Une épidémie qui gagne du terrain de jour en jour. Les derniers chiffres en provenance d’Haïti évoquent un bilan castrophique : depuis son apparition, fin octobre, l’épidémie a touché près de 20 000 personnes et provoqué 1 186 morts, selon le dernier bilan officiel. Selon l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), une branche de l’OMS, ces chiffres sont probablement sous-estimés. Alors même que la maladie est facile à traiter et à prévenir, l’organisation estime que 600 à 800 nouveaux cas apparaissent chaque jour sur l’île. Les projections de l’OPS prévoient que les 200 000 cas d’infection pourraient être atteints en six à douze mois.
Géographiquement aussi, l’épidémie progresse. Apparue dans le département d’Artibonite, dans le nord du pays, elle a gagné Port-au-Prince, la capitale, et commence à se répandre dans le sud. Un cas a par ailleurs été signalé en République dominicaine voisine et un autre en Floride.
Des ONG qui craignent d’être dépassées.
"Si le nombre de cas continue à augmenter au même rythme, je suis inquiet quant à notre capacité à contenir l’épidémie." Le docteur Mego Terzian, de Médecins sans frontières (MSF), rentre tout juste d’Haïti, où il a constaté un cruel manque de moyens et de personnel soignant déployés pour lutter efficacement contre la maladie. "Dans certaines régions du nord, les malades doivent marcher huit heures pour atteindre un centre de traitement, alors que le choléra peut tuer en moins de six heures, raconte-t-il. Il manque aussi des intervenants — ONG ou fonctionnaires haïtiens — pour s’occuper de la gestion de l’eau, de travaux d’hygiène, de sensibilisation des populations, de surveillance épidémiologique pour signaler les nouveaux cas. Même s’occuper des cadavres devient problématique : nous manquons de personnel et les habitants ont peur de le faire eux-mêmes."
Hélène Bonvalot, responsable du programme Haïti au Secours catholique, partage cette inquiétude. "La maladie se propage très rapidement : il suffit parfois de marcher pieds nus dans une flaque de boue contaminée pour l’attraper. Et l’Etat haïtien a une capacité d’intervention limitée : il est incapable de rétablir de bonnes conditions d’hygiène ou d’organiser les soins pour sa population."
Une situation dégradée par les catastrophes.
Haïti en 2010, c’est : le tremblement de terre du 12 janvier, qui a fait 250 000 morts et 1,5 million de sans-abri ; le passage de l’ouragan Tomas, début novembre, avec 21 morts et des dégâts considérables ; et désormais une épidémie de choléra. Le constat des ONG est unanime : chaque catastrophe aggrave les conséquences de la suivante. "L’épidémie est apparue avant le passage de Tomas, rappelle Violaine Dory, du Comité catholique contre la faim et pour le développement [CCFD]. Mais avec l’ouragan, tout s’est accéléré." Les infrastructures, déjà largement défaillantes, ont subi là le "coup de grâce" et les régions du nord se sont retrouvées sous l’eau, une situation favorable à la propagation de la maladie.
Quant au séisme, il avait lui aussi désorganisé le pays et entraîné des situations de promiscuité des habitants dans de mauvaises conditions d’hygiène. "La région d’Artibonite, d’où est partie l’épidémie, n’a pas été frappée par le séisme, rappelle Hélène Bonvalot, du Secours catholique. Mais nombre d’habitants de Port-au-Prince s’y étaient réfugiés et y habitent encore dans des conditions précaires."
Un climat de violence.
Depuis une semaine, des émeutiers attaquent régulièrement les soldats de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) déployés après le séisme. Les manifestants accusent les casques bleus, notamment népalais, d’avoir apporté le choléra. Jeudi, ils brandissaient des banderoles "la Minustah répand des excréments dans la rue". Au cours des affrontements de lundi, mardi et jeudi, trois manifestants ont été tués.
Selon un correspondant de CNN à Cap-Haïtien, depuis lundi, trente-cinq patients ont été admis pour des blessures par balle dans un hôpital de la ville. Ce climat tendu gêne encore un peu plus le travail des associatifs. "On a dû prendre des mesures inhabituelles de sécurité, notamment lors de nos déplacements", explique Hélène Bonvalot. Du côté de MSF, les violences provoquent des retards dans l’installation des centres médicaux et dans le transport des malades.
Un contexte politique pesant.
Le 28 novembre, les Haïtiens sont appelés à choisir un successeur au président René Préval parmi dix-neuf prétendants et à élire onze sénateurs et 99 députés. Nombre d’observateurs, parmi lesquels des responsables de l’ONU, voient dans les violences le résultat de ce contexte électoral et mettent en cause des agitateurs au service d’hommes politiques ayant intérêt à entretenir un climat de peur. Un employé humanitaire a ainsi indiqué à l’AFP que certains manifestants se voyaient offrir des bouteilles de rhum pour participer aux troubles.
Dans ce contexte, des voix se sont élevées pour demander le report du scrutin, au moins pour attendre le passage de l’épidémie. Mais il faudra peut-être plusieurs années pour éradiquer la souche de la maladie selon les scientifiques. Autre argument invoqué : la nécessité de voir émerger un exécutif et un Parlement légitimés par les urnes pour mieux attaquer la reconstruction du pays. Nigel Fisher, le coordonnateur humanitaire de l’ONU, répond de son côté avec le fatalisme de celui qui a vu les catastrophes se succéder sur l’île : "Si on ne vote pas maintenant, on votera quand ?"
Une maladie très contagieuse
Les personnes infectées par le choléra souffrent de diarrhées aiguës très liquides qui peuvent entraîner la mort très rapidement par déshydratation.
La contamination passe par l’absorbtion des vibrions cholériques, soit par la consommation d’eau ou d’aliments contaminés par des matières fécales, soit en portant à la bouche une main ayant touché les selles, les vomissements, les vêtements ou la peau d’un malade ou d’un porteur sain.