Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Le cas de la Saxe, du Brandeburg et de Thuringe

Les élections régionales en Allemagne, les perspectives à gauche : Die Linke et les coalitions gouvernementales

Le 31 août 2014 était le dernier jour des vacances scolaires d’été dans le Land de Saxe. Mais cela n’explique pas le déclin de la participation aux élections régionales qui se déroulaient ce jour. La participation est tombée au niveau historiquement bas de 49,2% des 3,4 millions de personnes ayant le droit de vote.

Dans ce Land, la CDU [Union chrétienne-démocrate d’Allemagne] est le parti dominant depuis 1990. Ce parti était sorti gagnant dans les dernières élections de 2009 et avait réalisé une coalition avec le FDP [Parti libéral-démocrate]. Puisque ce dernier se trouvait clairement en dessous du seuil (quorum) des 5% dans les sondages et a effectivement manqué son entrée au parlement, le leader de la CDU, le ministre-président Stanislaw Tillich doit trouver un autre partenaire. Probablement il y aura à Saxe une « grande coalition » entre la CDU et le SPD [Parti social-démocrate d’Allemagne]. Une coalition du CDU avec le Parti des Verts est bien moins probable, entre autres parce que les Verts du Land de Saxe sont favorables à l’interruption de l’extraction du lignite. Et le SPD comme les Verts avaient tous les deux exclu catégoriquement une coalition « rouge-rose-verte » avec le parti Die Linke (La Gauche) déjà dans la période antérieure aux élections. La CDU obtient 39,4% des suffrages, soit 650.000 ; ce qui est une perte de 0,8% par rapport aux dernières élections régionales en Saxe en 2009.

Die Linke se maintient comme deuxième parti obtenant 18,9%, soit une perte de 1,7%. Le SPD gagne 2 points pour atteindre 12,4 %. Les Verts obtiennent 5,7%, ce qui représente un recul de 0,7%. L’AfD – Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne, nouveau parti ultra-conservateur et néolibéral – se présentait pour la première fois aux élections régionales du Land de Saxe. Elle obtient un résultat spectaculaire avec 9,7%, alors que le FDP libéral perd 6,2% et ne capte dès lors que 3,8%. Le NPD (Parti national d’Allemagne, d’extrême droite) – dont le meilleur résultat en Saxe datait de 2004 – rate de justesse le quorum des 5% en obtenant 4,95% des voix. Il ne lui manquait qu’un peu plus de 900 voix. Mais il faut ajouter que les 159’000 voix pour l’AfD signifient une légère perte par rapport aux élections européennes, où ce parti avait pu mobiliser 164’000 électeurs dans ce Land.

Dans le nouveau parlement de Saxe, il y aura 59 députés pour la CDU, 27 pour Die Linke, 18 pour le SPD, 14 pour l’AfD et 8 pour les Verts. On remarque, qu’il n’y a pas de majorité rouge-rose-verte possible. La CDU pourrait, théoriquement, former une coalition avec l’AfD. Son leader Stanislaw Tillich ne l’avait pas exclu avant les élections. Toutefois, la direction de la CDU au niveau fédéral s’est prononcée contre. Tillich a donc affirmé, après les élections, que cette variante ne pourrait pas fonctionner, l’AfD étant « un parti protestataire ».

L’AfD profite

L’AfD a pu prendre des voix à presque tous les autres partis – 33’000 à la CDU, 18’000 au FDP, 13’000 au NPD – mais aussi 15’000 à Die Linke ! Il s’ajoute à cela 16’000 qui avaient boudé les urnes en 2009. Le déclin du FDP est une tendance lourde au niveau fédéral, il a encore une fois été confirmé. La CDU lui a pris 20’000 voix, l’AfD 18’000, le SPD 12’000, et 20’000 personnes qui avaient voté pour les libéraux en 2009 n’ont pas participé à l’élection. La CDU gagnante a seulement pris des voix au FDP, mais perdu 33’000 au profit de l’AfD et 11’000 au profit du SPD, tandis que 11’000 électeurs de 2009 du SPD sont restés à la maison. Le SPD a pris 12’000 voix au FDP, 11’000 à la CDU, 7000 aux Verts et a perdu 8000 au profit de l’AfD et n’a pas pu mobiliser 5000 de celles et ceux qui avaient voté pour lui en 2009.

Il est bien clair que l’échec du NPD est dû à la candidature de l’AfD qui lui a pris 13’000 voix. Il ne perd que 1000 voix au profit du SPD et n’a pas réussi à mobiliser 10’000 électeurs qui avaient voté pour lui en 2009. Il ne faut pas se réjouir trop tôt que le NPD rate de justesse l’entrée au parlement du Land ; car une force aussi droitière et démagogique que l’AfD s’installe au Landtag de Saxe avec presque 10% des suffrages. En tant que force militante, le NPD n’est pas si fort, il a moins que 1000 membres en Saxe. Les mobilisations racistes comme contre les réfugié·e·s s’organisent à partir de coopération avec des groupes néonazis prêts à la violence ; ces derniers ne s’organisent pas dans une perspective électorale. Mais les succès électoraux de l’AfD tendent à encourager ce genre de mobilisations.

Le parti Die Linke a perdu 15’000 voix au profit de l’AfD. Cela signifie qu’il n’a pas pu se présenter comme une opposition significative, ce qui est maintenant le profil de l’AfD. Même si celui-ci a proclamé le rôle « d’opposition à la politique dominante », il a surtout mené campagne dans le sens de « 25 ans CDU, ça suffit ». Et il a reproché amèrement au SPD et aux Verts de ne pas être prêts à l’accepter comme partenaire junior d’une coalition gouvernementale. C’est la logique d’une campagne électorale fondée sur une approche de « deux camps » en présence : le camp progressiste du SPD, des Verts et de Die Linke, et le camp conservateur et de droite. La co-porte-parole du parti Die Linke au niveau fédéral, Katja Kipping, a soutenu cette approche en déclarant : « Quiconque fuit comme le diable l’eau bénite la campagne électorale de type campiste ne doit pas être surpris que la CDU reste en selle. »

Mais même avec une campagne électorale « de type campiste » de Die Linke contre elle, la CDU est « restée en selle » dans le Land de Saxe. Il est vrai que le parti Die Linke a pris quelques voix au FDP (5000), mais aussi quelques unes aux Verts (5000). Toutefois outre le fait d’avoir perdu assez massivement au profit de l’AfD, elle n’a pas pu mobiliser 13’000 électrices et électeurs qui avaient voté pour elle en 2009. Et Die Linke n’a pas pris de voix à la CDU. Il est donc douteux qu’une logique des « camps » soit vraiment opérationnelle. La « politique dominante » en Allemagne n’est-elle pas plutôt une politique soutenue par la CDU et le SPD ainsi que par le FDP et les Verts ? Cela signifierait qu’un profil d’opposition qui exige vraiment une « autre politique », une politique dans l’intérêt des salarié·e·s ne devrait pas situer Die Linke dans le même camp que ceux qui co-gouvernent, sous la tutelle d’Angela Merkel, au niveau fédéral.

Les co-gouvernementalistes à Brandeburg… et le 14 septembre

Dans le Brandeburg, Die Linke est encore partenaire junior d’une coalition dirigée par le SPD. Jusqu’à nouvel ordre, c’est le seul Land où elle joue ce rôle. Comme elle veut rester au gouvernement avec le SPD, c’est à plus forte raison qu’elle mène une campagne électorale « de camps » pour les élections régionales de ce Land qui auront lieu le 14 septembre.

Si on regarde les deux derniers sondages d’opinion de l’institut Infratest dimap datant du 27 août et de la Forschungsgruppe Wahlen du 4 septembre, les pronostics sont les suivants : 33% pour le SPD, 21% pour Die Linke, 25% (respectivement 27%) pour la CDU, 6% (5%) pour Verts, 8% (6%) pour l’AfD et 2% pour le FDP, qui n’atteindra pas le quorum des 5%. Puisque le SPD a déclaré qu’il veut poursuivre la coopération avec Die Linke et qu’une majorité absolue des deux partis est probable, on peut donc s’attendre à la poursuite de la coalition dite « rose-rouge » dans le Land de Brandeburg.

Ce qui saute aux yeux, c’est le déclin du soutien électoral pour le parti Die Linke, même en pourcentage (le déclin en chiffres absolus devrait être encore plus important étant donné que la participation aux élections est en baisse). En 2009, Die Linke avait encore obtenu 27,2%, et maintenant, d’après les sondages, il perdra quelque 6% ! Comme dans les périodes de co-gouvernance passées, surtout dans le Land de Berlin, la participation aux gouvernements dirigés par le SPD ne semble pas être « payante » du point de vue électoral pour le parti Die Linke.

Bien entendu, il faut y regarder de plus près. A l’ouest du pays, comme en Rhénanie-du-Nord-Westphalie en 2012, Die Linke a aussi essuyé de lourdes défaites électorales en perdant la moitié de son électorat, même avec un profil clairement oppositionnel et plutôt radical. Mais c’étaient les tendances lourdes au niveau fédéral qui prévalaient : déclin massif de Die Linke dans les sondages, disputes publiques entre ses membres les plus médiatisés, ascension du parti des Pirates (vite terminée après environ une année d’essor), perte de crédibilité y compris comme parti de contestation ainsi que comme parti de gouvernement potentiel.

Dans le Brandeburg, Die Linke est perçue comme faisant partie de la politique établie. Il est vrai qu’une bonne partie de sa clientèle électorale attend du parti de gouverner à toute occasion pour réaliser, en pratique, un peu de ses propositions, même au prix de renoncer à sa politique propre à ses options d’ensemble, du moins telles qu’exprimées dans le programme du parti au niveau fédéral. Ce programme parle d’un dépassement socialiste de la société de classe capitaliste. Mais il y a un prix à payer quand l’adaptation à la politique de gestion de la crise structurelle capitaliste conduit à se faire co-responsable de mesures d’austérité ainsi que d’autres décisions incompatibles avec le consensus des milieux assez progressistes de son électorat.

Dans le gouvernement de Brandeburg, Die Linke a eu la responsabilité des Finances, de l’Economie et de la Justice. Cela ne l’a pas aidé à se profiler comme une formation gouvernementale de gauche. Son cheval de bataille préféré en 2009 était la création d’un « secteur d’emplois publics » avec quelque 15’000 emplois. Il s’agissait, dès le départ, d’une goutte d’eau dans l’océan du chômage. Mais même cette mesurette est vite devenue la victime des mesures d’austérité liées au « frein à l’endettement » et au renoncement à toute mesure fiscale qui pourrait mettre en colère les « investisseurs ». En outre, le contrôle du Ministère de l’économie, au niveau des Länder, sert surtout à distribuer des cadeaux sous forme de subventions directes ou indirectes aux firmes privées pour les intéresser à venir ou à rester dans la région. Dans son programme électoral limité (Kurzwahlprogramm), Die Linke Brandeburg parle de critères sociaux et écologiques qu’elle veut introduire dans les conditions à remplir pour obtenir des subventions « afin de stopper la spirale à la baisse des salaires, pour garantir l’emploi et en créer du nouveaux et pour renforcer un patronat socialement responsable ». Voilà qui n’émane pas d’une stratégie de « dépassement socialiste de la société capitaliste », et voilà qui est peu crédible vu l’expérience des cinq dernières années « rose-rouge » dans le Land de Brandeburg.

Dans son programme électoral, on peut aussi lire que Die Linke s’engage pour une conversion énergétique régionale et financièrement abordable, avec des mesures pour le développement de technologies appropriées et de concepts de réalisation au niveau local. Mais, en pratique, Die Linke n’a pu imposer aucune démarche de sortie de l’extraction du lignite, même pas à moyen terme. Donc, sa crédibilité dans la lutte contre le changement climatique est ramenée à zéro.

Leurs clones de la Thuringe, face au 14 septembre

Dans le Land de la Thuringe, il y a aussi des élections régionales le 14 septembre. D’après les deux derniers sondages d’opinion du 4 septembre, la CDU peut s’attendre à 34% (respectivement 36%) des suffrages, le SPD à 16%, le parti des Verts à 5% (6%), le FDP libéral à 3%, Die Linke à 28% (26%), le AfD à 7% (8%) et le NPD à 4%. Il est donc possible que le NPD n’ait pas d’élus, mais il n’est pas exclu que le parti des Verts échoue aussi à atteindre le quorum des 5%. Puisque le FDP ne rentrera pas au parlement régional, une poursuite de la « grande coalition » de la CDU avec le SPD semble la variante la plus probable.

Ce n’est pas l’idée du chef de file du parti Die Linke, Bodo Ramelow, pour qui « la CDU est usée ». Il bat le tambour pour un gouvernement « rose-rouge » ou « rose-rouge-vert » comme partenaire junior du SPD, pour réaliser des améliorations dans le secteur de l’enseignement, pour assurer le financement des crèches et pour, comme il le dit, « remodeler la gestion du Land » pour qu’elle devienne « plus efficace », « plus proche des citoyens ». Autrement, « il faudrait 1 million de citoyens en plus, et où les prendre ? » Cette dernière idée, comment la comprendre ? Il semble que Ramelow met en avant un argument pour justifier son soutien futur aux suppressions d’emplois dans les services publics…

Il est donc clair que la ligne politique du parti Die Linke dans la Thuringe est la même que dans les Länder de Brandeburg et de Saxe. Die Linke se présente comme un parti gouvernemental potentiel menant une campagne électorale « campiste » contre la CDU, même s’il semble très peu probable que puisse se réaliser une participation gouvernementale dans la Thuringe.

Deux considérations supplémentaires

La première, Die Linke dans ces Länder n’intègrent pas les thèmes cruciaux de la politique au niveau fédéral dans ses campagnes et ses plateformes électorales. Entre autres, la participation de la Bundeswehr aux opérations guerrières de par le monde, qui est en contradiction flagrante avec la Constitution allemande, avec le « Grundgesetz », qui n’attribue à l’armée que des tâches de défense du territoire de l’Allemagne. Mais les Länder, dans la Chambre qui les représente, le Bundesrat, ont leur voix au chapitre pour les décisions politiques au niveau fédéral. Donc, Die Linke devrait, surtout si elle entend co-gouverner avec le SPD, clarifier d’avance l’attitude du Land et son comportement dans les votes sur ces questions au Bundesrat.

La deuxième, le parti Die Linke, dans les nouveaux Länder à l’est de l’Allemagne, ne risque pas seulement de perdre son image de parti en conflit avec la politique pro-capitaliste établie. Il risque aussi que s’efface son profil de défense de la mémoire (et pour certains, de la nostalgie) de ce qu’il y avait comme acquis, notamment en matière sociale et de sécurité existentielle en RDA. Déjà, des candidats de l’AfD, souvent des petits patrons – qui parlent contre l’euro et les « sacrifices allemands pour la Grèce », etc., qui articulent des revendications pseudo-démocratiques plébiscitaires et veulent restreindre l’immigration – disent publiquement (mais seulement dans les nouveaux Länder de l’est de l’Allemagne) « qu’en RDA c’était même mieux qu’aujourd’hui », cela pour canaliser à leur avantage la révolte contre la misère et le manque de perspectives.

* Tribune écrite pour la revue Viento Sur : http://www.vientosur.info/spip.php?...

Texte édité par la rédaction d’A l’Encontre. http://alencontre.org/

* Manuel Kellner est rédacteur de la SoZ – Sozialistische Zeitung (Journal Socialiste).

Manuel Kellner

Membre du syndicat allemand IG Metall.

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