Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Le Québec doit-il accueillir moins de personnes immigrantes ?

Le gouvernement a annoncé son intention de réduire l’immigration au Québec pour accueillir un maximum de 40 000 personnes par année, en baisse par rapport à la cible du précédent gouvernement qui s’établissait à 50 000 personnes. Pour 2019, le gouvernement de François Legault a demandé à Ottawa de n’accepter que 24 300 des 41 200 personnes en attente d’une réponse pour une résidence permanente, de sorte qu’en y additionnant les 16 000 réfugié·e·s et personnes en attente d’un regroupement familial, la cible de 40 000 ne soit pas dépassée.

Tiré du site de l’IRIS.

Le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion Simon Jolin-Barrette a aussi déposé à l’Assemblée nationale le 7 février dernier le projet de loi visant à accroître la prospérité socioéconomique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes (PL9). Ce projet de loi prévoit entre autres l’annulation de toute demande présentée dans le cadre du Programme régulier des travailleurs qualifiés avant le 2 août 2018. Quelques 18 000 dossiers sont visés par cette disposition.

Le PL9 vise à « mieux sélectionner les personnes immigrantes », « mieux franciser et mieux intégrer les personnes immigrantes », ainsi qu’à « renforcer l’action du Québec en matière d’immigration ». On prévoit notamment, pour ce faire, d’avoir recours au nouveau système de gestion des demandes d’immigration basé sur la déclaration d’intérêt (ARRIMA).

Faits saillants

06 Le taux d’emploi des personnes immigrantes est en hausse depuis 2009 et toutes les catégories d’immigrants, même ceux récemment arrivés, performent mieux sur le marché du travail.

08 Les écarts persistants avec les personnes nées au pays s’expliquent par des facteurs propres à la société d’accueil (non-reconnaissance des diplômes et de l’expérience et discrimination). Or, le PL9 ne prévoit rien pour remédier à ces problèmes.

10 Rien n’indique que d’accepter moins d’immigrants améliorera leur sort. Les pays qui accueillent le plus d’immigrants sont ceux où la situation de ces derniers est la meilleure par rapport à la population native.

12 Le nouveau système ARRIMA donne un poids démesuré dans la sélection des personnes immigrantes à des acteurs privés et consacre une vision utilitariste de l’immigration.

Table des matières

Proposition 1

Mise en contexte 2

Impacts anticipés 3

Recommandations 4

Québec souhaite par ailleurs renégocier avec Ottawa ses pouvoirs en matière d’immigration afin de pouvoir imposer des critères pour l’obtention de la résidence permanente.

Le premier ministre québécois a-t-il raison de dire qu’il faut accueillir moins d’immigrants pour faciliter leur intégration, et le projet de loi 9 contribuera-t-il à atteindre cet objectif ?

Mise en contexte

01 On mesure l’intégration des personnes immigrantes en comparant, pour certains indicateurs, leur écart des populations nées au pays. La maîtrise de la langue du pays d’accueil, le niveau de scolarité et la participation au marché du travail sont les principaux indicateurs qui seront analysés dans cette fiche. Dans les débats qui ont cours au Québec à propos de l’immigration, la question des valeurs a aussi souvent été évoquée par divers intervenants. Or, ce critère, soit l’adéquation entre les valeurs perçues ou affichées des personnes immigrantes et les valeurs considérées comme communes à la société d’accueil, n’est mesuré d’aucune façon et il n’en sera donc pas question ici.

L’immigration au Québec

02 52 407 personnes immigrantes provenant de l’international ont été accueillies en 2017 au Québec, soit 18,3% de l’ensemble des personnes admises au Canada cette année-là1. Or, tel qu’on peut le voir au tableau1, seuls 14,5% de la population immigrante du Canada se trouvaient au total au Québec en 2016, alors que cette province représentait 23,1% de la population canadienne. Les immigrants formaient 13,7% de la population du Québec en 2016, une proportion en légère hausse par rapport à 2011, alors qu’elle se situait à 12,6%2.

03 Le tableau2 indique que le taux de rétention des immigrants cinq ans après leur admission au pays était meilleur en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique, suivies de près par le Québec, pour ce qui est des catégories « immigrants économiques » et « réfugiés ». Le Québec se trouve au deuxième rang pour ce qui est de la rétention des immigrants de la catégorie « regrou-pement familial » (personnes parrainées par un membre de leur famille détenteur de la citoyenneté canadienne ou de la résidence permanente).

Portrait des immigrants

04 Au Québec, plus de la moitié des immigrants accueillis maîtrisent déjà le français à leur arrivée. La proportion d’entre eux qui connaissent uniquement le français, ou le français et l’anglais, est en hausse depuis les années1980, tandis que la proportion des gens qui ne parlent que l’anglais, ou ni le français ni l’anglais, affiche une tendance à la baisse, comme on peut le voir au graphique1.

05 Par ailleurs, les personnes immigrantes sont plus scolarisées que celles nées au pays. Parmi la population québécoise âgée de 25 à 54 ans, 42,0% des immigrants détenaient un certificat, diplôme ou grade universitaire en 2016, contre 24,9% des non-immigrants3. Par contre, le taux de surqualification, soit la proportion de personnes qui occupent un emploi requérant un diplôme inférieur à celui qu’elles détiennent, est lui aussi plus élevé chez les personnes immigrantes (43,0% en 2012, contre 29,7% dans l’ensemble de la population)4.

06 Au chapitre de l’emploi, l’écart entre le taux d’emploi des personnes nées à l’étranger et celui des natifs du Canada persiste, tant au Québec qu’au Canada. En 2018 au Québec, le taux d’emploi des personnes nées au pays était de 86,6%, contre 78,9% pour les personnes immigrantes, soit un écart de 7,7 points de pourcentage. Au graphique2, on remarque cependant que cet écart s’est rétréci au Québec depuis 2014. Le taux d’emploi des personnes immigrantes au Québec a même légèrement dépassé celui des personnes immigrantes en Ontario (78,5%) en 2018, comme on peut le voir au graphique3.

07 C’est donc dire que la vigueur économique observée depuis 2016 a bénéficié aux personnes immigrantes. De fait, on remarque à l’inverse que le taux de chômage des personnes immigrantes au Québec a connu une baisse considérable pour atteindre 6,7% en 2018, contre 4,0% pour les personnes nées au pays. Le graphique4 montre que toutes les catégories d’immigrants ont vu leur taux de chômage chuter. C’est surtout le cas de ceux et celles arrivés cinq ans et moins auparavant et de ceux arrivés entre cinq et dix ans auparavant : entre 2008 et 2018, ces catégories ont vu leur taux de chômage reculer respectivement de 40% et 46% (contre 27% pour les personnes nées au Canada).

08 En résumé, les personnes immigrantes au Québec maîtrisent comme jamais le français, sont très scolarisées et participent en masse au marché du travail. Tout porte ainsi à croire que les écarts persistants entre la situation économique des personnes nées au pays et celles issues de l’immigration s’expliquent davantage par des facteurs propres aux sociétés d’accueil qu’aux personnes immigrantes elles-mêmes. Pensons à l’enjeu de la non-reconnaissance des diplômes et de l’expérience ainsi qu’à celui, bien documenté, de la discrimination à l’embauche5.

Impacts anticipés

Pour les personnes immigrantes

09 Le projet de loi 9 laisse entendre que les populations immigrantes ne sont pas correctement intégrées à leur société d’accueil et risque, ce faisant, de les stigmatiser davantage. À ce propos, il ne comprend aucune mesure pour lutter plus vigoureusement contre la discrimination vécue par un nombre important de personnes immigrantes, un phénomène qui constitue pourtant un obstacle réel à leur pleine participation à la société québécoise.

10 Quant au lien entre la capacité des immigrants à s’intégrer à leur société d’accueil et le nombre d’immigrants admis dans le pays, il n’a jamais été établi scientifiquement6. Rien n’indique en ce sens que d’accepter moins d’immigrants améliorera leur sort. Par contre, l’OCDE a montré dans un récent rapport que les pays qui accueillent le plus d’immigrants sont aussi ceux où la situation de ces derniers est la meilleure par rapport à la population native7.

11 Dans l’immédiat, la décision d’annuler les dossiers déposés avant le mois d’août sera préjudiciable pour ces personnes et leur famille. Elle constitue un facteur d’incertitude et pourrait en amener certaines à s’établir dans d’autres provinces canadiennes.

Pour la main-d’œuvre issue de l’immigration

12 Il est évident que la réduction du nombre d’immigrants ne contribuera pas à surmonter les difficultés d’embauche et de rétention de personnel que connaissent plusieurs entreprises. Or, il n’a pas été démontré que le système ARRIMA pouvait combler plus efficacement les besoins des entreprises que le système précédent. Son implantation consacre toutefois une vision utilitariste de l’immigration en réduisant les personnes immigrantes à une main-d’œuvre désirable tant et aussi longtemps qu’elle peut répondre aux besoins ponctuels du marché du travail. Cette approche risque d’alimenter les préjugés envers les immigrants en période de ralentissement économique, puisqu’ils pourraient alors être perçus comme « inutiles ». En somme, le gouvernement fait une croix sur une approche citoyenne de l’immigration, où les immigrants sont considérés pour leur apport tant social et culturel qu’économique.

13 François Legault a d’ailleurs formulé l’automne dernier le souhait d’« accélérer la venue de travailleurs étrangers8 ». Plusieurs associations patronales font également pression pour un assouplissement du programme fédéral des travailleurs étrangers temporaires9. Or, les travailleurs et les travailleuses en cause sont sujets à de nombreux abus et comptent parmi les plus vulnérables. Si l’objectif du gouvernement est de favoriser l’intégration des personnes immigrantes, il doit éviter de généraliser un statut qui marginalise une catégorie de travailleurs et de travailleuses en les privant des droits consentis à ceux qui jouissent de la résidence permanente.

Pour la société québécoise

14 Les plus récentes projections démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) montrent que la population âgée de 20 à 64 ans est appelée à diminuer dans les prochaines années, passant d’environ 5 millions de personnes en 2011 à 4,9 millions en 203110. Cependant, l’ISQ prévoit que si l’immigration est plus faible qu’elle ne l’est actuellement, ce chiffre baissera plutôt à 4,8 millions. Le scénario (peu probable) d’une absence complète de mouvements migratoires internationaux ramènerait quant à lui la population en âge de travailler à 4,3 millions de personnes. Limiter l’afflux de personnes immigrantes dans un contexte de vieillissement de la population apparaît en ce sens comme une décision irréfléchie, d’autant plus que cela aura pour effet de diminuer le poids démographique du Québec dans le Canada11.

Recommandations

15 Le Québec doit maintenir la cible actuelle de 50 000 immigrant·e·s reçu·e·s annuellement, et ce, pour des raisons tant humaines que démographiques et économiques. Le gouvernement doit cependant allouer un budget conséquent aux différents acteurs qui viennent en aide aux personnes immigrantes, dont le MIDI, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, ainsi que les divers organismes communautaires en immigration, si l’État souhaite atteindre l’objectif qu’il s’est donné de « mettre en place une offre de services efficace et personnalisée en matière de francisation et d’intégration12 ».

Notes

1- Institut de la statistique du Québec, Le bilan démographique du Québec, 2018.

2- Statistique Canada, Recensement de la population, 2016.

3- Statistique Canada, Recensement de la population, 2016, no98-400-X2016203 au catalogue.

4- Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, Éléments explicatifs de la surqualification chez les personnes immigrantes au Québec en 2012, octobre 2013.

5- Julia Posca, Portrait du revenu et de l’emploi des personnes immigrantes, IRIS, 26 septembre 2016.

6- Victor Piché, « Immigration et intégration : existe-t-il un seuil optimal ? », Le Webzine, Centre Justice et foi, 14 février 2019, cjf.qc.ca/vivre-ensemble/webzine/article/immigration-et-integration-existe-t-il-un-seuil-optimal/.

7- OCDE et UE, Trouver ses marques 2018 : Les indicateurs de l’intégration des immigrés, Éditions OCDE, Paris et Bruxelles, 2019, doi.org/10.1787/9789264309234-fr.

8- Isabelle Porter, « Les travailleurs étrangers temporaires, une main-d’œuvre vulnérable », Le Devoir, 7 décembre 2018.

9- Éric Desrosiers, « Les employeurs québécois veulent plus de travailleurs étrangers temporaires », Le Devoir, 8 décembre 2018.

10- Frédéric F. Payeur et Ana Cristina Azeredo, « Les scénarios d’analyse des perspectives démographiques du Québec, 2011-2061 », Données sociodémographiques en bref, Institut de la statistique du Québec, vol.20, no1.

11- Statistique Canada, Estimations démographiques annuelles : Canada, provinces et territoires, no91-215-X au catalogue, no2, 2014.

12- MIDI, Un nouveau projet de loi en matière d’immigration déposé à l’Assemblée nationale, Communiqué, 7 février 2019, immigration-quebec.gouv.qc.ca/fr/informations/actualites/actualites-2019/nouveau-projet-immigration.html

Julia Posca

Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS

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