Tiré de The conversation. Légende de la photo : Buffy Sainte-Marie au Festival international du film de Toronto en 2022. Une enquête de la CBC a permis de retrouver l’acte de naissance de la célèbre musicienne, d’autres documents et des détails fournis par des membres de sa famille qui indiquent qu’elle n’est pas d’origine autochtone. La Presse canadienne/Alex Lupul
Tout d’abord, permettez-moi de me situer. Cela vous aidera à comprendre pourquoi ce texte n’est sans doute pas ce que vous vous attendiez à lire — comme la plupart des Autochtones, j’ai encore besoin de temps pour digérer la nouvelle concernant Buffy —, mais les non-Autochtones doivent connaître les répercussions de cette histoire.
Je suis une Iskwew bispirituelle. Je suis la petite-fille d’une survivante des pensionnats autochtones et j’ai moi-même vécu la rafle des années 60. J’ai toujours su que j’étais autochtone, mais je n’ai pas toujours su d’où je venais ni qui me reconnaissait.
Il y a une trentaine d’années, j’ai commencé à chercher qui j’étais. En 25 ans, j’ai réussi à retrouver ma mère biologique, des membres de ma famille proche et élargie, ainsi que mes six frères et sœurs encore en vie, dispersés dans plusieurs provinces.
Recherche de mes identités
Je suis une Crie-Métisse. Selon les systèmes coloniaux de citoyenneté, j’ai l’ascendance nécessaire pour être membre de la nation métisse de la Saskatchewan.
Grâce à un amendement de 1985 à la Loi sur les Indiens, le projet de loi C-31, ma grand-mère — qui avait perdu son statut d’Indienne parce qu’elle avait épousé un Autochtone non inscrit — a pu recouvrer son statut en vertu de l’article 6 (1) de la Loi. Ainsi, ma mère biologique et ses sept enfants, moi y compris, peuvent s’inscrire en vertu de l’article 6 (2) de la loi.
La loi ne permet pas de détenir à la fois le statut de Métis et celui d’Indien. Nous devons donc faire un choix. Je suis inscrite au registre des Indiens et membre de la Première Nation crie de Montreal Lake, la nation de ma grand-mère.
Mon histoire n’est qu’une parmi des centaines de milliers d’histoires d’Autochtones de partout au Canada. Comme leur récit, le mien est complexe et déroutant. Il peut être déclencheur et traumatisant. Il est porteur de joie et de douleur.
Permettez-moi maintenant de vous dire ce que la réconciliation n’est pas. Elle ne consiste pas à faire du sensationnalisme ni à se montrer insensible à l’égard du vécu des Autochtones du Canada. Si en découvrant certaines vérités, vous souhaitez les faire connaître et que cela cause du tort aux peuples autochtones, vous devez vous demander si vous cherchez à être un véritable allié ou si vous prétendez l’être pour faire avancer vos objectifs personnels.
Jeter le doute sur une idole
Le 27 octobre, CBC News a publié un long article d’enquête sous le titre sensationnaliste « Who is the real Buffy Sainte-Marie ? » (Qui est la vraie Buffy Sainte-Marie ?) L’article s’appuyait sur un documentaire intitulé « Making an Icon », réalisé pour l’émission Fifth Estate, qui mettait en doute l’ascendance autochtone revendiquée par Buffy Sainte-Marie.
Très peu d’Autochtones ont connu une célébrité de l’ampleur de celle de Buffy Sainte-Marie. De ce fait, elle a été une source d’inspiration pour des générations d’Autochtones.
Sa renommée et son succès ont permis à beaucoup d’entre nous de croire que nos objectifs et nos aspirations étaient réalisables à une époque où des Autochtones comme nous étaient très peu en vue. Au cours de la carrière de la chanteuse, de nombreux peuples, communautés et familles autochtones ont noué des relations avec elle — en particulier les membres de la Première Nation de Piapot, en Saskatchewan.
Pas d’avertissement et manque de sensibilité
Soudain, la nouvelle est sortie, et tout ce que nous croyions à son sujet a été remis en question. Il n’y a eu aucun avertissement et on n’a pas tenu compte de l’impact que cela aurait sur les peuples autochtones. Ce n’est pas ainsi que l’on procède à la réconciliation.
Il est question du rôle des médias dans les appels à l’action pour la vérité et la réconciliation. L’appel à l’action 84 (iii) demande directement à Radio-Canada/CBC — le radiodiffuseur public national du Canada — de soutenir la réconciliation en veillant à ce que sa couverture prenne en considération « l’histoire et les séquelles des pensionnats ainsi que le processus de réconciliation ».
Depuis que cette histoire a éclaté, j’ai vu passer sur mes réseaux sociaux des manifestations de douleur, de traumatisme, de souffrance ainsi que des sentiments de trahison et d’incrédulité.
Je demande à CBC : Comment soutenez-vous les peuples autochtones lorsque leurs familles et leurs communautés sont confrontées aux répercussions de votre histoire ? En quoi cela s’inscrit-il dans la réconciliation ?
L’appel à l’action 86 de la Commission de vérité et réconciliation demande à ce qu’on inclue le droit autochtone dans les programmes de journalisme canadiens. Le fait que le reportage de la CBC ne reconnaisse pas l’importance et la signification des pratiques traditionnelles d’adoption des Premières Nations est honteux, et l’impact de cette omission est déshonorant.
Une partie importante du reportage de la CBC met en doute l’explication donnée par la chanteuse sur ses racines autochtones, à savoir qu’elle est née d’une mère de la Première Nation crie de Piapot, en Saskatchewan, mais qu’elle a ensuite été adoptée par un couple d’Américains.
Adoption et reconnaissance
Des années plus tard, elle a rencontré Emile Piapot et Clara Starblanket de la Première Nation de Piapot, qui l’ont adoptée selon les pratiques autochtones traditionnelles. On ignore si le couple, aujourd’hui décédé, connaissait les véritables origines de Buffy, mais cela n’enlève rien au fait que Buffy a été reconnue par eux, leur famille et de nombreuses personnes au sein de la communauté.
Ira Lavallee, chef par intérim de la Première Nation de Piapot, a déclaré à la CBC : « En ce qui concerne Buffy, nous ne pouvons choisir les aspects de notre culture auxquels nous adhérons… Une famille de notre communauté l’a adoptée. Peu importe les origines de Buffy, cette adoption est légitime dans notre culture. »
La CBC n’a pas tenu compte des répercussions que son histoire aurait sur la famille adoptive de Buffy. Buffy demeure la fille et la sœur de quelqu’un. Elle est une cousine et, pour beaucoup de personnes, une tante adorée – un rôle matriarcal important pour les peuples autochtones.
Où est la responsabilité de la CBC d’assurer la santé, le bien-être et le soutien des membres de la communauté pendant qu’ils doivent affronter le traumatisme lié à ce reportage ?
La réconciliation ne consiste pas à exploiter un traumatisme déclenché chez des Autochtones. Mais la réconciliation peut reposer sur la manière dont on réagit lorsqu’un préjudice a été causé. Les non-Autochtones devraient laisser aux dirigeants autochtones et aux membres de la communauté le temps de digérer la nouvelle, de se soutenir mutuellement et de se rassembler, plutôt que de les forcer à réagir au beau milieu de la tourmente.
Le reportage de la CBC a eu un effet dévastateur et aura un impact à long terme, et ce, de multiples façons, ici en Saskatchewan et sur toutes les terres autochtones.
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