Il y a une quinzaine de jours, ils étaient des dizaines de milliers à manifester sur la place Rabin. Samedi 30 juillet, ils étaient à Tel-Aviv mais aussi dans toutes les grandes villes du pays. Près de 200 000 manifestants se sont réunis pour exiger que l’État serve le peuple et non l’inverse.
L’écrivain David Grossman l’a bien résumé : "L’État a trahi le peuple." Depuis plusieurs semaines, au coeur de Tel-Aviv, sur la fameuse avenue Rothschild, des milliers d’Israéliens logent dans des tentes. Des centaines de jeunes les rejoignent quotidiennement. La révolte des tentes s’est d’ailleurs étendue à Jérusalem, Haïfa, Beer Sheva et d’autres grandes villes.
Aussi, des milliers de parents avec leurs enfants dans des poussettes ont défilé à Tel-Aviv pour exiger les moyens d’élever dignement leurs enfants. Les médecins poursuivent également leur mouvement de grève. Ces derniers jours, des centaines ont marché vers Jérusalem. Leur leader a même entamé une grève de la faim. Tous rejettent un système politique où le pouvoir et l’argent ne font qu’un, où la corruption est devenue monnaie courante.
N’oublions pas tous les premiers ministres de leur génération qui ont été mis en examen. Le dernier d’entre eux, Ehud Olmert a été jugé, l’ex-ministre de l’économie et celui de la santé sont en prison, tandis que l’ex-président a été condamné pour viol. Enfin, Ehud Barak a dû, à plusieurs reprises, s’expliquer à la police sur des millions accumulés, alors qu’il a été militaire durant presque toute sa carrière.
Un vent de changement
Les Israéliens se réveillent pour dire leur indignation, pour exiger le départ de Benyamin Nétanyahou. Ils réclament un changement des priorités nationales, exigent plus de logements sociaux, une baisse des prix de l’immobilier, un travail mieux rémunéré ou du travail tout court, une baisse générale des prix, un plus grand pouvoir d’achat, la gratuité de l’éducation dès la maternelle, un meilleur système de santé, la fin des monopoles et de la mainmise sur l’économie par une poignée de milliardaires qui contrôlent la presque totalité des richesses du pays.
Ce changement de priorités devra obligatoirement passer par des réductions importantes du budget de la défense, qui demeure galopant et si bien protégé par le ministre de la défense et son entourage. Le coût d’un avion de guerre permettrait à 60 000 étudiants la gratuité annuelle de leurs études, celui d’un tank permettrait à 10 000 collégiens la gratuité de leur scolarité, celui d’un fusil-mitrailleur à un jeune couple d’augmenter ses revenus de 10 %.
Pour satisfaire leurs revendications, il faudra passer par la "case paix", et arrêter d’investir dans les colonies le paiement par l’État de salaires aux colons. Il faudra réduire le budget militaire, engraissé régulièrement par des dépenses souvent injustifiées et par une culture de la peur que nourrit le pouvoir. Comme à Tunis, au Caire, à Madrid ou à Damas, les Israéliens s’organisent, se mobilisent et communiquent via les réseaux sociaux.
À Tel-Aviv un nouvel ordre économique, social et certainement politique se construit. Comparé par certains à l’euphorie de la création de l’Etat d’Israël, un vent de changement souffle. Tôt ou tard, il atteindra les voisins palestiniens car c’est bien du même combat qu’il s’agit : celui de l’espoir contre la peur, celui de la justice, de la liberté, d’échanges économiques, scientifiques et culturels, celui d’un avenir meilleur.
L’auteur est président et cofondateur du Forum international pour la paix.