriquement, qu’il n’y aurait pas de changement à cette entente malgré l’étendue de l’opposition qu’elle suscite. Donc, pour le moment elle reste telle quelle et nous allons continuer à voir à la télévision des demandeurs d’asile qui mettent leur vie en danger pour traverser la frontière.