Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Les turbans de la haine

Ottawa au complet se meurt de rire en ce moment devant la nouvelle humiliation du Québec. L’« affaire » des turbans est une autre occasion pour pratiquer le sport national dans la capitale fédérale, le Québec bashing. Et pour une fois, c’est la grande unanimité. Harper et son clan sont émus tout comme Justin Trudeau. Le message est dit de diverses façons, mais ça revient à cela : « le Québec est raciste et intolérant. Et un peu plus, les Québécois vont forcer les immigrants à porter une étoile jaune. Une chance qu’il y a le gouvernement fédéral pour défendre la démocratie … »

Je vous jure que je n’exagère pas.

Il y a au moins quelques députés québécois du NPD et du Bloc qui essaient de résister à cela. Comme une voix dans le désert.

Venant des politiciens conservateurs et libéraux dont le mandat est de rabattre le Québec au rang d’une ethnie folklorique, on ne devrait pas s’étonner. Mais le pire, c’est que ce racisme déguisé en antiracisme va chercher loin. Les médias, aussi bien les « sérieux » (CBC, Globe and Mail) que les « poubelles » (le réseau CTV et les journaux de Quebecor-Sun) en mettent à pleines pelletées. L’histoire des emmerdements du restaurant qui avait écrit « pasta » (au lieu de pâtes) dans son menu tient en haleine ces braves gens qui pensent que les rues de Montréal sont quadrillées par des « policiers linguistiques ». Le gouvernement québécois qui veut élargir la loi 101 aux entreprises et au gouvernement fédéral, est mené par des « chemises brunes ». À chaque heure du jour, on voit à la télé de pauvres immigrants avec ou sans turbans dire qu’ils ont peur de rester dans ce Québec de fanatiques.

Et beaucoup de gens croient cela en oubliant que Toronto, Winnipeg, Vancouver et tant d’autres villes canadiennes ont de sérieux problèmes de racisme et de discrimination. Mais de cela, on ne parle très peu.

Même à l’université, lieu du « haut savoir » et de l’intellect, il n’est pas rare d’entendre d’éminents professeurs faire du Quebec bashing en faisant semblant que cela ne l’est pas. Par exemple dans une conversation plus ou moins banale sur la Commission Charbonneau, un de ces grands intellectuels me dit à propos de la corruption, « mais c’est au Québec, donc c’est normal ». Un autre prof, souvent dans les médias, prétend que l’histoire du Québec est essentiellement formée autour de l’antisémitisme (il « oublie » de dire que les Patriotes avaient en 1837 proclamé l’égalité des Juifs et des autochtones, contre le pouvoir colonial (et raciste) britannique). Par chance dit-il, le Québec a été sauvé de la tyrannie par le généreux État fédéral.

Même parmi les éléments progressistes du ROC, cette québécophobie rebondit parfois via une certaine ultra gauche qui dit que les Québécois aiment tuer des mohawks et coloniser les Haïtiens. Des gens de gauche pensent qu’on peut appuyer les luttes d’émancipation des autochtones, des Kurdes, des Palestiniens et des Irlandais, mais jamais celle du Québec.

Malheureusement, tant cette culture populaire que la culture des élites à connotation anti-québécoise sont solidement ancrées. Le préjugé est non seulement contre l’indépendance (une idée qu’on ne peut même pas discuter), mais contre l’idée qu’une autre nation existe sur le territoire qui s’appelle le Canada. Tout le monde ne pense pas cela, mais pour la majorité, il est intolérable de dire qu’au Canada, il y a des peuples et non un peuple.

Maintenant que je me suis défoulé, il faut regarder de l’autre côté du miroir, de notre côté. Cette stupide histoire des turbans s’ajoute à d’autres « incidents » fomentés, pensés et exécutés par certains de nos esprits pervers, et non par nos chers amis canadiens.

Franchement, qu’est-ce que cette insulte contre de jeunes sikhs qui veulent jouer au foot avec leur turban, sinon une autre stupide intolérance ? Avant les turbans, -ce ne sont pas les Canadiens qui l’inventent- il y a eu le « drame » du hijab des jeunes filles à l’école. Avant cela, c’était les Juifs hassidiques qui célèbrent leur religion à Outremont. Avant cela, ce sont les enfants de la communauté chinoise de Brassard qui osent aller à l’école chinoise le samedi matin. Vous ne me croyez pas ? Lisez le Journal de Montréal, ça va vous ramener les deux pieds sur terre.

Des commentateurs patentés s’étouffent de colère devant ces « barbares » qui nous envahissent. Cela se déclame sur le ton de la haine, tels les Dumont et Duhaime. Ou encore, sous la forme polie de bien-pensants qui invoquent, pour justifier leur racisme, la laïcité, voir les droits des femmes. Pendant qu’on feint d’ignorer l’exploitation crasse des immigrants et des immigrantes dans les sweatshops et les champs de fraises, Denise Bombardier s’insurge contre les femmes voilées. La CAQ réclame la « fermeté » contre ceux qui menacent nos « valeurs » alors qu’on sait que tellement d’immigrants-diplômés sont interdits de séjour dans plusieurs professions. Le PLQ surfe hypocritement sur les droits des immigrants en leur disant que s’ils ne votent pas pour lui, les « méchants séparatissses » vont gagner. Reste le PQ, avec un discours ambigu, à double-sens, sur une « identité » crispée, vaguement ethnique, un « nous » qui est compris comme « pas eux »… Le nationalisme de droite se porte bien.

Ça fait dur vraiment. Et ça permet à la démagogie anti-québécoise de prospérer.

En fin de compte et c’est à notre honneur, c’est une petite minorité de la population, malgré la sale job de certains média, qui pense en ces termes. De manière générale, sans nécessairement aller jusqu’au bout du débat, Bouchard et Taylor avaient exprimé un large consensus autour des « accommodements raisonnables ».

L’ethnisme et le nationalisme de droite ridiculisent et humilient la juste lutte d’émancipation du Québec. La réponse nécessaire et digne est claire : notre Québec est pour tout le monde, un Québec où il faut lutter pour les valeurs de la démocratie, de l’égalité et de la justice sociale, d’ailleurs partagées par la grande majorité du peuple, « pur-laine » ou immigrant, et contre une élite sans scrupule qui joue sur le registre bien connu du tout-le-monde-contre-tout-le-monde.

Oui c’est vrai, une poignée d’intégristes, chrétiens et musulmans, déguise leur projet politique en une « défense de la religion », contre les droits, contre la liberté, contre les femmes. Il faut démasquer ces imposteurs et combattre, avec l’immense masse de ceux et celles qui prient Jésus ou Allah.

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