Donald Trump, encore craint mais guère respecté de par le monde, s’est risqué hors des frontières – qu’il voudrait davantage étanches – des États-Unis d’Amérique, histoire de se mesurer brutalement à la complexité des affaires qui lui sont étrangères. Sa tournée l’a mené chez des alliés qu’il pensait pouvoir mener par le bout du nez. Ce fut l’allégorie d’un fiasco graduel : un esprit sommaire se voulant jupitérien, descendu de son Olympe washingtonnien, s’est englué parmi les mortels – dont l’ingratitude est allée crescendo, puisque l’Américain, après avoir enregistré la soumission, essuya des rebuffades…
L’Orient compliqué ne saurait résister aux idées simples. Il pouvait sans doute encore croire M. Trump, pour qui le contrat d’affaires est la mesure de toutes choses. Comme le rappelleLe Monde : lors de la visite de Donald Trump à Riyad, les 20 et 21 mai, les États-Unis et l’Arabie saoudite ont annoncé des montants astronomiques d’investissements réciproques et de contrats commerciaux, qui devraient voir le jour au cours de la prochaine décennie. Le ministre saoudien des affaires étrangères, Adel al-Joubeir, a parlé de transactions immédiates ou à venir d’un montant de 380 milliards de dollars (337,67 milliards d’euros), dont 110 milliards de contrats militaires, que le porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer, a présentés comme « l’accord d’armement le plus important de l’histoire des États-Unis ».
S’agit-il de la contrepartie sonnante et trébuchante du réalignement stratégique des États-Unis sur les priorités de l’Arabie saoudite, à commencer par sa politique d’endiguement de l’Iran ? Dans le quotidien algérien El Watan et sous le titre « L’Arabie Saoudite a littéralement acheté sa protection », Lina Kennouche, chercheuse à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, estime que « le rapport de forces au sein de l’administration Trump a changé. La vision défendue par la frange idéologique incarnée par l’ex-conseiller à la sécurité nationale de Trump, Michael Flynn, et le stratège Stephen Banon, évincé du Conseil de sécurité nationale, selon laquelle l’ennemi principal est l’islamisme, d’où l’intérêt d’un rapprochement avec Moscou pour faire face au péril islamiste, a été battue en brèche. C’est le point de vue militaire qui s’est imposé : la contradiction principale demeure la Chine, la Russie et l’Iran. Si l’objectif est de renforcer le poids stratégique des États-Unis, il faut rompre avec l’approche du compromis et relancer la course aux armements ».
Lina Kennouche conclut : « Si cette coalition réunit uniquement les pays du Golfe, on peut alors s’interroger sur son efficacité. » Or au sein même des six pays du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Émirats arabes unis), l’unité sous le parapluie américain payé au prix fort a volé en éclats dès le 23 mai. Comme le relate TSA-Algérie, des propos attribués à Tamim Ben Hamad al-Thani, le jeune émir du Qatar, ont enflammé la Toile. L’émir Tamim aurait dit qu’il ne fallait pas s’attaquer à l’Iran, « une puissance islamique avec laquelle il faut compter puisqu’elle contribue à la stabilité de la région ». L’agence officielle qatarie Qana a vite réagi en annonçant que son site et que son compte Twitter ont été piratés et que les déclarations de l’émir Tamim sont inventées de toutes pièces. Cela n’a pas convaincu les médias saoudiens. Le journal Al Madina accuse Doha de « poignarder l’Arabie saoudite avec un couteau iranien ». Abdallah al-Adaba, rédacteur en chef du journal qatari Al Arab, a exprimé son étonnement quant à la reprise par les médias, notamment saoudiens, de fausses informations « dont le but est de semer la discorde entre les pays du Golfe ».
Des indiscrétions, publiées dans la presse arabe et américaine, parlaient de la mise en place d’une nouvelle organisation de défense, une « Otan arabe ». À peine le président américain avait-il tourné les talons que le front sunnite se lézardait, accentuant la mauvaise impression laissée par l’état d’impréparation et le manque de profondeur du discours phare (éteint) de Donald Trump sur l’islam. La comparaison avec la rhétorique déployée au Caire en 2009 par Barack Obama laisse son successeur sur le bas-côté de l’Histoire, estime le JDD : Donald Trump devait affirmer « une vision pacifique de l’islam », selon les termes de la Maison-Blanche. Mais son discours – plutôt offensif – s’est peu attardé sur la religion. Pendant une heure, le président américain n’a jamais utilisé le terme « islam », contrairement à Barack Obama, qui l’avait employé à dix-huit reprises, citant plusieurs fois le Coran à l’université al-Azhar du Caire. Le démocrate avait aussi entamé son discours par un « salam aleikoum » très applaudi. Le milliardaire, lui, s’est contenté de parler une fois seulement de la « foi islamique » et du « monde islamique ». En définitive, le discours de Donald Trump n’avait rien du discours sur l’islam annoncé par Washington.
Et le JDD d’enfoncer ainsi le clou : Donald Trump a parfois repris une rhétorique qui pourrait rappeler celle d’un autre de ses prédécesseurs, George W. Bush, qui avait théorisé l’axe du malhttp://www.lejdd.fr/International/A.... À Riyad, il a ainsi parlé cinq fois du « diable » – un terme jamais employé par Barack Obama au Caire – et de « Dieu » à neuf reprises. Il a aussi parlé neuf fois du « terrorisme » et on relève huit occurrences du terme « terroristes », deux mots que son prédécesseur n’avait jamais utilisés. Barack Obama évoquait alors plutôt les « extrémismes » et « extrémistes » qui ont exploité « une minorité de musulmans ».
Dans un article d’une grande sévérité publié sur le site del’Independent de Londres,un vétéran du journalisme, contempteur des erreurs de l’Occident, Robert Fisk, met ainsi les choses au point : « “Nous adoptons un réalisme de principes, ancré dans des valeurs communes et des intérêts partagés”, a déclaré Trump aux Saoudiens et aux dirigeants d’une cinquantaine de pays musulmans dimanche. Mais quelles sont donc ces valeurs ? Quelles valeurs les Américains partagent-ils avec les Saoudiens coupeurs de têtes, misogynes, antidémocratiques, dictatoriaux, autres que les ventes d’armes et le pétrole ? Et quand Trump a déclaré que “nos amis ne remettront jamais en question notre soutien, et nos ennemis ne douteront jamais de notre détermination”, est-ce que ses amis étaient censés être les Saoudiens ? Ou le “monde islamique”, qui devrait certainement inclure l’Iran, la Syrie et le Yémen – et les milices belligérantes de Libye ? En ce qui concerne les “ennemis”, parlait-il de Daech ? De la Russie ? De la Syrie ? Ou de l’Iran, dont le président nouvellement élu veut sûrement la paix avec l’Amérique ? Ou bien, comme une partie du monde musulman le déduira avec de bonnes raisons, déclarait-il son amitié avec les musulmans sunnites du monde et son inimitié envers les musulmans chiites ? »
Un mandrill faisant le paon
Après le royaume saoudien, terreau du wahhabisme rétrograde, borné, meurtrier, le président Trump s’est envolé pour Israël, démocratie terriblement tempérée par une forme de développement séparé confinant parfois au racisme, depuis la victoire de 1967, voilà bientôt un demi-siècle. Charles de Gaulle, en novembre de cette année-là, décrivaitavec une hauteur de vue inégalée, « l’occupation, qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion » des territoires dévolus aux Palestiniens par l’État hébreu.
Donald Trump est arrivé, en prétendu VRP d’une pseudo-paix, sans doute intimement persuadé que tout cela se négocie sur un coin de table, telles des rétrocommissions : « Nous avons devant nous une occasion rare d’apporter la sécurité, la stabilité et la paix dans cette région », déclarait-il lundi 22 mai, à l’aéroport international de Tel-Aviv. La paix n’a pourtant jamais paru à ce point inatteignable, les dernières négociations israélo-palestiniennes, sous l’égide américaine, ayant échoué en avril 2014. M. Trump, sur le fond, s’est contenté de petits pas – fussent-ils ceux d’un éléphant dans un magasin de porcelaine ! – en direction de Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, puis, mardi 23 mai, à Bethléem en Cisjordanie, vis-à-vis du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
L’effet d’annonce ayant fait pschiit, ne restait au locataire de la Maison Blanche qu’à passer son examen dans l’ordre du symbolique. L’échec fut patent, ainsi qu’en témoigne un exercice propre à disqualifier tout butor : la signature du livre d’or de Yad Vashem. Celui d’Auschwitz avait jadis donné lieu àun petit livre remarquable d’Adrien Le Bihan, qui relevait la prose poignante d’un Charles de Gaulle (encore lui !) autant que les petits mots ridicules de marquis poudré d’Édouard Balladur. À Jérusalem, Donald Trump fit pire que tout, malgré les dénégations du site Europe Israël News, laissant un petit mot insensible et enjoué, du genre « la vie est belle », qui tranchait avec les lignes de ses prédécesseurs, Barack Obama et même George Bush :
Face à six partenaires très certainement effarés
À l’image de la voiture blindée du président américain, « The Beast », d’une largeur incommensurable, au point de se montrer incapable de passer le porche du palais royal de Sa Majesté le roi des Belges, plus rien ne passe de la part d’un politicien accidentel, prisonnier de son enfantillage vétilleux (il ne consommerait, partout et en tout lieu, que du steak nanti de ketchup, tout en se faisant servir au dessert deux boules de glace là où ses commensaux n’ont droit qu’à une seule). Des spécialistes de la communication non verbale glosent à l’envi sur la gestuelle pleine de défiance et de mépris affichée par les chefs d’État et de gouvernement au siège de l’OTAN, lors de l’admonestation d’un Donald Trump bombant le torse pour expectorer ses récriminations toujours liées à un rapport à l’argent découlant de toute évidence – et c’est gênant pour tout le monde – du stade anal.
Cela devient viral, tant l’émetteur semble avoir le virus du geste qui tue. Il y a sa façon de bousculer – ôte-toi de là que je m’y mette ! – le premier ministre du Monténégro. Il y a sa façon de pratiquer la poignée de main prédatrice, transformant son bras en bielle de locomotive à vapeur entraînant vers soi tout interlocuteur distrait ou poli. Au point quela séance de la main serrée, sinon broyée, devient le nec plus ultra (de toute façon il n’y a pas autre chose !) pour les commentateurs, dans ce qu’il faut bien appeler un Barnum intégral : la rencontre avec King Kong !
Le président français a joué de son contraste (le jeune intelligent) au point de harponner la presse étrangère, tout en constituant, sémiotiquement, une alliance symbolique se posant en rempart à la pénible pesanteur trumpienne, avec un autre chevau-léger du libéralisme postmoderne, Justin Trudeau, premier ministre du Canada.
Par-delà les images, le folklore et le petit sensationnel : une force de nuisance colossale d’un président américain sorti de sa tanière avec une réticence ostentatoire. Il apparaît probable qu’il délègue dorénavant le plus possible cette corvée de la représentation à l’extérieur au vice-président Mike Pence. En attendant : il faut attendre le retour aux États-Unis pour que mûrissent les décisions, comme s’il était impossible de réfléchir ou trancher ailleurs ! Le G7 en a été pour ses frais samedi 27 mai, à Taormina, en Sicile. Les chefs d’État concernés se sont en effet engagés à lutter contre le protectionnisme, passant outre les résistances de Donald Trump, qui continue à développer sa position de « l’Amérique d’abord ». Mais ils ne sont pas parvenus à s’accorder sur la question de la lutte contre le réchauffement climatique. En dépit des pressions répétées des Européens (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne et Union européenne), du Canada et du Japon, le président étatsunien n’a pas cédé. La déclaration finale du sommet témoigne brutalement d’une désunion sur la question du climat, une première après des dizaines de communiqués du G7 affirmant la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Emmanuel Macron a prétendu percevoir « un progrès » dans ces négociations. « Il y a quelques semaines encore on pensait que les États-Unis allaient quitter le cadre des accords de Paris et qu’aucune discussion ne serait possible. Je pense que les arguments qui ont été mis en lumière par les six autres États membres ont permis à M. Trump de prendre conscience de l’importance de cet enjeu et de sa nécessité, y compris pour sa propre économie », a déclaré le président français. Façon de ne pas humilier Donald Trump en faisant confiance à sa réflexion à tête reposée ?
Excédée, la chancelière allemande s’est montrée plus directe et sans doute plus lucide, tant Donald Trump a illustré par le passé – que ce soit vis-à-vis de Barack Obama ou même de Hillary Clinton – à quel point il est incapable de faire face les yeux dans les yeux, pour se venger ensuite à coups de tweets rageurs ou de décisions prises sous la protection de ses conseillers. Fine mouche, Angela Merkel a donc déclaré à l’issue de ce lamentable (« pas du tout satisfaisant », dit-elle) sommet du G7 : « Nous avons ici une situation à six contre un, ce qui signifie qu’il n’y a encore aucun signe quant à savoir si les États-Unis resteront ou non dans l’accord de Paris. »
Nous en saurons bientôt plus, à mesure des confidences qui ne manqueront pas,à propos des incidents ayant opposé un président Trump cavalier, grossier, inattentif, expéditif et fuyant, à six partenaires très certainement effarés. Jacques Attali, jadis sherpa du sommet du G7 dont François Mitterrand était l’hôte (à Versailles en 1982), devait raconter plus tard comment, dans un coin du château, son homologue américain se contorsionnait de honte face à la nullité du président Reagan qu’il servait le cœur gros et la conscience lourde. Donald Trump paraît bien pire encore. À l’heure des réseaux sociaux et des fuites organisées par tout ce que l’administration américaine compte d’esprits encore sains, gageons que les ravages de cette tournée trumpienne apparaîtront avec netteté, même si une partie de la presse maquille parfois la scène du crime géopolitique…
En attendant, on croit entendre le proverbe corrézien que ne manquerait pas de murmurer, dents serrées, le président Chirac s’il était encore en fonction, face à la position butée de Donald Trump quant aux accords de Paris : « On ne fait pas avancer un âne qui chie ! »
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