Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Les travailleurs étasuniens montent à l'assaut de Walmart

C’est un moment historique dans l’histoire du mouvement syndical étasunien : pour la première fois, vendredi dernier, les employés du mastodonte de la distribution, Walmart, ont organisé des grèves et des manifestations pour leurs revendications dans une centaine de villes. Une énorme claque, qui en annonce d’autres, au premier employeur privé du pays, la multinationale championne de la répression antisyndicale.

27 novembre 2012 - Mediapart.fr

L’association des employés protestataires, Our Wal-Mart (Organization United for Respect at Walmart), soutenue par le syndicat des salariés de la distribution, l’UFCW (United Food and Commercial Workers) a bien choisi son jour pour agir : le Black Friday (Vendredi Noir), le lendemain du Thanksgiving, est traditionnellement le jour des soldes monstres dans tous les magasins étasuniens. 147 millions de personnes étaient attendues à ce grand rendez-vous annuel de la consommation.

Le Black Friday lance la saison des achats de Noël aux États-Unis et, pour mieux attirer les clients, les magasins ouvrent à minuit ou la veille en début de soirée, au grand dam des salariés qui se voient ainsi privés de la fête familiale de Thanksgiving.

Manifestants de Walmart, à Washington DC, le 23 novembre (John Gress / Reuters)

Près de Washington, un manifestant, Dan Hindman, interrogé sur CBS News, affirmait que « Walmart doit savoir que leur façon de nous traiter n’est pas juste ». Les revendications de l’association des employés protestataires de Walmart concernent au premier chef les salaires, avec l’établissement d’un salaire minimum de 13 dollars de l’heure (un employé de base chez Walmart gagne en moyenne 8,81 dollars par heure), une meilleure maîtrise par les travailleurs de leur temps de travail aujourd’hui soumis à l’arbitraire des directions des magasins (Wal-Mart considère que 28 heures par semaine constituent un poste à temps plein), une bonne assurance santé (les deux tiers des employés de Walmart ne peuvent souscrire le régime d’assurance-maladie de l’entreprise en raison du montant trop élevé des cotisations et des franchises) et... « le respect » alors que Walmart « tente de nous bâillonner ».

Prémisses du mouvement social du 23 novembre, des grèves ont éclaté le 9 octobre dans plusieurs villes de Californie, à Dallas, à Miami, à Sacramento, dans la région de Washington DC. « Nous ne pouvons permettre que continuent les agissements de Walmart qui tente de réduire ses employés au silence et de les soumettre à des mesures de représailles », déclarait Stacey Cottongame, une gréviste au magasin d’Ennis, dans l’État du Texas.

Affiche d’Occupy en soutien aux travailleurs de Walmart.

Les employés des entrepôts de Walmart à l’extérieur de Chicago ont récemment remporté une victoire qui marque la fin de mesures de représailles illégales à la suite d’une grève de 21 jours. Des employés d’entrepôts, dans le sud de la Californie, ont fait une grève de 15 jours, avec une marche d’une durée de six jours sur une distance de 80 km, pour obtenir la sécurisation de leurs emplois.

UN MOUVEMENT POPULAIRE

Les medias étasuniens ont donné un large écho aux grèves, actions et manifestations du 23 novembre. Le mouvement social de Walmart est significatif d’une profonde évolution des mentalités parmi les travailleurs pauvres qui les pousse à agir collectivement, à prendre des risques. Le choix du Black Friday pour une action de grande ampleur capable de perturber la frénésie consommatrice est significatif du sentiment qu’ont les travailleurs de Walmart, et d’autres aussi aux États-unis, de bénéficier de l’empathie de la population et même du soutien d’une large partie de celle-ci.

Les Indignés Occupy sont passés par là et nul doute que leurs idées, leur courage et leur sens de l’action directe ont cheminé dans beaucoup d’esprits, dans un pays où la pauvreté ne cesse d’empirer. Et ce n’est pas tous les jours aux États-Unis que des milliers de travailleurs se coordonnent sur des revendications communes et partent ensemble à l’assaut d’un colosse du capitalisme ultralibéral !

Très logiquement, les travailleurs de Walmart ont bénéficié du soutien actif des Indignés d’Occupy dans de nombreuses villes : informations sur le mouvement par Internet et les réseaux sociaux, rencontres et discussions avec les grévistes dans les magasins, appels au boycott, appui graphique aussi, avec la création et la diffusion d’affiches de combat [quelques unes illustrent ce billet, ci-dessous le lien pour voir les autres affiches].

Piquet de grève devant un magasin Walmart (Photo John Gress / Reuters)

La contestation sociale de Walmart se fait entendre au delà des frontières étasuniennes, comme en témoigne cette déclaration de Wayne Hanley, le président national des TUAC Canada (Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce Canada) qui représentent un quart de million de travailleurs et travailleuses : « Il est grand temps que la compagnie Walmart se rende à l’évidence que le monde l’observe et que les mauvais traitements qu’elle inflige aux travailleurs et travailleuses dans un pays ont pour effet de compromettre la réputation et les perspectives de l’entreprise dans d’autres pays où elle compte faire affaire. En tant que Canadiens, nous croyons dans certaines libertés fondamentales et nous avons l’obligation de dénoncer toute entreprise qui tente de museler des travailleurs et travailleuses qui réclament un avenir meilleur pour leur famille. »

À L’ATTAQUE D’UN MOLOSSE

Les salariés de Walmart aux États-Unis -ils sont 1,3 millions répartis dans une centaine de villes- s’attaquent à un monstre du capitalisme néolibéral dont les mensurations donnent le vertige : Walmart est le plus grand employeur du monde avec ses 2,1 millions de salariés travaillant dans plus de 6 100 supermarchés, hypermarchés et filiales répartis dans 10 pays, il est le premier groupe mondial de grande distribution généraliste (devant son concurrent Carrefour), la première entreprise mondiale en termes de chiffre d’affaires et la troisième multinationale derrière Shell et Exxon.

Le fondateur de Walmart, Sam Walton, avec Hillary Clinton, une « grande amie de l’entreprise »

L’Américaine Christy Walton (veuve de l’héritier de Walmart) est la femme la plus riche de la planète ; cinq des 13 personnes les mieux nanties du monde sont membres de la famille Walton. Une étude de l’Economic Policy Institute estime que la fortune de la famille Walton -fondatrice et actionnaire de Walmart- excède la richesse totale des 40 % d’étasuniens les moins aisés.

Comme l’écrivait Serge Halimi (le Monde Diplomatique, janvier 2006), « à ce niveau de puissance, inutile en effet de s’étonner que la plupart des transformations (économiques, sociales, politiques) de la planète aient trouvé leur pendant – parfois aussi leur origine, leur courroie de transmission, leur accélérateur – à Bentonville, dans l’Arkansas, siège de la firme. Combat contre les syndicats, délocalisations, recours à une main-d’œuvre surexploitée que la déréglementation du travail et les accords de libre-échange rendent chaque année plus prolifique : c’est le modèle Wal-Mart. » Et en guise de couronnement, « En 1992, le président des États-Unis eut cette formule : “Le succès de Wal-Mart est le succès de l’Amérique”. »

Affiche d’Occupy en soutien aux travailleurs de Walmart (Dylan Miner)

L’article de Wikipédia consacré au géant étasunien nous apprend notamment que le film-reportage américain, Wall-Mart, le géant de la distribution, de Rick Young et Hedrick Smith (2004) fait de Walmart un cas d’école sur les conséquences sociales et économiques de l’idéologie néolibérale à l’échelle d’un pays (les États-Unis) tout entier.

Il montre notamment comment la majorité des fournisseurs de Walmart ont dû délocaliser leur production en Chine afin de respecter le cahier des charges exigé par Walmart au niveau des prix, ce qui a favorisé un déséquilibre croissant (200 milliards de dollars par an de déficit) en faveur de la Chine dans les échanges économiques Chine-États-Unis, et quasiment transformé ceux-ci en « pays du Tiers-Monde » exportateur de matières premières et importateur de biens manufacturés de haute technologie. Walmart a ainsi indirectement entraîné la ruine de nombre de petites villes américaines, privées de leurs industries traditionnelles, et donc une paupérisation croissante d’une bonne part de la population américaine.

SANS FOI NI LOI

Selon un rapport d’Human Rights Watch, publié en 2007, les directeurs des magasins de Walmart sont formés à la répression syndicale et sont tenus de combattre toute action revendicative. Depuis sa création, il y a cinquante ans, toutes les velléités de syndicalisation dans le groupe ont été tuées dans l’œuf.

Lumières des travailleurs de Walmart, le 23 novembre

Un groupe de bouchers se syndique et ils sont remplacés par la viande préemballée. Quand les 200 employés du magasin de Jonquière, au Québec, se syndicalisent, Walmart se débarrasse des premiers travailleurs syndiqués du groupe en Amérique du nord en fermant le magasin cinq mois plus tard. En 2005, la multinationale est condamnée par la justice allemande pour avoir interdit à ses salariés de flirter et la mise en place d’un service téléphonique permettant aux employés de se dénoncer les uns les autres. Peu après, affligée par de nombreux consommateurs qui boudent ses magasins par rejet de sa politique sociale, l’entreprise se retire du marché allemand.

C’est en Chine que Walmart a dû accepter une représentation au sein de ses 60 magasins sous la pression du gouvernement, empressé d’ouvrir ainsi un nouveau « marché » à son syndicat unique aussi inoffensif que corrompu. Quant aux 10 000 travailleurs chinois employés par les fournisseurs de Walmart, une enquête de l’organisation non-gouvernementale étasunienne, China Labor Watch, dénonce le cynisme de la multinationale qui « ferme les yeux » délibérément sur leurs conditions de travail « illégales et dégradantes ».

Californie, le 23 novembre (TheStrike.Tumbir.com)

En Californie, en 2004, l’ouverture annoncée par Walmart de quarante magasins servit de prétexte aux grandes surface de l’État pour baisser les salaires de leurs 59 000 employés afin de les aligner sur ceux de la multinationale, inférieurs de 10 à 20%. Malgré une grève de quatre mois et demi et un large soutien des consommateurs, les travailleurs durent se soumettre à l’oukaze patronal.

Huit ans plus tard, c’est en Californie que le premier mouvement social de Walmart a pris son envol...

Jean-Pierre Anselme

Médiapart

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