Édition du 17 décembre 2024

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Afrique

Les milices russes et l'armée soudanaise : l'or contre les armes

Histoires d’or au Soudan, ou pourquoi on ne peut parler de politique ni d’économie au Soudan sans comprendre l’alliance entre l’armée soudanaise et les milices russes autour du marché et de l’exploitation illégale de l’or. Un travail minutieux mené par Rifaat Sheikh Eldeen Ismail. Volet 2.

Tiré du blogue de l’auteur.

Pour lire le volet 1

De nombreux pays développés souhaitent exploiter les pays contrôlés et dominés par les dictatures, qui souffrent souvent d’injustices, d’inégalités, de manque de liberté et de paix, de dégradation sociale, d’exploitation économique et d’oppression politique. Les pays développés, de par leur rôle dans l’ordre social mondial, entretiennent la guerre et les conflits dans ces pays, et protègent les tyrans en les gardant au pouvoir, afin de pouvoir piller nos ressources.

Ainsi, la Russie se bat pour établir sa présence au Soudan et en Afrique, afin de mener à bien ses ambitions d’établir des bases militaires et récupérer l’or. Dans la période soviétique, Moscou soutenait les révolutions et mouvements de libération nationales ; la chute de l’Union Soviétique lui a fait perdre toute influence politique, économique et diplomatique en Afrique et au Moyen Orient. Aujourd’hui, ce soutien aux révolutions et aux mouvements de libération s’est transformé en soutien aux dictatures et à la répression des révolutionnaires (en Syrie, et aussi au Soudan). D’autres pays viennent nourrir les guerres et les conflits en soutenant les mouvements armés pour leur permettre d’accéder aux matières premières. La France, par exemple, soutient financièrement les mouvements armés au Darfour (notamment, celui d’Abdelwahed Al-Nur) afin de garder la mainmise sur l’uranium présent dans cette région.

Le soutien russe à la répression du mouvement révolutionnaire au Soudan
La Russie a soutenu le régime du dictateur Omar Al-Béshir contre la révolution soudanaise en décembre 2018 qui a renversé le régime après 30 ans au pouvoir. Comme tou-te-s les Soudanais-e-s le savent et ne pardonneront pas, Poutine a conseillé à Al-Béshir d’exécuter publiquement des manifestant-e-s, afin de terroriser les autres. De plus, les soviétiques ont mené une campagne de désinformation contre la révolution de 2019, en utilisant de faux comptes sur les réseaux sociaux afin d’exacerber les divisions politiques au Soudan. Facebook a fermé 172 comptes de ce type en octobre 2019 et mai 2021. Certaines pages des comités de résistances (les comités de résistance, ou comités de quartier, sont des groupes de jeunesse révolutionnaire qui organisent des manifestations et des événements) sur Facebook ont été hackées par les Russes afin de mener la discorde dans la révolution soudanaise. Tout cela constitue la guerre électronique contre la révolution. (Voir ici)

Il est aussi connu que le 5 juin 2019, deux jours après le massacre sanglant du sit-in de Khartoum, la compagnie russe Miro Gold, pilotée sur place par la famille du général Hamdan Daglo, a exporté 13 tonnes de matériel policier anti-émeutes ainsi que des casques et des bâtons au Soudan. Enfin, lors de la brève expérience de démocratie au Soudan, la Russie était proche de l’alliance militaire qui a orchestré le coup d’état.

Wagner et les Forces de Soutien Rapide, l’alliance de deux milices pour l’extraction de l’or du Soudan

Moscou a plus que quadruplé la quantité d’or gardé par la banque centrale de Russie depuis 2010, et a créé un « coffre de guerre » grâce à un mélange d’imports étrangers et de larges réserves domestiques d’or en tant que troisième plus grand producteur de métaux précieux au monde. Pour la première fois en juin 2020, la Russie a possédé plus d’or que de dollars américains, ce qui constitue plus de 23% des réserves d’or mondiales. Ses réserves d’or se sont élevées à plus de 630 milliards de dollars le mois dernier.

Le groupe Wagner, qui a émergé en 2014, est un groupe de mercenaires soutenus par le Kremlin, qui a défendu la première tentative d’entrée de Poutine en Ukraine de l’est, et qui plus tard s’est déployée en Syrie. En 2017, ce groupe s’est répandu sur le continent africain en Libye, Mozambique, République d’Afrique centrale, Soudan, et récemment au Mali.

La Russie trouve au Soudan un allié solide, via une autre milice, cette fois soudanaise : les Forces de Soutien Rapide. Les forces de soutien rapide sont une grande organisation paramilitaire qui travaille coude à coude avec l’armée soudanaise, responsable de plusieurs génocides au Soudan. Leur chef, Mohamed Hamdan Hemetti, contrôle la majorité de l’or au Soudan, comme le font aussi les compagnies russes.

Les opérations de la compagnie Wagner ont commencé au Soudan après la rencontre en 2017 entre le dictateur Omar Al-Béshir et Vladimir Poutine, offrant à ce dernier des concessions minières et ainsi que l’autorisation de construire une base navale sur la mer Rouge. A la veille de la révolution, après presque trois décennies de régime autocratique, le président Omar Al-Béshir perdait du pouvoir. A travers cette rencontre avec Poutine en Russie, il cherchait une nouvelle alliance, en offrant le Soudan à la Russie comme « clé de l’Afrique » en échange de soutien.

La plus grande réserve d’or au Soudan est située au Nord et le long de la rivière du Nil. On y a été témoin de larges imports d’or du nord par un avion russe à l’aéroport de Dongola EL76, manufacturé par la compagnie russe Ilyushin. Les experts disent que le groupe Wagner, assure la formation des forces de soutien rapide de Hemetti. Les deux groupes lourdement armés ont travaillé ensemble afin de sécuriser d’importantes mines d’or pour les compagnies russes au Soudan, dans des zones où la sécurité est faible, particulièrement dans l’ouest du Soudan.

La compagnie Miro Gold, visage de l’exploitation russe de l’or soudanais
Les compagnies russes, telles que les entreprises Kush et Miro Gold, extraient 20% de la production d’or au Soudan. La Compagnie Minière Miro Gold a été fondée en juin 2017, grâce à un partenariat russo-soudanais fictif, entre le russe Mikhail Potepkin, qui possède 99% des parts, et un partenaire soudanais Abdulqader al-Hussein, qui possède seulement 1%. Les activités de la compagnie, selon le contenu du registre du commerce, sont la recherche et l’extraction des mines. Cependant, l’ancien président al-Bashir leur a accordé le droit de travailler les résidus miniers, c’est-à-dire les déchets qui demeurent après le traitement de minerais. Il s’agit d’une exception qui n’a été accordée à aucune autre compagnie étrangère, puisque la loi stipule que le travail des résidus miniers est réservé exclusivement aux compagnies soudanaises.

De plus, selon un officier occidental, une équipe de géologues russes ont visité le Darfour cette année pour évaluer son potentiel en uranium. Miro Gold a démarré son activité avec une force remarquable grâce à ses concessions dans les états soudanais : la compagnie a acquis le bloc 21 sur la rivière du Nil, Kordofan Sud, la région Al-Liri, et plus récemment, le bloc 23. Mais son projet majeur est celui d’usines à Al-Obeidiya dans la région du Nil (Nord-Est du Soudan), pour traiter les résidus miniers. Miro Gold achète les résidus d’or en cash à des mineurs locaux et paye ainsi en dehors du système bancaire. Leur site est devenu connu pour payer en utilisant une nouvelle monnaie soudanaise, via des avions remplis de dollars d’une monnaie soudanaise imprimée en Russie à la fin de l’ancien régime soudanais qui atterrissent sur le site de l’usine. Il n’existe aucune interdiction ou instruction de la Banque du Soudan ou du ministère des Finances à ce sujet.

Qui est le chef de cette compagnie, Mikhail Potepkin ? Mikhail Potepkin est un Russe né le 29 septembre 1981. Il est considéré comme une des personnes les plus recherchées dans plusieurs pays. Il est le bras droit du milliardaire russe Yvgeny Prigozhin, le « chef de Poutine ». Mikhail Potepkin est le numéro trois en Russie en termes de la gestion des activités des services secrets, menées par la compagnie Wagner dans le monde entier. Il supervise les activités des services russes, menées par Wagner en Syrie et à travers l’Afrique, surtout dans les pays souffrant d’un manque de stabilité et du joug de la dictature (tels que la Libye, le Mali, le Congo, l’Afrique Centrale, le Tchad, le Soudan…) où se trouvent l’or, les diamants et les mines d’uranium, en supervisant la montée au pouvoir des régimes dictatoriaux en échange du pillage de leurs richesses. Suite à l’affaire des comptes russes sur les réseaux sociaux biaisant les résultats des élections américaines de 2016, Mikhail Potepkin est l’une des personnes recherchées par l’administration américaine qui a annoncé une récompense pour toute information aidant à sa localisation. Ce commandant des services russes possède plusieurs compagnies au Soudan en dehors de Miro Gold Mining, touchant à de nombreuses activités : extraction, agriculture, aviation, services médicaux, et autres. Ces compagnies, surtout Miro Gold, travaillent visiblement en partenariat et sous la tutelle d’une commission des Forces Armées, et de son bras droit, Aswar Security Services Company, appartenant aux autorités des services secrets militaires.

Pour résumer, les activités des services secrets russes au Soudan fonctionnent via son bras droit, la compagnie Wagner, et son visage, la compagnie Miro Gold, sous la tutelle et la protection des services secrets de l’Etat soudanais, dirigés par l’Autorité des Services Secrets des forces armées militaires.

"Aswar", la clé qui ferme la porte et l’œil qui surveille
Ainsi, des membres de Wagner arrivés à l’usine d’Al-Obeidiya pour travailler sur les résidus d’or, ont effectué de nombreux voyages entre Khartoum et Al-Obeidiya, sous la surveillance et protection de la compagnie Aswar. Aswar est une entreprise qui réalise différents types de services dont les services de sécurité et qui appartient aux autorités des forces armées soudanaises. Aswar représente la barrière protectrice, le rideau de sécurité, le bras exécuteur, la main qui apporte les moyens. En somme, Aswar est la présence des services secrets russes au Soudan.

Le brigadier général Mohammed Qureshi Muhammad Al-Amin, directeur général de la compagnie Aswar, a joué un rôle essentiel dans l’intégration des affaires de Miro Gold - Wagner au sein des autorités des services militaires et des forces armées, avant son arrestation et sa condamnation à 5 ans de prison dans le courant de mars 2022 (suite à sa participation au coup d’état de 2019). Aswar, et donc les services russes, est présent à chaque endroit où Miro Gold se trouve, dans chaque contrat officiel, petit ou majeur. Elle représente Miro Gold dans les aéroports, à la douane, dans les ports, les ministères et les bureaux du gouvernement, mais également dans les contrats à des compagnies privées. Dans toutes ces instances, Miro Gold est dissimulée et représentée par Aswar, ce qui lui donne une protection et des moyens illimités. Par exemple, plusieurs documents prouvent que Miro Gold a effectué des importations depuis l’étranger au nom de Aswar, comme l’importation de l’équipement mécanique de l’usine d’Al-Ubaidiya. Similairement, lorsque Miro Gold a voulu se débarrasser d’une partie de ses machines, équipements et camions en les transformant en métal vendu sur le marché public, la police d’Atbara a saisi les camions réduits en morceaux et ont vu qu’ils étaient enregistrés au nom des Autorités des services secrets des forces armées. Comme attendu, Aswar est intervenu et a réglé la situation. De plus, les déplacements des véhicules et des équipements lourds de Miro Gold sont sous la protection par lettre officielle des services secrets de l’armée, et accompagnés par des officiels des services militaires pour faciliter leur passage.

Un transport en avion privé organisé par les autorités militaires soudanaises
Ainsi, les allées et venues de Miro Gold à travers les états soudanais se font sous la protection de l’autorité des services militaires, et leurs plaques d’immatriculation portent le nom des forces armées.

Donc, chers lecteur.rice.s, nous avons ici une compagnie privée étrangère qui utilise des machines, un équipement et des voitures dont le propriétaire est, selon les documents officiels, l’autorité des services secrets de l’Armée soudanaise. Pouvons-nous encore appeler ça une compagnie privée étrangère ? Les services secrets des forces armées protègent le transfert de ce qui les arrange (en l’occurrence, les activités de Miro Gold / Wagner), et leur permet de traverser ports et douanes sans se faire contrôler. Comme le montrent des documents que nous avons pu consulter, l’entrée au port est grande ouverte devant ces voitures de l’armée, conduites par des officiers des services russes et transportant ce qu’ils veulent dans les fonds des vaisseaux russes basés à Port-Soudan.

En ce qui concerne les aéroports, en 2018 Miro Gold a loué l’avion « An-26B-100 S9-GRN S/N 6907 », propriété de la compagnie aérienne Al-Riyada qui vend des services multiples entre l’aéroport de Khartoum et la République Centrafricaine. Cependant, comme d’habitude, la compagnie Aswar, et donc les autorités des services militaires, s’est posée comme représentante de Miro Gold et a défendu sa cause devant tous les partis liés au commerce du transport aérien. Aswar gère et facilite tout ce qui concerne les déplacements par avion des missions de Miro Gold. Ainsi, leurs avions de commerce privés utilisent la piste d’atterrissage de la porte numéro 17 à l’aéroport de Khartoum, une porte normalement réservée strictement aux avions de l’armée de l’air, et aux forces armées nationales. A l’aéroport de Khartoum, les avions de Miro Gold / Wagner ne sont donc pas sujets aux procédures officielles du transport commercial aérien, pas même à une simple inspection de cargaison. Les avions de Miro Gold ont de multiples destinations, la plus importante étant la République Centrafricaine. Le vol part de là-bas, puis s’arrête à l’aéroport de Nyala au Soudan pour faire le plein, pour atterrir à Khartoum comme un avion local, à la porte des forces armées soudanaises, afin que son équipage et les employés de Miro Gold ne soient pas sujets à une inspection.

La question est évidente : pourquoi une compagnie privée, avec une licence pour travailler dans l’extraction et les résidus d’or au Soudan, loue t’elle une ligne aérienne privée entre Khartoum, la Libye, le Tchad et l’Afrique Centrale, en jouissant en plus de tous les privilèges aériens des forces militaires nationales ?

Des tirs à balles réelles sur les citoyen-ne-s locaux

Pour finir sur une note encore plus sombre, en 2018 dans la région nord-soudanaise de l’état de la rivière du Nil, six personnes ont été abattues par balle, dans une altercation entre des gardes d’une compagnie d’extraction russe et des manifestants de la vallée d’al-Sinqir, riche en métaux précieux. Les citoyens ont accusé les gardes de la compagnie de les insulter et de les menacer. Ils ont affirmé que les gardes russes menaçaient en permanence de tirer à balle réelle sur les citoyens, manifestant devant les quartiers généraux de la compagnie venue exploiter leurs mines. Les propriétaires des mines de Wadi al-Sinqir ont affirmé qu’ils avaient été laissés sans travail depuis plus de 50 jours à cause de leur expulsion des mines dans lesquelles ils avaient travaillé depuis 1997. Les propriétaires des mines ont dénoncé leur expulsion violente par les forces du gouvernement et les gardes russes, ainsi que l’échec de l’administration locale à résoudre leur situation. L’un des manifestants a déclaré que les gardes russes, y compris un sniper, soutenus par la police soudanaise, ont ouvert le feu soudainement sans avertissement préalable. Les habitants locaux exigent l’ouverture immédiate d’une enquête et l’expulsion de cette compagnie russe de la région, afin d’éviter le sang de couler partout dans l’état de la rivière du Nil.


Par : Rifaat Sheikh Eldeen.

Sudfa est un petit blog participatif franco-soudanais, créé par un groupe d’amis et militants français et soudanais. On se donne pour objectif de partager et traduire des articles écrits par des personnes soudanaises, ou co-écrits par personnes soudanaises et françaises, sur l’actualité et l’histoire politique, sociale et culturelle du Soudan et la communauté soudanaise en France. Si vous souhaitez nous contacter, vous pouvez nous écrire à sudfamedia@gmail.com, ou via notre page facebook. Vous pouvez également nous retrouver sur notre site internet : sudfa-media.com. Pour plus d’infos, voir notre premier billet « qui sommes-nous ».

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