Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Les enquêtes devraient porter sur bien plus que la Russie Une des si nombreuses histoires d’influence étrangère (aux États-Unis)

Une des frustrations avec le travail d’enquête journalistique, c’est que la plupart du temps vous n’en connaissez pas l’impact avant longtemps, si jamais vous arrivez à le connaitre. C’est ce qui rend si extraordinaire la demande qu’ont faite au FBI, la Présidente de la Chambre, Mme Pelosi et le leader de la minorité au Sénat, M. Chuck Schumer, d’enquêter sur les contacts entre Mme Cindy Yang, une contributrice (à l’élection) de D. Trump, fondatrice d’une chaine de salons de massages et le Président des États-Unis.

Monika Bauerlein, Mother Jones, 24 mars 2019
Traduction, Alexandra Cyr

Ce n’était que quelques jours après que les journalistes de Mother Jones, Daniel Schulman, Dan Friedman et David Corn aient exposé les efforts de Mme Yang pour vendre l’accès à D. Trump à des cadres chinois et ses implications dans des organismes liés au gouvernement chinois. Et comme ce genre d’histoires accapare beaucoup d’attention, je pense que c’est un bon moment pour ouvrir un peu plus la boite et vous montrer, à vous lecteurs et lectrices qui nous soutenez pour que nous puissions faire ce travail, comment une enquête de la sorte arrive à son terme. C’est aussi un bon antidote à la vision étroite que les commentateurs.trices portent sur le rapport Mueller en ce moment. Peu importe ce qu’il peut contenir, ce ne sera pas la fin de l’influence étrangère, de la corruption et de la trahison qui tourne autour de D. Trump. Pas le moins du monde.

Retournons au vendredi matin du 8 mars. (Il me semble que ça fait déjà un an). Le Miami Herald faisait sa une avec Mme Yang propriétaire du salon de massage où récemment, Robert Kraft, propriétaire des Patriots de la Nouvelle Angleterre, (équipe de football renommée. N.d.t.) a été arrêté pour avoir sollicité des services sexuels, avait visionné le Super Bowl à Mar-a-Lago (résidence personnelle du Président) et fait des égos portraits avec lui. C’était le genre d’histoire qui fait vibrer les oreilles des reporters de Mother Jones : de riches personnes d’affaires, contributeurs.trices, politiciens.nes qui rôdent autour……généralement il y a là quelque chose à se mettre sous la dent. Spécialement quand il s’agit de D. Trump.

La rédactrice en chef, Inae Oh, a vite fouillé la page Facebook de Mme Yang et y a découvert une série de photos où elle apparait avec de grosses légumes républicaines. Elle a fait des captures d’écran (de ces photos) parce qu’elle sait que bien des personnes ferment leur compte quand elles font les manchettes et elle a creusé les annuaires de la communauté d’affaire de la Floride pour confirmer que Mme Yang était effectivement liée au salon où l’incident Kraft s’était passé. Et elle a publié certaines des photos montrant : Mme Yang avec le Président, avec Sarah Palin (ex candidate républicaine à la vice-présidence. N.d.t.) avec Mme Kellyanne Conway (conseillère de D. Trump. N.d.t.), avec la secrétaire au transport Elaine Chao, avec le gouverneur (républicain) de Floride, M. Ron DeSantis, le Sénateur démocrate de Floride, Rick Scott et d’autres encore.

Pendant ce temps, Daniel Friedman, reporter au bureau de Washington de Mother Jones, avait mis la main sur un numéro de téléphone au nom de Yang. (Un homme a répondu et raccroché immédiatement). Stephanie Mencimer épluchait les listes de permis d’affaire de la Floride pour trouver l’historique des affaires de Mme Yang. Le sous-directeur du bureau chef, Dan Shulman à découvert une compagnie enregistrée au nom de Mme Yang et nommée GY US Investments. Son site était en mandarin mais il y avait suffisamment de références intrigantes, dont ce qui semblait une invitation à un événement à Mar-a-Lago avec la sœur de D. Trump, Elizabeth TRump Grau, pour mériter un examen plus approfondi.

À l’aide du traducteur Google et celle d’un expert, un avocat dont le mandarin est la langue maternelle et qui par chance partage nos bureaux, (merci Mark !) le tableau s’est éclairci. La compagnie de Mme Yang fait le trafic d’accès au Président et à sa famille pour le compte de personnes d’affaire chinoises. Nous avons communiqué avec la Maison blanche à plusieurs reprises. Le porte-parole Judd Deere nous a finalement répondu : « Le Président ne connait pas cette dame ».

Très vite le site web (de la compagnie) a été fermé. Mais, D. Schulman avait enregistré des captures d’écrans. Avec D. Freidman et David Corn, chef de bureau à Washington, il a exercé suffisamment de pression pour que l’histoire du commerce d’accès de Mme Yang soit publiée sur notre site le lendemain matin, 9 mars. Charles Ornstein de Politico a « tweeté » : Vous ne vous attendiez pas à ce que cette affaire soit en une de tous les journaux, n’est-ce pas ? Le commentateur conservateur, Bill Kristoll a partagé l’article. Et plus tard en soirée, nous avons probablement eu le moment le plus fou : @realdonaldtrump a appuyé sur le bouton « Like ». Très vite toutefois, ce fut « unlike ».

Lundi soir, cette affaire était reprise par Rachel Maddow, (Journaliste réputée de MSNBC. Nd.t.) Stephen Colbert, (Journaliste, humoriste animateur du Late show de CBS) USA Today et Associated Press et d’autres médias. À ce moment-là, D. Corn, D. Schulman et D. Freidman avaient publié une autre exclusivité où ils démontraient que Mme Yang avait travaillé avec des groupes liés au gouvernement chinois et au Parti communiste. Lundi passé, les Démocrates de la Chambre sont entrés.es en action en demandant au FBI d’ouvrir des enquêtes criminelles et de contre-espionnage sur ces agissements.

Voilà ce que la presse peut faire quand elle s’organise comme une équipe d’intervention policière. Il se peut que le Congrès n’eut jamais rien su de Mme Yang sans les reportages du Miami Herald et de Mother Jones. Cette information sur un trafic d’accès au Commandant en chef et à sa résidence prestigieuse est de l’ordre de celles que le Congrès doit savoir tout comme le public d’ailleurs.

(…)

La collusion dans les attaques russes dans nos élections par un pouvoir étranger, est un des plus importants scandales de cette élection. Mais cela fait partie d’un mouvement plus large où l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Azerbaïdjan, l’Allemagne et la Chine ne sont qu’une poignée des pays auxquels D. Trump et son entourage sont liés et où on peut soupçonner des risques de conflits d’intérêts. La pratique fondamentale que Mother Jones s’est imposée est d’exposer ces connections depuis le premier moment où le Président a mis en marche cet ascenseur doré. Nous sommes devant un réseau d’influences qui n’implique pas que le Président mais sa famille, ses associés.es le plus proches et ses contributeurs.trices.

Il se peut que D. Trump ne connaisse pas Cindy Yang mais elle le connait, sais comment il fonctionne et ne se gêne pas pour faire commerce de ces connaissances. C’est pire qu’un marécage. C’est pourquoi nous restons à l’affut et nous en ferons encore plus à l’avenir. Nous reviendrons sur cette histoire bientôt.

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