Édition du 18 juin 2024

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Afrique

Le leurre du Sud-Soudan libre

Je ne voudrais pas jouer à l’emmerdeur qui est jaloux du bonheur des autres, mais moi, un référendum gagné à 99 % me laisse perplexe et sème en moi de sérieux doutes.

Le Soudan compte 42 millions d’habitants, dont 9 millions au sud. Au cours des 12 dernières années, la guerre civile a fait plus de deux millions de morts et trois fois plus de personnes déplacées et de réfugiés, sans compter les tortures, les blessés, souvent infirmes pour la vie, les viols, les esclaves vendus, les orphelins abandonnés, la famine, etc.

Et les médias qui ne cessent de nous rappeler que le Nord est majoritairement musulman et le Sud, chrétien et animiste. Faut donc conclure que l’on assiste à une séparation logique, nécessaire et même naturelle que vous devez tous applaudir en chœur. En tout cas, c’est ce que se sont empressés de faire les États-Unis, qui vont maintenant lever leur embargo (oui, un autre) et l’ONU, tel que signalé dans Métro le 10 février 2011 : « L’ONU salue l’indépendance prochaine du Sud-Soudan ». Une belle histoire qui finit bien et qui m’arrache quelques larmes. Que voulez-vous, je suis un être très sensible. Le vrai portrait de ma mère Alice.

Je ne voudrais pas jouer à l’emmerdeur qui est jaloux du bonheur des autres, mais moi, un référendum gagné à 99 % me laisse perplexe et sème en moi de sérieux doutes. C’est drôle, si c’était à Cuba où le parti communiste serait réélu à 99 %, les spécialistes et experts seraient les premiers à décrier un tel score qui s’apparenterait, selon eux, à une absence totale de démocratie. Mais, au Soudan, c’est pas pareil : le peuple s’est exprimé en toute liberté et en toute connaissance à 99 % ! Et l’article de Métro ajoute que 85 % de la population du Sud est analphabète et que c’est une des régions les plus pauvres de la planète.

Conséquemment, ça produit une population très vulnérable et facile à intoxiquer et à manipuler. Fallait que les bulletins de vote ne soient pas trop complexes pour des gens qui ne savent ni lire ni écrire et qui ont été informés des bienfaits de la séparation par les groupes intéressés, locaux et surtout étrangers, qui leur ont fait plein de belles promesses comme la création de richesse, la croissance économique, l’emploi, l’investissement, etc. Le Klondike, quoi ! Vous avez déjà entendu cette chanson-là, n’est-ce-pas ?

Comme le hasard fait bien les choses. Il est bon de souligner que le Sud-Soudan détient 70 % des énormes réserves pétrolières du pays et occupe les terres les plus fertiles qui, comme en Afghanistan, en Irak et au Congo, font saliver les transnationales occidentales et les spéculateurs. Tels des vautours et des chacals, ils se garrochent pour s’approprier leurs terres et leurs ressources naturelles afin d’exercer un contrôle total de l’offre pour que s’ensuivent des explosions de prix du pétrole et des aliments au niveau planétaire.

« Prix record du pétrole », signalait La Presse du 5 mars, et « Le prix des aliments atteint un sommet, cette augmentation n’est pas prête de cesser », mentionnait-on en page frontispice de l’édition du 4 mars 2011 du journal Métro, Vous m’en direz tant ! N’ayez crainte, les profiteurs de tout poil ne manqueront pas de vous servir des arguments « légitimes », comme d’habitude, pour expliquer « scientifiquement » et justifier « rationnellement » ces hausses nécessaires afin que vous vous comptiez chanceux d’avoir du pétrole et de la nourriture, peu importe le prix.

Vous payez, sans vous en rendre compte, plus d’impôts et de taxes aux opportunistes qui vous arnaquent qu’aux gouvernements. Ça s’appelle le taxage du privé. Tiens, la revue américaine Business Week, qui, dans un dossier de fond, titrait le 21 février 2011 : « Weather, Speculation and Politics have created a global food crisis. » Et le nouveau fonds spéculatif Agriterra qui recommande « de la terre dans le portefeuille » (La Presse, 25 octobre 2010). La Deutsche Bank, quand à elle, vantait ainsi dans sa publicité ses nouveaux instruments financiers : « Récolter les fruits de la flambée des prix alimentaires » (Le Devoir, 7 juin 2008).

Pour vous expliquer un peu plus le vaudeville du Sud-Soudan « libre », prenons un extrait d’un article de La Presse du 30 janvier 2009. On y signalait qu’un « financier new-yorkais vient d’acquérir 400 000 hectares de terres au Soudan.

En plus de constituer l’une des plus importantes transactions de ce type depuis la vente de l’Alaska au XIXe siècle, cette transaction fait partie d’une stratégie troublante : la firme Jarch Capital [un fonds d’investissement spéculatif] parie que le Soudan et d’autres pays africains [Nigeria, Ethiopie], sont sur le point de se morceler en plusieurs États. Philippe Heilberg, président de Jarch Capital, s’allie en effet avec la famille Matip [d’anciens mercenaires], qui contrôle [sic] le Sud du Soudan par le biais de l’Armée populaire de libération du Soudan [nom pompeux de cette armée de croisés qui, loin de libérer le peuple, le maintiendra sous l’emprise des transnationales et des “hedge funds”].

Alors qu’auparavant les banquiers occidentaux finançaient dans l’ombre des guerres civiles africaines, M. Heilberg, est plus limpide dans ses intentions impérialistes : « Je ne suis pas un saint, je suis là pour faire de l’argent« , a-t-il dit sans broncher. Au diable les dommages collatéraux. Peu importe les conséquences sordides comme les blessés, la famine, la torture, les morts, etc., l’important est de faire beaucoup d’argent. Et ils osent par après appeler ça « les lois naturelles du marché ».

Au lieu d’aider les pays africains à exploiter eux-mêmes leurs propres ressources, les occidentaux, avec leurs politiciens asservis, leurs transnationales, leurs banques, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque Mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) viennent, comme cela a toujours été le cas, s’accaparer impunément leurs ressources naturelles et leurs terres. Ils exigent en plus des élus corrompus jusqu’à la moelle de ces pays des politiques draconiennes d’assouplissement des finances publiques afin de réduire, de tarifier et de privatiser les services publics déjà peu nombreux et peu généreux.

Tiens, pour continuer dans cette pièce d’anthologie burlesque et misérable, prenons cet autre article de La Presse du 28 janvier 2011 intitulé « Sud-Soudan : Le président au chapeau de cow-boy ». Salva Kiir, le nouveau président autoproclamé du Sud-Soudan est l’ancien chef des rebelles de l’Armée de libération du Soudan. Tiens, tiens ! Il n’a pas d’instruction, ne connaît absolument rien à l’éducation et autres secteurs que doit gérer l’État et veut s’attaquer « doucement » à la corruption dont il est lui-même partie prenante. Il a trois femmes officielles, une quinzaine d’enfants et est bien apprécié des pays occidentaux. Avec son beau chapeau de cow-boy, il doit être un émule de l’ex-président Bush des États-Unis !

L’histoire de l’indépendance du Sud-Soudan n’est pas un conte de fées. Au lieu de vous réjouir, cela devrait vous inquiéter. Cette « bonne » nouvelle internationale relève de la propagande des médias pour vous farcir la cervelle. Des médias contrôlés et donc au service des grosses compagnies qui renforcent ainsi leur hégémonie sur les pays en voie de développement maintenus dans la misère. Malheureusement, ils ne se développeront jamais, seront pour toujours maintenus dans la pauvreté et jouiront d’une souveraineté et d’une liberté larvées.

Prenons l’exemple probant de l’Irak. Métro titrait dans son numéro du 2 mars 2011 cette bonne nouvelle : « l’Irak hausse ses exportations de pétrole. » Au même moment, des milliers d’Irakiens descendaient dans la rue pour protester contre l’absence d’électricité, d’eau potable, de systèmes de santé et d’éducation et de pénuries de vivres (Le Devoir, 26 février 2011 : « Journée de colère en Irak »). Qui profite donc des immenses richesses de l’Irak ? Où va l’argent ?

Tant qu’au Congo, l’évêque congolais, Mgr Fulgence Muteba, mentionnait dans les Affaires du 15 avril 2006 : « Le Congo spolié de ses ressources naturelles. » Par qui, vous pensez ? Pourtant disait-il, le Congo regorge de ressources naturelles et ne devrait pas être parmi les 20 pays les plus pauvres du monde. Je prédis qu’un autre fonds américain va bientôt débarquer au Congo, (après avoir, avec succès, régler le cas du Soudan), et va financer la création d’une autre « Armée de libération du peuple ». Puis, ce sera au tour du Nigeria, de l’Éthiopie, de la Côte-d’Ivoire. Haïti ne les intéresse point : elle n’a pas de ressources naturelles et de terres fertiles… pour faire du gros pognon.

Et le Devoir du 14 octobre 2010 titrait : « Une violence infernale dans l’est du Congo. » Hum, hum, c’est peut-être pour bientôt l’indépendance du Congo de l’Est avec la tenue d’un référendum qui sera favorable à au moins 99 %. Bonne nouvelle pour la démocratie : « Les armées privées prospèrent », titrait Le Devoir du 27 juin 1997. Elles prospèrent même aux Etats-Unis où leurs mercenaires privés font la loi en Afghanistan et en Irak. Ils tirent et posent des questions après s’il y a lieu, bien évidemment.

La vie est parfois vraiment cocasse et pleine de rebondissements ahurissants. Avant, Khadafi était un gros méchant que Reagan avait qualifié de « chien enragé » et dont il avait bombardé le palais. Puis, quand Khadfi a fait preuve de bonne volonté et a ouvert son pétrole aux transnationales occidentales, il est devenu un vrai bon gars et un modèle reçu à l’Élisée en France par Nicolas Sarkozy et réhabilité par Bush et sa secrétaire d’État Condoleezza Rice qui a accouché de cette perle lors de sa visite (2008) en Libye, en se référant à Khadafi : « Pas d’ennemi permanent, dit Rice » (Le Journal de Montréal, 6 septembre 2008). Faut pas être rancunier. Moi, j’aime les miséricordieux tel que nous l’a enseigné Jésus Christ de Nazareth. Puis là, soudainement, il est redevenu un méchant que les Occidentaux veulent liquider et bombardent allégrement. C’est à rien n’y comprendre !

Terminons par une autre bonne nouvelle, tel qu’exigé par mes thérapeutes Pancho et Igor. Faut que je sois plus positif. Au moins, au Québec et au Canada, il n’y a pas eu de guerre civile et les transnationales et les spéculateurs n’ont pas eu à débarquer dans notre plus beau pays du monde avec leurs armées privées afin de « libérer la population ». En douceur, en catimini et sans consultations inutiles et coûteuses, nos élus leurs ont cédé nos ressources naturelles dans l’harmonie la plus totale. C’est-y pas beau ça ! Ah non, voilà que je me remets à pleurer. Je suis hélas trop sensible pour écrire sur de telles histoires.

Cet article est tiré du site web du journal Métro

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