Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Les employés des centres jeunesse à bout de souffle

Partout au Québec, les employé-es des centres jeunesse sont à bout de souffle et plongés dans une détresse importante causée par le travail. C’est notamment ce qui ressort d’une vaste consultation conduite auprès de quelque 2000 répondantes et répondants syndiqués à la CSN à travers le Québec.

« Les résultats de cette consultation mettent en lumière les impacts du sous-financement dans le réseau des centres jeunesse. L’an dernier encore, celui-ci a épongé 20 millions en compressions qui ont affecté autant la pratique professionnelle que la qualité des services aux enfants et aux familles », souligne d’entrée de jeu le vice-président de la CSN, Jean Lacharité.

L’enquête présente des constats et des chiffres alarmants. « Nous avons reçu de nombreux commentaires témoignant du découragement extrême des intervenantes et intervenants, qui déclarent ne pas être en mesure d’offrir des services adéquats aux enfants en difficulté et à leur famille en difficulté. C’est pourquoi nous avons décidé d’entreprendre cette consultation qui confirme ce que nous entendions sur le terrain », a affirmé la présidente du syndicat des travailleuses et travailleurs du centre jeunesse de Montréal, (FSSS–CSN) Sylvie Théorêt.

La dure réalité

Cette enquête nous apprend que seulement 5 % des intervenantes et intervenants estiment être en mesure de répondre adéquatement et en temps utile aux besoins de cette clientèle. Pour 71 % d’entre eux, les multiples formulaires à remplir et la saisie de notes constituent un obstacle majeur à la qualité de leur intervention. « Les compressions qu’on vit depuis de nombreuses années ont eu des répercussions sur tous les employé-es et ont aussi entraîné des coupes de postes au sein du personnel de bureau. Comment voulez-vous que les intervenant-es puissent offrir les services auxquels on s’attend d’eux quand ils sont toujours pris devant leur ordinateur pour pallier, entres autres, le manque de personnel administratif ? », enchaîne Sylvie Théorêt.

« La compilation des notes fait partie intégrante de notre travail, poursuit la vice-présidente du syndicat des employé-es du centre jeunesse de Laval (FSSS–CSN), Julie Hamilton. Or, le processus pour la prise de notes s’est beaucoup alourdi. Nous devons décortiquer chacune de nos interventions en de multiples actes et les expliquer dans les fins détails. Les guides et les formations qui nous sont offerts simplement pour savoir comment prendre ces notes illustrent la complexité de l’exercice », souligne-t-elle en ajoutant : « Par ailleurs, nous sommes prises à devoir accomplir une série de tâches qui ne concernent pas directement les interventions, comme les demandes de cartes d’assurance-maladie, la logistique reliée au transport. Ces tâches grugent une très grande partie de notre temps. »

En outre, 70 % estiment que leur intervention sert plus à répondre aux cibles statistiques qu’à aider les familles. « Les intervenantes et intervenants ne fournissent pas. Pourtant, les jeunes en difficulté vivent des situations de plus en plus complexes qui combinent des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et de violence. Déjà, le rapport du Vérificateur général du Québec 2009-2010 faisait état de la trop grande importance accordée aux tâches administratives, soit une moyenne de 55 % dans les centres jeunesses sondés à l’époque. Six ans plus tard, on constate que non seulement le problème persiste, mais les compressions libérales l’ont empiré », renchérit la vice-présidente de la Santé et des Services sociaux (FSSS–CSN), Mélissa Gaouette.

Cet alourdissement des tâches crée donc une grande surcharge de travail et de l’épuisement professionnel : 84 % des personnes interrogées affirment effectuer des heures supplémentaires et 31 % soulignent que les difficiles conditions d’exercice de leur pratique les a forcées à prendre un congé de maladie. « On demande aux employé-es de faire toujours plus avec moins et ils sont épuisés. Plusieurs tombent comme des mouches ou bien quittent le réseau. Ceux qui restent ne disposent pas des ressources nécessaires pour bien exécuter leur travail », ajoute la vice-présidente de la Fédération des professionnèles (FP–CSN), Nancy Corriveau.

« Une situation de crise sévit actuellement dans le réseau des centres jeunesse du Québec. Nous demandons au gouvernement la tenue d’États généraux afin de faire la lumière sur les problèmes dénoncés par celles et ceux qui œuvrent auprès des enfants vulnérables et de leur famille. Nous réclamons aussi un moratoire sur les coupes budgétaires dans les centres jeunesse ainsi qu’un réinvestissement majeur dans le réseau. La disette a assez duré : le gouvernement doit prendre ses responsabilités et réinvestir dans le réseau », conclut Jean Lacharité.

Des extraits de l’enquête

Pourtant, les services sociaux sont depuis longtemps, le parent pauvre du système de santé au Québec. Leur sous-financement et les compressions budgétaires imposées par le gouvernement les mettent à mal. L’adoption de la loi 10 a, par ailleurs, contribué à centraliser à outrance le système de santé et de services sociaux et conséquemment, a amplifié la priorité donnée au curatif, au détriment du social.

Les centres jeunesse ne sont malheureusement pas étrangers à cette réalité. Il s’agit d’organismes publics qui offrent des services de deuxième ligne, soit des services psychosociaux, de réadaptation et d’intégration sociale aux jeunes, à leur famille et aux parents en difficulté4. Ils regroupent des établissements dans chaque région du Québec, chargés d’intervenir auprès des jeunes de moins de 18 ans dont la sécurité ou le développement est compromis. Depuis plusieurs années, les centres jeunesse vivent une situation de crise silencieuse qui plutôt que de s’améliorer, tend à empirer.

Les jeunes en difficulté vivent des situations de plus en plus complexes, où peuvent s’entremêler des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et de violence. Rappelons par ailleurs qu’entre 2010 et 2014, le gouvernement a imposé aux centres jeunesse des compressions de 50 millions de dollars. Le manque important de soutien financier de la part du gouvernement exerce une forte pression sur le personnel des centres jeunesse à qui l’on demande de faire toujours plus, avec beaucoup moins.

Cette surcharge de travail n’est pas sans effet sur la santé du personnel qui est, par ailleurs, trop souvent victime de menaces, d’intimidation et de violence de la part des jeunes en difficulté et de leur famille5. (p. 5-6)

(…)

Le Comité a donc élaboré un sondage afin de dresser un premier portait quantitatif de ce phénomène provincial. Les réponses obtenues permettront au Comité d’orienter ses prochaines actions et revendications. Tout cela, dans le but d’améliorer les conditions de pratiques des intervenants et conséquemment, que nos jeunes en difficulté aient accès à des services sociaux de qualité répondant à leurs besoins. (p. 7)

(…)

Une grande proportion d’intervenant-es (84%) affirment effectuer des heures supplémentaires. Cela n’a rien d’étonnant, puisque les Directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ) ont traité 87 800 signalements au cours de l’année 2015-2016. Ce chiffre ne cesse d’augmenter d’année en année.

Pour l’année écoulée, en moyenne 240 enfants ont été signalés par jour au Québec6. Cela démontre à quel point les jeunes en difficulté ont un urgent besoin de services sociaux de qualité, et ce, sans délai. Or, selon les données, de 2014-2015 du Bilan des DPJ, aucun centre jeunesse n’a été en mesure de respecter le délai maximal de huit jours qui devrait s’écouler entre le signalement d’un cas et le premier contact de l’intervenant avec le jeune ou sa famille. Ce délai variait plutôt de 15 à 71 jours selon la région du Québec où vit l’enfant. Cette situation est inacceptable et a déjà été dénoncée par le Comité7. (p. 11)

(...)

Dans le cadre du sondage, les intervenants ont été questionnés sur les éléments qui, selon eux, font obstruction à leur capacité de fournir l’intensité d’intervention nécessaire à chaque enfant. Les répondants ont majoritairement (71 %) identifié les tâches administratives telles que les multiples formulaires à remplir et la saisie informatique de notes dans le Programme intégration jeunesse (PIJ). D’autres éléments ont aussi été nommés à des degrés divers, tels que le transport d’enfants, la surcharge de travail et le manque de personnel.

Finalement, une majorité de répondants, soit 70 %, affirme avoir l’impression que leurs interventions sont davantage axées sur les cibles statistiques et monétaires de leur établissement, plutôt que sur les besoins des jeunes. (Graphique 8). Cela peut laisser présumer d’une vive insatisfaction des intervenant-es face à leur travail et à leur rôle auprès des jeunes en difficulté. L’État a pourtant l’obligation de protéger les jeunes vulnérables. Le vérificateur Lebon insiste d’ailleurs sur l’obligation de revoir et d’ajuster les moyens que le gouvernement donne aux CISSS et CIUSSS afin de permettre aux centres jeunesse « d’assumer pleinement leur mandat de protéger et d’assurer le développement des enfants qui leur sont confiés en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse »9. (p. 12-13)

(…)

En résumé, les résultats du sondage dépeignent un portrait inquiétant, à savoir que les heures supplémentaires sont une pratique courante dans les centres jeunesse, alors qu’elles ne sont pas toutes réclamées. Malgré tout ce travail accompli, il n’y a que 5 % des intervenants qui ont affirmé être totalement en accord avec le fait d’être en mesure de fournir l’intensité d’intervention nécessaire pour chaque enfant et sa famille. Par ailleurs, les intervenants considèrent que l’ampleur et la lourdeur des tâches administratives sont des éléments qui nuisent à leur capacité de fournir l’intensité d’intervention requise. Finalement, la grande majorité des répondants affirment avoir l’impression que leurs interventions sont davantage axées sur les cibles statistiques et monétaires de leur établissement, plutôt que sur les besoins des jeunes. (p. 14)

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