Comme je n’avais aucun désir, ni même de grande aptitude à me complaire dans la société des mâles comme de me préci-piter devant la télé pour regarder un match de rugby avec mes frères et mon père. Comme j’étais nul dans les sports d’équipe à l’école, que j’étais maladivement timide au point de me cacher, j’ai comme on dit « dégusté » là où comme d’autres de mes camarades mâles s’éclataient. S’éclataient ? Pas tout à fait.
J’ai appris depuis que devenir un homme tel qu’exigé dans nos sociétés relevait d’une éducation, d’un apprentissage qui avait tout à voir avec le parcours du combattant. Et la métaphore n’est pas abusive loin de là.
L’humiliation que je subissais souvent, d’autres la subissaient, mais s’en contentaient comme d’un passage obligé qui les mènerait vers cet homme viril accompli. Ils y développaient leur sens de l’agressivité, de la riposte, du combat, et prenaient leur trou quand ils échouaient. Ils y apprenaient aussi à savoir quelle place ils occuperaient dans la hiérarchie des hommes. Ils pourraient y être des leaders, des seconds couteaux, ou encore de simples exécutants.
Une éducation à la dure qui ressemblait à du dressage. Et cette façon de penser l’éducation des garçons perdure. Ils se doivent encore de jouer des coudes et des couilles par la compétition pour prouver qu’ils sont les meilleurs, qu’ils sont des hommes, des vrais.
Et bien évidemment, pour démontrer une quelconque supériorité sur les autres, il faut des inférieurs. Toute la construction de la masculinité se définit en négatif de la féminité. Dans tous les cas, l’homme qui faillit dans cet entraînement à la virilité est qualifié de femmelette, insulte suprême pour un mâle qui se rêve dominant.
Et beaucoup — hommes et femmes confondus —, se portent à la défense d’un homme cisgenre et hétérosexuel qui serait aujourd’hui malmené par la haute surveillance des groupes féministes (toujours suivis de l’épithète extrémistes) et des LGBTQ, véritables terroristes de la rectitude politique et morale. On en sortirait presque sa boîte de kleenex pour essuyer quelques larmes de compassion.
C’est oublier que beaucoup d’hommes ont pris le virage et qu’ils ne sentent pas menacés par le partage du pouvoir ou l’obligation sociale tant vantée de se la jouer sous le signe du machisme. Certes, d’autres pleurnichent de devoir aujourd’hui partager leurs jouets, le pouvoir surtout, et se sentent dépossédés des privilèges qu’ils avaient reçu par leur sexe à la naissance.
Et pourtant, à bien y réfléchir, le féminisme et l’arrivée sur la place publique des LGBTQ pourraient bien être une chance pour eux. Certains l’ont déjà saisie. Ils ont découvert la liberté de pouvoir être sans toujours se comparer à un modèle de virilité étouffant. Ils découvrent qu’ils sont bien plus que des pourvoyeurs, que s’imposer ne demande plus de jouer du muscle, que l’éducation reçue au masculin n’était pas synonyme d’épanouissement, mais d’une servitude bien trop grande versus les bénéfices et les privilèges obtenus.
De nombreuses recherches et essais d’ailleurs tentent aujourd’hui à le démontrer et déconstruisent ce mythe de la virilité. Je pense à deux ouvrages récemment publiés qui ont atterri dans ma bibliothèque dernièrement, Le mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes d’Olivia Gazalé, et Petit guide du féminisme à l’usage des hommes de Jérémy Patinier. Particulièrement intéressants car ils démolissent des idées reçues et pour le premier, se fond sur une recherche historique de la construction de l’homme tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Balayons aussi devant notre propre porte. Si l’homme hétérosexuel est souvent mis à la question concernant sa relation avec les femmes, il ne faudrait pas oublier que les hommes gais ne sont pas absous de réflexions, de comportements, qui singent celui des hommes hétéros ou sont encore parfois profondément sexistes. Ils ont, eux aussi, quelques petits devoirs à faire, ce qui devrait être plus facile, car l’immense majorité a connu ce moment du rejet de la communauté des hommes hétérosexuels, ou s’est vu reproché de n’être pas viril par le choix de ses désirs sexuels.
Au moment où la campagne de lutte 2018 contre l’homophobie et la transphobie de la Fondation Émergence cible l’international — et c’est une bonne chose — en rencontrant beaucoup d’actrices et d’acteurs de nos communautés, une idée fait son chemin. S’il y a encore du travail à faire pour changer les mentalités et les politiques ici comme ailleurs, force de constater que nos communautés ne sont pas exemptes de sexisme, racisme, lesbophobie, transphobie, âgisme, sérophobie, etc.
Une idée qui fait son chemin et qui, peut-être, conduira à des campagnes d’information et de sensibilisation à l’inté-rieur de nos communautés.
Si l’on veut changer les mentalités, il faut aussi commencer par changer les nôtres.
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