20 janvier 2022 | tiré de mediapart.fr
https://www.mediapart.fr/journal/international/200122/le-parti-republicain-poursuit-son-offensive-contre-le-systeme-electoral-americain
New York (États-Unis).– Avant l’élection présidentielle de 2020, pas grand monde ne savait ce qu’était un « Secretary of State ». Ce poste obscur, à ne pas confondre avec le secrétaire d’État (équivalent du ministre des affaires étrangères), existe dans presque tous les États américains. Élu·es, celles et ceux qui l’occupent sont notamment chargé·es de superviser la tenue des différents scrutins dans leur territoire, dont l’élection présidentielle - dans le système fédéral américain, les États fédérés sont chargés de l’organisation des élections.
Depuis que Donald Trump a fait croire que la Maison Blanche lui avait été « volée », son parti s’intéresse de près à ces postes clés. Au total, quinze candidat·es du parti républicain se présentent dans les vingt-sept États qui éliront leurs secrétaires d’État en novembre, à l’occasion des élections de mi-mandat.
Certain·es ont reçu l’adoubement de Donald Trump. C’est le cas de Mark Finchem, un élu complotiste de l’Arizona devenu l’un des visages de « Stop the Steal », le mouvement de contestation de la victoire de Joe Biden. Ou encore Jody Hice, un député de Géorgie qui s’est opposé à la certification des résultats de la présidentielle. Il se présente face à Brad Raffensperger, le « Secretary of State » républicain sortant, qui a commis le crime de lèse-majesté de s’opposer aux pressions de Donald Trump pour revenir sur les résultats en Géorgie, favorables à Joe Biden.
Comme Hice et Finchem, un grand nombre de ces candidat·es se présentent dans des « Swing States », des États critiques pour déterminer l’issue de la présidentielle et la majorité au Congrès.
L’engouement soudain autour de ces sièges reflète une nouvelle ambition du camp trumpiste : prendre le contrôle de la mécanique électorale pour mieux contester l’intégrité de futures élections qui lui seraient défavorables. Une perspective qui inquiète grandement les expert·es et les organisations civiques.
Cet effort a débuté après la défaite de Trump en novembre 2020, quand le milliardaire fou a commencé à proférer son « Grand Mensonge » (« Big Lie ») sur une prétendue fraude électorale massive qui aurait permis à son rival d’accéder à la Maison Blanche.
Depuis, élu·es, médias conservateurs et militant·es s’en sont saisi. Sans vraiment avoir le choix : même un an après l’investiture de Joe Biden, 54 % des personnes s’informant principalement sur Fox News et 52 % des électeurs et électrices de Trump sont convaincues qu’une « fraude majeure » a permis à Biden d’être élu, d’après unrécent sondage NPR/Ipsos auprès de 1 126 adultes.
Dans les mois qui ont suivi la victoire de Joe Biden, portée par une mobilisation importante des jeunes et des populations racisées, le parti républicain a eu recours à plusieurs leviers pour « restaurer la confiance » ou « protéger » le système électoral. Il a agi directement sur l’accès au vote en imposant de nouveaux contrôles dans les États où il est majoritaire au parlement local, et où il détient le siège de gouverneur.
Dans nombre de cas, ce serrage de vis se traduit par des restrictions supplémentaires pour les populations qui votent traditionnellement démocrate (pauvres, jeunes, populations urbaines et non blanches…). Une pratique connue sous le nom de « suppression d’électeurs » (« voter suppression »).
Au total, le Brennan Center for Justice, un organisme civique indépendant, a recensé en 2021 l’adoption de pas moins de trente-quatre lois visant à rendre l’accès aux urnes plus compliqué dans dix-neuf États. Un record depuis que le centre a commencé à établir des statistiques sur la question dix ans plus tôt. Au moins treize autres lois restrictives sont dans les cartons, suggérant que la remise en cause du droit de vote « continuera d’être une menace sérieuse » cette année, résume le Brennan Center.
Ces restrictions prennent des formes diverses. Dans de nombreux États, elles se manifestent par une limitation du vote par correspondance, en raccourcissant les délais d’envoi des bulletins de vote ou en exigeant des preuves d’identité supplémentaires, dont ne disposent pas les populations les plus défavorisées ou marginalisées, souvent proches de la gauche.
Autres leviers : rendre l’inscription sur les listes électorales plus difficile, réduire le nombre de bureaux de vote ou les horaires du vote anticipé (« Early Voting », la possibilité de voter avant le jour officiel de l’élection, « Election Day »). Cette dernière option, qui s’est généralisée pendant la pandémie, a été largement utilisée par les démocrates, soucieux d’éviter les foules massées dans les bureaux lors de l’Election Day. L’électorat de Trump, qui ne croyait pas à la dangerosité du virus, n’avait pas le même souci…
Certains législateurs se montrent inventifs. Au Texas, la loi « SB 1 », adoptée en septembre 2021, interdit ainsi le « drive thru voting », la possibilité de voter à l’urne en restant dans son véhicule. Celle-ci a été mise en œuvre en 2020 dans le comté largement démocrate de Harris, où se trouve Houston.
Elle impose aussi de nouvelles règles de déclaration à celles et ceux qui assistent les personnes handicapées ou maîtrisant mal l’anglais, ou qui acheminent des groupes aux bureaux de vote. Une mesure qui semble cibler les associations qui affrètent des vans et des minibus pour aider les populations privées de moyens de locomotion (pauvres, seniors...) à se rendre aux urnes.
Dans l’Arizona, une loi prive les personnes inscrites sur une liste de vote anticipé de la possibilité de recevoir un bulletin de vote à domicile sans avoir participé à au moins un scrutin tous les deux ans. Près d’un quart des noms sur cette liste sont hispaniques, un électorat proche des démocrates.
« Les Américains sont très sensibles à l’obstruction électorale, compte tenu de l’héritage ségrégationniste. Ils s’y opposent quand elle est évidente. Les partis agissent donc de manière indirecte pour restreindre l’accès aux urnes », explique Bernard Tamas, professeur associé de sciences politiques à la Valdosta State University, en Géorgie.
Ce dernier État est un cas d’école. Sous le choc de la victoire de Biden en 2020, la première fois depuis 1992 qu’un démocrate s’imposait dans cet État conservateur, le parti républicain s’est activé pour enrayer ce dangereux glissement à gauche : il a dégainé « SB 202 », une loi qui avance notamment la date butoir pour participer au vote par correspondance et réduit l’accès aux « drop box », des boîtes sécurisées où l’on pouvait déposer son bulletin à n’importe quel moment de la journée.
La promesse de Joe Biden de protéger le droit de vote est restée lettre morte pour le moment.
La loi SB 202 interdit aussi la distribution d’eau et de nourriture autour des bureaux de vote. Ce point a son importance. Aux élections de 2020, beaucoup d’habitant·es d’Atlanta et de sa banlieue, une zone largement démocrate et non blanche, ont attendu des heures pour pouvoir voter. Face aux longues files d’attente, des associations sur place s’étaient mobilisées pour leur distribuer des vivres.
Car en Géorgie comme dans d’autres « Swing States », tous les bulletins comptent : Joe Biden s’y est imposé avec 12 000 petites voix d’avance face à Trump. « Il n’y a aucune raison pour que quelqu’un qui distribue des bouteilles d’eau tente d’influencer le vote. L’objectif des républicains est de rendre la participation électorale moins confortable », résume Bernard Tamas.
L’expert s’inquiète d’une autre disposition dans la loi, plus technique. En effet, SB 202 donne plus de pouvoir au parlement de Géorgie, contrôlé par le parti républicain, pour intervenir dans l’administration et la supervision des élections.
« Cela pourrait ouvrir la porte à l’invalidation de certains bulletins de vote, à des changements de résultats… On ne peut pas exclure cette possibilité. Jusqu’à présent, le système électoral reposait largement sur des normes héritées de traditions. Or, on ne peut plus compter dessus. Ces dernières années, des choses impensables se sont produites dans le monde politique ! », reprend Bernard Tamas.
Pour la droite de Géorgie et d’ailleurs, l’objectif n’est pas uniquement de réduire le plus possible la force de frappe démocrate. Il s’agit aussi de motiver son propre camp. En effet, convaincu·es par Donald Trump d’un trucage de l’élection de 2020, certain·es avaient perdu confiance dans le système électoral et se sont démobilisé·es.
Malheureusement pour les démocrates, la promesse de Joe Biden de protéger le droit de vote est restée lettre morte pour le moment. L’adoption d’un texte de loi établissant notamment des garanties contre la « suppression électorale » s’est heurtée, mercredi 19 janvier, à l’opposition républicaine au Sénat. Un peu plus tard dans la soirée, toujours au Sénat, les démocrates centristes Joe Manchin (Virginie Occidentale) et Kyrsten Sinema (Arizona) ont donné un second coup de poignard au président. Au nom de la recherche de compromis avec le parti républicain, ils ont tué une tentative de changement de règle qui aurait facilité l’adoption d’une réforme électorale sans les voix de l’opposition.
Tandis que le parti de Joe Biden tergiverse, ses adversaires ne s’arrêtent pas. En ligne de mire : les élections de mi-mandat de novembre, où une grande partie du Congrès sera renouvelée. Joe Biden l’a reconnu mercredi lors d’une conférence de presse. Les temps sont difficiles. « Je sais qu’il y a beaucoup de frustration et de fatigue dans ce pays », a-t-il dit.
Alexis Buisson
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