Édition du 17 décembre 2024

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Les Premières nations contre Coastal GasLink

Lettre au premier ministre sur le respect des droits des peuples autochtones au Canada

Monsieur le Premier ministre, vous tenez une occasion sans précédent de rompre avec des décennies d’échec concernant la relation avec les peuples autochtones au Canada. Pour ce faire, il faut faire passer les droits avant tout, embrasser toute la complexité de la réconciliation et faire comprendre à toutes les Canadiennes et à tous les Canadiens que même si le chemin à parcourir ne sera pas toujours facile, c’est la seule voie vers un avenir juste et durable pour notre pays.

Le très honorable Justin Trudeau

Premier ministre du Canada

80, rue Wellington

Ottawa (Ontario) K1A 0A2

24 février 2020

Monsieur le Premier ministre,

Les dernières semaines ont mis en évidence l’état profondément décevant de la réconciliation et du respect des droits des peuples autochtones au Canada, avec un degré d’urgence rarement atteint. Dans tout le pays, les manifestations de résistance et de solidarité des peuples autochtones et des communautés non autochtones ont été déclenchées par la profonde inquiétude suscitée par la construction du gazoduc Coastal GasLink sur le territoire Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique. Tout cela a donné lieu à un débat national sur les droits, la réconciliation, l’économie et l’environnement, à la fois troublant et encourageant.

Nous vous écrivons pour demander instamment à votre gouvernement de faire preuve du leadership dont nous avons grandement besoin en ce moment critique et potentiellement décisif. Ce leadership implique de travailler en étroite collaboration avec les dirigeantes et dirigeants et les organisations des peuples autochtones, ainsi qu’avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, afin d’apporter les changements fondamentaux nécessaires pour que la réconciliation soit réelle et que les droits des peuples autochtones au Canada soient pleinement respectés.

Il est inacceptable et intenable de s’appuyer principalement sur une stratégie consistant à répondre au cas par cas au nombre croissant de barricades, d’injonctions et d’application de la loi. Au contraire, il est urgent de prendre des mesures globales et concrètes, allant au-delà des paroles et des nobles promesses généralement offertes, afin de renforcer la confiance dans le fait que le chemin vers la réconciliation est réellement en cours.

Amnistie internationale s’est rendue à Tyendinaga le lundi 25 février à la suite de l’intervention musclée de la police provinciale de l’Ontario ayant mené à l’arrestation de dix manifestant.es. Tous les membres de la communauté avec lesquels nous avons parlé ont exprimé un sentiment de trahison et de confiance brisée, d’autant plus que le ministre Marc Miller avait laissé entendre le 15 février lors de sa rencontre avec les dirigeants de Tyendinaga, ainsi que dans sa lettre du 16 février, qu’il se réjouissait de l’invitation qui lui était faite « de reprendre le dialogue dans un avenir proche afin de poursuivre notre dialogue ouvert et respectueux ». Ce qui s’est passé lundi le 24 février va à l’encontre de cette promesse.

Nous devrions avoir honte, en tant que pays, de nous trouver dans une telle situation. Des mesures auraient dû être prises il y a déjà longtemps pour :

● Garantir le respect des droits des Autochtones au Canada.

● Mettre en place un processus équitable, accessible, non conflictuel et rapide de résolution des enjeux de revendications territoriale.

● Adopter des réformes juridiques garantissant que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones fasse partie de notre tissu national.

● Adopter la protection essentielle des droits humains que constitue le consentement libre, préalable et éclairé par tous les paliers de gouvernement au Canada comme norme minimale d’une relation de nation à nation fondée sur le respect et la justice, plutôt que d’être perçu et décrit comme un droit de veto qui entraverait la prospérité du Canada.

Nous avons apprécié la retenue dont votre gouvernement a fait preuve dans un premier temps, vis-à-vis des barrages et des manifestations, soulignant l’importance de poursuivre le dialogue et de ne pas avoir recours précipitamment à l’utilisation de la force policière. Cela revêt une importance fondamentale, considérant le contexte historique pluricentenaire de violations incessantes des droits humains des peuples autochtones, lequel est à l’origine des réalités et préoccupations actuelles.

De nombreux politicien.nes et commentateurs.trices ont insisté de manière irréfléchie et souvent agressive sur le fait que les peuples autochtones doivent faire preuve de patience. Il est temps de reconnaître que c’est le contraire qui doit se produire. Les peuples autochtones n’ont fait preuve que de patience, depuis bien trop longtemps, face à des lois racistes, des politiques injustes et une violence indiciblement cruelle, leurs droits étant violés, rejetés et ignorés. Il est temps que tous les paliers de gouvernement du Canada, les entreprises et les Canadiennes et Canadiens fassent preuve à leur tour de patience.

Comme beaucoup l’ont fait remarquer, l’appel à la patience est particulièrement inapproprié en ce qui concerne le peuple wet’suwet’en, qui a attendu pendant 23 ans que ses droits territoriaux soient reconnus en 1997 à la suite de l’arrêt Delgamuukw de la Cour suprême du Canada. Quant aux Mohawks de Tyendinaga, cela aura pris plus de 170 ans pour que leurs terres spoliées de Culbertson Tract leur soient restituées.

Si votre gouvernement a d’abord fait preuve d’une remarquable retenue, vous avez cependant fini par acquiescer à la coercition, qui est maintenant menée par les forces de police nationales, provinciales et municipales dans tout le pays. Cela ne résoudra pas les profondes préoccupations qui sous-tendent ces luttes et protestations en faveur des droits. Pour de nombreuses communautés, l’intervention actuelle des forces de police ne fait qu’ajouter aux décennies de traumatisme associées aux actions policières et judiciaires violentes et répressives qui ont été au cœur des chapitres les plus honteux et les plus bouleversants de l’histoire canadienne.

Nous vous avons déjà écrit pour vous demander que le Canada se conforme instamment, au minimum, à la décision du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale en ce qui concerne le gazoduc Coastal GasLink, l’extension du gazoduc TransMountain et le barrage du site C. L’importance pour les gouvernements au Canada de respecter les obligations internationales du pays en matière de droits humains dans ces trois situations (et dans bien d’autres) a été fréquemment réitérée par les peuples autochtones au Canada, mais votre gouvernement n’a pas manifesté l’intention de le faire.

Nous vous invitons donc à prendre les mesures suivantes :

● Veiller à ce que les défenseur.es de la terre ne soient pas criminalisé.es et veiller à ce que les personnes qui ont été arrêtées pour avoir défendu la terre et qui n’ont pas commis d’actes de violence criminelle soient libérées sans condition.

● Répondre immédiatement à la décision de décembre 2019 du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, notamment en suspendant la construction du gazoduc Coastal GasLink en l’absence du consentement libre, préalable et éclairé du peuple wet’suwet’en et en retirant la GRC de son territoire traditionnel.

● Agir immédiatement sur les réformes juridiques promises depuis longtemps, notamment l’élaboration d’un cadre législatif pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

● Engager directement et personnellement des discussions avec les chefs autochtones, élus et héréditaires, afin de démontrer que vous reconnaissez qu’il ne s’agit pas simplement de barricades et d’application de la loi, mais de l’essence même d’une relation de nation à nation respectueuse des droits.

Monsieur le Premier ministre, vous tenez une occasion sans précédent de rompre avec des décennies d’échec concernant la relation avec les peuples autochtones au Canada. Pour ce faire, il faut faire passer les droits avant tout, embrasser toute la complexité de la réconciliation et faire comprendre à toutes les Canadiennes et à tous les Canadiens que même si le chemin à parcourir ne sera pas toujours facile, c’est la seule voie vers un avenir juste et durable pour notre pays.

Nous sommes à votre disposition pour vous rencontrer à votre convenance afin de discuter plus avant de ces préoccupations et recommandations.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de nos sentiments distingués,

France-Isabelle Langlois,

Directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone

Alex Neve

Secrétaire général Amnesty International Canada (section anglophone)

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