6 avril 2023 | tiré de Rabble.ca | Une photo d’un point d’inspection de l’ASFC.Crédit : Bohao Zhao / WikiMedia Commons
L’une des deux familles qui se sont noyées la semaine dernière en tentant de traverser le fleuve Saint-Laurent du Canada aux États-Unis, en passant par le territoire mohawk d’Akwesasne, étaient des Roms (souvent appelés par le terme péjoratif de Tsiganes) de Roumanie.
Les Roms constituent un groupe minoritaire important en Roumanie et dans plusieurs autres pays d’Europe centrale et orientale, notamment en Hongrie. Ils constituent le groupe minoritaire le plus important en Hongrie, avec entre trois et quatre pour cent de la population.
Le couple qui s’est noyé, Florin et Cristina Zenaida Iordache, tous deux âgés de 20 ans, vivait au Canada depuis environ cinq ans.
Ils ont décidé d’essayer d’entrer aux États-Unis, avec leurs deux enfants nés au Canada âgés d’un an et deux ans, alors qu’ils étaient sur le point d’être expulsés vers la Roumanie – un pays où les Roms sont de facto des citoyens de seconde zone et où le couple avait de bonnes raisons de croire qu’il ferait l’objet d’une discrimination systématique en matière de logement, d’emploi et d’éducation.
Les efforts des Iordache pour obtenir le statut de réfugié au Canada avaient échoué et ils n’avaient plus de possibilités d’appel. Les autorités canadiennes leur avaient acheté des billets d’avion.
Les gens désespérés feront des choses désespérées. Il est peu probable, cependant, que le couple ait parfaitement compris à quel point il peut être dangereux de traverser subrepticement le large et turbulent Saint-Laurent en mars.
Les Conservateurs de Harper diabolisent les Roms
Cette tragédie donnera aux Canadiens qui se souviennent des débats publics massifs sur les réfugiés Roms à l’époque du gouvernement conservateur de Stephen Harper de très mauvais souvenirs.
Cet auteur est l’un d’entre eux.
En 2011, avec Malcolm Hamilton et Jack Jedwab, j’ai réalisé un film documentaire, commandé par le réseau de télévision multilingue OMNI, sur les nombreux Roms européens qui cherchaient refuge au Canada et les conditions de vie désastreuses pour eux dans les pays d’où ils venaient.
À cette époque, un nombre relativement important de Roms originaires de quelques pays d’Europe centrale et orientale arrivaient chaque mois dans les aéroports canadiens et demandaient l’asile.
Ces réfugiés potentiels ont déclaré aux autorités canadiennes qu’ils étaient constamment harcelés dans leur pays d’origine par la police et d’autres fonctionnaires, qui nourrissaient des préjugés séculaires à leur encontre.
Pire encore, ils ont dit qu’ils étaient les menaces – objets d’actes – de violence de la part de gangs de hooligans d’extrême droite. En règle générale, la police était, au mieux, indifférente aux attaques contre les Roms.
Le dernier gouvernement conservateur du Canada n’aimait pas trop ces migrants en provenance d’Europe. En fait, le ministre de l’Immigration de l’époque, Jason Kenney, a lancé ce qui équivalait à une campagne de propagande concertée contre eux.
Kenney a qualifié les Roms de faux réfugiés. Il les a accusés de chercher à entrer au Canada non pas pour fuir les dangers et la persécution, mais seulement pour bénéficier des avantages sociaux et de santé de notre pays.
Le ministre conservateur vedette, qui aura plus tard une carrière mouvementée en tant que premier ministre de l’Alberta, a soutenu que si les provinces cessaient simplement d’être aussi généreuses avec ces migrants indésirables, elles cesseraient de venir.
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La position du gouvernement Harper était que des pays comme la Hongrie et la Slovaquie étaient des démocraties libérales occidentales, qui garantissaient tous leurs droits à tous leurs citoyens, tout comme nous le faisons ici au Canada.
Pour décourager les demandeurs d’asile de ces endroits épris de droits de la personne, les partisans d’ Harper ont modifié la loi canadienne sur les réfugiés.
Ils ont inventé une nouvelle catégorie appelée pays d’origine désignés comme pays sûrs. Les demandeurs d’asile originaires de pays ainsi désignés seraient confrontés à des obstacles bureaucratiques élevés. Et ce seraient des politiciens partisans, et non des fonctionnaires neutres ou des experts des droits de l’homme, qui auraient le pouvoir discrétionnaire exclusif de décider quels pays d’origine étaient considérés comme sûrs.
Cette disposition était semblable à l’Entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-Unis, mais distincte de celle-ci. Ce dernier permet au Canada d’interdire l’entrée aux demandeurs d’asile en provenance des États-Unis en se fondant sur l’idée, que beaucoup disent profondément erronée, que notre voisin du Sud est un refuge sûr pour les réfugiés.
Il y a plus d’une décennie, le gouvernement Harper a veillé à ce que les fonctionnaires de l’agence chargée de déterminer qui est admissible au statut de réfugié et qui ne l’est pas, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR), reçoivent le message au sujet de sa nouvelle liste de pays désignés.
Le taux de rejet des demandeurs d’asile Roms d’Europe a grimpé en flèche en 2012. En conséquence, de nombreux Roms se sont découragés et ont tout simplement abandonné leurs revendications.
Les Roms sont désormais mieux acceptés
Lorsque l’équipe Trudeau est arrivée au pouvoir en 2015, elle a apporté avec elle une nouvelle attitude plus ouverte et plus tolérante envers les réfugiés.
Les Libéraux se sont débarrassés de la désignation de pays d’origine sûr et ont traité tous ceux qui demandaient le statut de réfugié sur un pied d’égalité juridique.
Résultat : le Canada a commencé à accepter les demandes d’asile d’une grande proportion de demandeurs d’asile Roms.
La CISR publie chaque année des chiffres sur les réfugiés dans le système. Pour 2022, ces statistiques montrent que nous avons accepté 135 demandes d’asile de Hongrie – dont la plupart provenaient de Roms – sans en rejeter aucune.
Pour les demandeurs roumains, le tableau était plus mitigé – 103 acceptés, 45 rejetés.
Il pourrait y avoir de nombreuses raisons à de tels rejets. Les fonctionnaires qui se prononcent sur les demandes d’asile présentées par la CISR ne sont pas des fonctionnaires. Ce sont des personnes nommées pour des raisons politiques.
Il y a encore des fonctionnaires de la CISR qui ont été nommés à l’époque de Harper, et les « juges » de la CISR, comme on les appelle parfois, ont une grande latitude. Une certaine dose d’instinct et de subjectivité entre inévitablement dans les décisions de la CISR.
Les politiciens et les activistes qui veulent que le Canada maintienne un système d’octroi de l’asile serré et restrictif citent la théorie du canot de sauvetage. Notre canot de sauvetage canadien n’a tout simplement pas la capacité, disent-ils, de servir de refuge à tous les opprimés et persécutés du monde.
Cet argument ne tient pas compte du fait que la plupart des réfugiés dans le monde se trouvent dans des pays proches de zones de conflit. Il y a des centaines de milliers de Syriens, par exemple, en Turquie et en Jordanie voisines.
Le Canada est protégé par son isolement relatif et son inaccessibilité. Seul un petit filet de réfugiés dans le monde peut faire une demande ici.
De plus, il y a ceci : en février dernier, au Canada, nous avions accueilli plus de 130 000 Ukrainiens fuyant la guerre dans leur comté. Nous les avons admis dans le cadre d’un programme spécialement créé qui leur permet de contourner le processus normal de détermination du statut de réfugié.
Lifeboat Canada ne semble pas aussi encombré et fuyant lorsque nous sommes très motivés.
Peut-être que la tragédie d’Akwesasne donnera une certaine pause à des fonctionnaires de la CISR qui, dans bien des cas, ont quelque chose qui ressemble à un pouvoir de vie ou de mort sur des gens craintifs et anxieux.
Si c’est le cas, il sera trop tard pour au moins une famille.
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