Daniela Alulema, aide-comptable à New York, ne doit son poste qu’à la chance d’avoir été aide-domestique chez un patron d’une petite entreprise qui l’a remarquée et lui a trouvé cet emploi. Elle est pourtant expert-comptable de formation, diplômée avec mention de l’une des écoles publiques les plus reconnues en la matière aux Etats-Unis, Baruch College. Elle est jeune et brillante, et elle a même été un jour repérée par Goldman Sachs. Mais elle est sans-papiers.
Arrivée illégalement d’Equateur avec ses parents il y a neuf ans, alors qu’elle avait 14 ans, Daniela a reçu gratuitement dès son arrivée en Amérique une éducation propre à développer ses facultés intellectuelles et ses ambitions. Mais à l’heure de se présenter sur le marché du travail, cela n’a pas suffi. Sans numéro de sécurité sociale, gage de statut légal, elle n’était pas « employable ».
Un statut légal provisoire en échange d’une « bonne conduite »
Pour elle, comme pour plus de 2 millions de personnes dans son cas aux Etats-Unis, les choses vont peut-être changer aujourd’hui avec l’adoption du Dream Act (pour « Development, relief and education for alien minors », développement, aide et éducation pour les mineurs étrangers).
Les deux chambres du Congrès américain à majorité démocrate, en session transitoire depuis les dernières élections législatives remportées par les républicains en novembre, doivent en effet se prononcer en dernière minute sur ce projet de loi qui doit permettre à ces jeunes clandestins d’être régularisés. Voire d’être naturalisés américains pour les plus méritants.
Selon la dernière version de ce texte, ce processus se ferait en deux étapes. Pour être éligible, il faut être arrivé aux Etats-Unis avant l’âge de 16 ans et compter au moins cinq années consécutives dans le pays au moment du passage de la législation. Il faut en outre avoir moins de 30 ans, être détenteur de l’équivalent du baccalauréat américain ou d’un diplôme similaire.
Par la suite, le candidat recevrait un statut légal provisoire de six ans pendant lequel il devrait faire preuve de « bonne conduite », valider au moins deux années d’études supérieures ou s’engager dans l’armée américaine.
Selon la chercheuse Jeanne Batalova, du centre de recherche Migration Policy Institute basé à Washington, et co-auteure d’une étude récente sur la question, moins de la moitié des personnes a priori éligibles, soit environ 800 000 personnes, seraient aptes à réussir cet examen d’entrée long et laborieux pour obtenir la nationalité américaine.
La difficulté de ce processus de régularisation s’explique en grande partie par la réticence grandissante de la droite américaine vis-à-vis de ce que beaucoup voient comme une amnistie généralisée d’immigrants arrivés illégalement sur le territoire.
Et pour certains conservateurs -comme le sénateur d’Alabama Jeff Sessions, l’un des critiques les plus virulents de cette mesure, le représentant républicain de Californie Ryan Bilbray et d’autres blogueurs à tendance républicaine-, en ces temps de récession et de chômage élevé, le moment n’est pas au partage des emplois ni à la charité.
Aussi, les chances du Dream Act d’être définitivement adopté au cours des deux prochaines semaines, les dernières de cette « lame duck session » (la session qui suit des élections législatives), sont « mathématiquement minces ». Et ce surtout au Sénat, où les démocrates doivent rassembler au moins 60 voix pour éviter un blocage républicain.
Jeanne Batalova, du Migration Policy Institute, rappelle :
« Ce sont deux philosophies, deux positions très difficilement réconciliables. […] Tout le monde s’accorde sur le fait que la politique américaine sur l’immigration ne marche pas, que le système est bloqué, mais il est très difficile d’arriver à un consensus. »
Bien que le Dream Act ne soit qu’une partie -la plus consensuelle- de la vaste réforme de l’immigration promise par le Président Obama en 2008, un consensus est d’autant plus difficile à obtenir que, depuis quelques années, le sort des 12 millions d’immigrés illégaux fait l’objet de calculs politiques savants de la part des élus, soucieux de récupérer ou d’orienter le vote latino qui représente 9% de l’électorat américain.
Muzaffar Chishti, de la NYU school of law, explique :
« De plus en plus désintéressés par un électorat qui semble les délaisser, les républicains voient ainsi peu d’avantages à grossir le rang de leur électorat. »
Aussi, en dépit de la très forte mobilisation des partisans du Dream Act à travers les Etats-Unis -dont une grève de la faim au Texas de plusieurs dizaines de personnes qui entament leur 30e journée de jeun-, en dépit du soutien du Président Obama, de nombreux ministres, de l’armée et d’un grand nombre de responsables religieux, les élus républicains n’ont ainsi pas relâché leurs attaques.
Leur but : faire passer les mesures les plus symboliques de l’agenda républicain sur le budget, les impôts et le déficit, et éventuellement céder, après sur les immigrés.
Daniela, l’aide-comptable de New York, avoue redouter l’issue du vote :
« […] C’est à la fois un sentiment positif -le jour du vote est preque là-, et stressant, parce que j’ai l’impression que ma vie est sur le point d’être décidée à Washington. Je ne connais même pas ces gens, et ma vie dépend d’eux ! C’est un sentiment aigre-doux. »
Malgré son statut d’immigrée illégale, elle s’est publiquement affichée dès l’obtention de son diplôme en 2007 en compagnie des Dreamers (« Rêveurs ») ou militants du Dream Act.
Depuis trois ans, elle a surmonté sa peur des contrôles inopinés et son angoisse d’être renvoyée de force vers l’Equateur pour participer à de nombreuses actions militantes. Elle ne peut pas prendre le bus ou l’avion sans risquer d’être contrôlée, elle n’est pas en mesure non plus de passer son permis de conduire. C’est donc à pied qu’elle s’est rendue à Washington depuis New York l’année dernière, pour faire entendre sa voix.
Si le Dream Act n’est pas adopté ce mois-ci, Daniela se dit prête à des actions plus radicales, des actes non-violents de désobéissance civile. Comparant volontiers son action à la lutte pour les droits civiques des Noirs dans les années 1960, elle explique ainsi sa détermination :
« Il y a une limite à ce que les gens peuvent supporter. Après, il faut ne pas avoir peur d’agir. »