Alors que c’est, selon nous, au sujet du droit de se syndiquer - et de négocier les rapports collectifs de travail - que devrait s’intéresser le ministre Boulet, voilà plutôt que c’est l’exact opposé qu’il propose.
Nous vivons dans une société capitaliste au sein de laquelle le travail est réputé libre. Les droits du travail - droit d’association, droit de négociation et droit de grève - ne peuvent s’exercer que collectivement dans une entreprise de deux employéEs et plus. Pour le moment, il y a environ 40% de la main-d’œuvre salariée qui est syndiquée. C’est donc la majorité des travailleuses et des travailleurs qui se retrouve dans une situation vulnérable devant un employeur qui dispose d’un pouvoir de fixer arbitrairement leurs conditions de travail (horaire, promotion, période de vacances annuelles, etc.) et de déterminer unilatéralement leur rémunération et leur augmentation annuelle.
Il n’est plus à démontrer que certains employeurs n’ont pas hésité - et n’hésitent toujours pas apparemment - à fermer leurs portes dès qu’ils entendent parler de syndicalisation ou qu’une requête en accréditation syndicale est déposée à la Commission de relations du travail. Amazon s’ajoute à la triste liste de ces autres entreprises (Mc Donald, Target, Wall Mart) qui réalisent annuellement des profits milliardaires et qui se contentent ou se limitent à offrir à leurs employéEs des conditions de travail qui dépassent à peine ce qui est prévu par la Loi des normes minimales de travail et la Loi du salaire minimum.
Le gouvernement affairiste de la CAQ de François Legault semble n’avoir aucune envie à doter le Québec d’une législation musclée en vue de permettre l’exercice des droits constitutionnels en lien avec le travail. Que 60% environ de la main-d’œuvre salariée se retrouve comme des billes dans les mains d’un joueur - et ici il est question d’une main-d’oeuvre majoritairement féminine oeuvrant dans le secteur des services-, cela ne l’affecte pas une miette. Que son gouvernement décide de ne pas légiférer en vue de rendre effectifs le droit à la syndicalisation, le droit à la négociation et le droit d’aller en grève, cela nous en dit beaucoup sur l’idéologie qui habite son équipe ministérielle et sa députation : l’idéologie néolibérale qui a, entre autres choses, comme objectif l’affaiblissement des droits syndicaux.
Le projet de loi 89 vise supposément « à considérer davantage les besoins de la population » en cas de grève ou de lockout. Que cela est dit avec un vocabulaire débordant d’euphémismes à nous faire dormir debout. Il y a dans ce projet de loi une remise en cause frontale du droit de grève. L’offre minimale de services – ou de prestations de travail - à offrir en cas de conflit vise indiscutablement à atténuer l’impact d’un arrêt de travail. Le rapport de force qui va en découler sera nécessairement à l’avantage de l’employeur, car l’interruption de son service ne sera que partielle et non totale.
Et dire qu’il fut un temps où le droit de grève n’était nullement encadré par la loi au Canada et au Québec. Et dire qu’il fut un temps également où c’était via une loi spéciale de retour au travail que le gouvernement pouvait mettre un terme à l’exercice du droit de grève. Et dire encore qu’il fut un temps où c’était le droit de grève, selon le gouvernement du Québec lui-même, qui nous distinguait d’une société totalitaire.
«
En raison des expériences passées, il pourrait être facile de proposer quelques restrictions au droit de grève des syndiqués du secteur public. Il nous faut éviter de tomber dans ce piège qui ne règlerait (sic) rien dans les faits. Au contraire, nous nous proposons de reconnaître le maintien du droit de grève à titre d’expression de l’une de nos libertés démocratiques les plus chères et qui nous distingue des sociétés totalitaires ». Gouvernement du Québec. Ministère du Conseil exécutif. 1977. 1 Le travail, point de vue sur notre réalité. Québec : Secrétariat des conférences socio-économiques, p. 14-15.
Le Québec n’a aucunement besoin d’un projet de loi équivalent à l’article 107 du Code canadien du travail[1].
La main-d’œuvre non syndiquée, qui est à la fois vulnérable face à son employeur et qui vit dans la précarité, devrait être assurée de pouvoir profiter et jouir pleinement de ses droits constitutionnels.
Les centrales syndicales ont raison de dénoncer la contre-réforme Boulet.
Que vaut un droit constitutionnel qui ne peut pas être exercé ?
Poser la question c’est y répondre.
Yvan Perrier
24 février 2025
15h45
Ce qu’est un service essentiel selon le Comité de la liberté syndicale (CLS) du Bureau international du travail
Au fil des ans, le CLS a précisé ce qu’il entend par « services essentiels ». « Peuvent être ainsi considérés comme services essentiels : la police, les forces armées, les services de lutte contre l’incendie, les services pénitentiaires, le secteur hospitalier, les services d’électricité, les services d’approvisionnement en eau, les services téléphoniques, le contrôle du trafic aérien et la fourniture d’aliments pour les élèves en âge scolaire [...]. Toutefois, dans les services essentiels, certaines catégories d’employés, par exemple les ouvriers et les jardiniers des hôpitaux, ne devraient pas être privés du droit de grève (...) En revanche, le comité considère au contraire, de façon générale, que ne sont pas des services essentiels au sens strict : la radiotélévision, les installations pétrolières, les banques, les ports (docks), les transports en général, les pilotes de ligne, le transport et la distribution de combustibles, le service de ramassage des ordures ménagères, l’Office de la monnaie, les services des imprimeries de l’État, les monopoles d’État des alcools, du sel et du tabac, l’enseignement et les services postaux. Le service de ramassage des ordures ménagères est un cas limite et peut devenir essentiel si la grève qui l’affecte dépasse une certaine durée ou prend une certaine ampleur » dans Bernard GERNIGON, « Relations de travail dans le secteur public : Document de travail no2 », (2007), Genève, Bureau international du travail, 22-23.
[1] On se rappellera que c’est en vertu de l’article 107 du Code canadien du travail que le ministre fédéral du Travail est intervenu l’année dernière dans conflits au port de Montréal et à Postes Canada. Le ministre a référé le différend au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) en vue d’un arbitrage exécutoire, ce qui a eu pour effet de suspendre, dans un cas, le lock-out et d’interrompre, dans l’autre cas, la grève en cours et ce jusqu’à ce que le conflit soit réglé.
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