24 MAI 2020 | tiré de ricochet.info
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Au début de l’épidémie de COVID-19, les autorités de la santé publique, gouvernementales et municipales du Québec ont rapidement prescrit les mesures de distanciation et de confinement qui s’imposaient, suivies de la fermeture des services non-essentiels. Elles ont évité le débordement tant redouté du système hospitalier. Mais, en ne se comparant qu’à leurs propres prévisions les plus pessimistes et non à d’autres provinces et pays, la Santé publique et le gouvernement Legault n’ont pas compris assez tôt l’ampleur du problème des Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) et des Résidences pour aîné.es (RPA).
Malgré l’adhésion des Québécois aux prescriptions sanitaires, l’épidémie a fait proportionnellement plus de ravages au Québec que dans les autres provinces et la plupart des pays. Les mesures de distanciation et de confinement avaient réussi à protéger la population générale à l’extérieur de la région de Montréal, mais la COVID-19 a frappé excessivement dans des CHSLD, des RPA et des quartiers défavorisés de Montréal où résident plusieurs immigrants travaillant dans les CHSLD. C’étaient, ironiquement, les populations les plus vulnérables que la Santé publique voulait le plus protéger.
Le Québec a mis plus de temps que d’autres provinces et pays à infléchir la courbe d’incidence des cas et surtout la courbe de la mortalité. Maintenant que nous sommes finalement en voie de contenir l’épidémie, le déconfinement va nous exposer à de nouveaux risques d’éclosions en réduisant de facto la distanciation physique et en multipliant les contacts contagieux. La situation à Montréal est particulièrement instable et incertaine, comme l’a montré la modélisation mathématique de l’INSPQ et de l’Université Laval (Brisson et coll., 8 avril). Pour déconfiner la région de Montréal et les CHSLD et RPA sans répéter la tragédie de la première vague de COVID-19, il faut absolument prendre des mesures préventives additionnelles nécessaires pour compenser la perte de distanciation physique.
Le port du masque dans les espaces publics restreints ou fermés est la mesure-barrière ultime nécessaire et la plus efficace lorsque les gens se retrouvent à moins de deux mètres les uns des autres. Mais comment convaincre les gens et les marchands si même les directions de la santé publique semblent peu convaincues de sa nécessité et de son utilité réelle ? Avons-nous bien pris la mesure de nos difficultés à contenir la première vague de COVID ? Quelles données militent pour le masque obligatoire dans des lieux publics fermés ?
Les autorités ont méjugé et embelli la situation
Le 10 avril dernier, 30e jour de l’épidémie au Québec, après avoir atteint un cas par million, alors que la crise des CHSLD explosait et que les décès augmentaient presque aussi rapidement qu’en France et en l’Italie au 30e jour de leurs épidémies respectives (voir le graphique des moyennes mobiles 7 jours), le premier ministre et le directeur de la Santé publique laissaient entrevoir le début du déconfinement début-mai. Leur intempestivité était aberrante.
Le 15 avril, au 35e jour, la Direction de la santé publique (DSP) nous proposait la courbe épidémique du Portugal comme « modèle réaliste » pour le Québec. Pourtant, depuis dix jours épidémiques déjà, la courbe de mortalité par million du Québec dépassait et s’éloignait très rapidement de celle du Portugal. Il aurait fallu plutôt souligner nos difficultés, resserrer les mesures sanitaires et recommander de nouvelles mesures comme le port de masques dans les espaces publics restreints .
Depuis le début de mai, le Québec a fortement infléchi sa courbe de mortalité. Mais, le 20 mai, au 68e jour, le Québec comptait, par million de population, 36 % moins de tests que le Portugal à durée épidémique égale, deux fois plus de cas cumulatifs, quatre fois plus de nouveaux cas par jour, quatre fois plus de décès cumulatifs et quatre fois plus de nouveaux décès par jour. Clairement, le Québec avait complètement dévié de la cible portugaise. L’ampleur de l’échec du Québec à atteindre son « objectif Portugal » dans la première vague de COVID-19 doit nous mettre en garde contre toute insouciance dans le déconfinement en cours.
Dans ces conditions, le Québec doit aborder le déconfinement avec grande prudence et modestie, surtout à Montréal où la mortalité dépassait à la mi-mai 25 décès par jour par million de personnes et où la situation est présentement instable sur le plan épidémique (voir à ce sujet les données de l’Institut national de santé publique du Québec ou INSPQ).
Les difficultés du déconfinement
Plusieurs facteurs rendent ardue la maîtrise du déconfinement dans la région métropolitaine et à Montréal en particulier : la densité de la population, le fort taux de pauvreté et de défavorisation, les nombreux immeubles à appartements, l’état délabré d’une partie du parc immobilier, la forte proportion de la population travaillant dans de grands magasins, des immeubles à bureaux - parfois dans des gratte-ciel – et des usines, et l’utilisation intense des transports collectifs et de lieux publics fermés, particulièrement au centre-ville.
Tout déconfinement progressif entraîne forcément une diminution de la distanciation physique et une augmentation des contacts avec des personnes contagieuses dans les lieux très achalandés : métro de Montréal, autobus, trains, centres commerciaux, lieux d’enseignement, lieux de travail, centres de sport, épiceries, supermarchés et rues commerciales. Des dizaines de milliers de personnes se fréquenteront dans ces lieux publics toute la journée, tous les jours, respirant le même air, touchant des surfaces communes, favorisant la contagion. La modélisation mathématique de l’INSPQ démontre qu’une augmentation de seulement 10 à 15 % des contacts pourrait relancer l’épidémie. Les transports en commun surtout, mais aussi le retour au travail, ajouteront ces 10 à 15 % de contacts supplémentaires.
Faute de distanciation adéquate, le port généralisé du masque sera de facto la principale barrière à la transmission du virus, en plus de conditions comme la réduction du nombre de banquettes utilisables dans les transports et certains lieux publics, le dépistage et le traçage accrus, la distanciation, l’hygiène personnelle, etc. Mais les masques sont-ils efficaces ?
L’efficacité du masque dans les lieux publics est démontrée
Les études épidémiologiques et cliniques sur l’efficacité du port du masque, médical ou non-médical (« artisanal »), dans la population sont de qualité inégale et sont partagées entre résultats positifs montrant l’efficacité du masque et résultats « non concluants », mais aucune étude valide n’a démontré un effet nuisible. Contrairement à ce que disait le directeur de la Santé publique, dans leur ensemble, les données et les études récentes suggèrent ou démontrent l’efficacité anti-épidémique du port du masque généralisé.
Une méta-analyse (revue systématique) de la littérature scientifique publiée en 2011 par la Cochrane Database of Systematic Reviews a examiné 67 études cliniques et populationnelles diverses sur la transmission de maladies respiratoires contagieuses, dont le SRAS et l’influenza. La méta-analyse conclut que le port du masque ajoute une protection significative et réduirait la probabilité de contagion de 68 % en moyenne.
En avril 2020, une équipe d’économistes et d’épidémiologistes de l’Université Yale (États-Unis), a conduit une analyse statistique et économique internationale de l’épidémie de COVID-19. Cette étude conclut que l’épidémie a progressé 44 % moins rapidement dans les pays où le port du masque non-médical est habituel ou a été imposé. Les chercheurs estiment que, même si le port du masque réduisait le risque de transmission de 10 % seulement, un seul masque sauverait des milliers de dollars en coûts humains et matériels. Selon ces auteurs, la « valeur économique » du masque en ferait une mesure rentable et indispensable.
Également en avril, un groupe international de chercheurs en modélisation des épidémies dirigé par une équipe de l’Université Berkeley (États-Unis) a publié une étude de simulations Monte-Carlo basée sur deux modèles : le modèle SEIR (susceptibles-exposés-infectieux-rétablis) reconnu par l’OMS et le modèle ABM (basé sur les interactions entre les individus). Les simulations évaluaient séparément les impacts du confinement, de la distanciation et du port du masque sur la progression de l’épidémie de COVID-19. Leur modèle suppose une efficacité de filtration des particules de masques en tissu de 70 %. Une étude en pré-publication a évalué des masques en tissu ; sur 15 masques testés, 9 ont une efficacité de filtration supérieure à 70 % . Leurs résultats ont été validés en prédisant très bien les données épidémiques réelles de 38 pays. Cette étude conclut que l’on pourra éviter une deuxième vague épidémique après un déconfinement si et seulement si l’on combine la distanciation et les mesures d’hygiène personnelle avec le port généralisé (> 80 % des gens) du masque de tissu dans les lieux publics. Autrement dit, le port du masque généralisé dans les lieux publics restreints est une condition sine qua non du déconfinement. Il faut l’ajouter à la distanciation et à l’hygiène rigoureuse des mains.
L’étude de l’INSPQ mentionnée plus haut conclut que le déconfinement à Montréal pourrait causer une deuxième vague épidémique importante si l’on n’ajoute pas de nouvelles mesures à celles déjà en place (distanciation et hygiène des mains) pour réduire la contagion.
Les données montrent que le port du masque généralisé est une mesure indispensable que l’on doit ajouter à d’autres mesures post-confinement essentielles : dépistage dans la population générale, traçage intensif et isolement des cas, distanciation physique et hygiène méticuleuse des mains, notamment.
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