Un coup d’État en marche
Depuis mercredi le 23 janvier, les événements se sont précipités, comme chorégraphiés : (1) autoproclamation du président de l’Assemblée nationale, Juan Guaidó, en tant que président du Venezuela, instantanément reconnue par les États-Unis, le Canada et des pays d’Amérique latine proches des États-Unis ; (2) menace de six pays d’Europe occidentale – France, Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Espagne et Portugal –de reconnaître Guaidó à défaut d’élections déclenchées en huit jours ; (3) pressions étasuniennes sommant les membres de l’Organisation des États américains de « choisir leur camp » et tentant, sans succès, de faire reconnaître Guaidó par le Conseil de sécurité de l’ONU ; (4) désignation de nouveaux ambassadeurs par l’Assemblée nationale du Venezuela, une prérogative qui ne relève pas d’elle ; (6) refus de la Banque d’Angleterre d’un retrait de réserves en or du Venezuela ; (5) mise en place, par la Maison Blanche, de milliards de dollars de nouvelles sanctions visant la compagnie pétrolière PDVSA, suivie de l’intention professée de transférer à Juan Guaidó les avoirs bancaires et les actifs du Venezuela aux États-Unis.
Toute cette mécanique mise en place pour asphyxier le gouvernement Maduro était déjà en préparation. Dès la mi-décembre – donc bien avant qu’il ne soit élu président de l’Assemblée nationale – Juan Guaidó a visité Washington, le Brésil et la Colombie pour leur présenter son scénario de manifestations de masse le 10 janvier et d’autoproclamation le 23 janvier.
La menace d’une intervention militaire complète la panoplie des mesures déstabilisatrices. « Nous n’excluons aucune option » répètent Donald Trump et John Bolton, conseiller à la sécurité nationale. Dès le mois d’août 2017, Trump parlait d’« une possible option militaire, si nécessaire ». La même année, Mike Pompeo, alors directeur de la CIA, évoquait un rôle possible pour la Colombie à cet égard. Comme en écho, lors d’un point de presse le 29 janvier, John Bolton tient un carnet sur lequel on a pu lire « 5 000 troupes en Colombie ». La nomination comme envoyé spécial au Venezuela d’Elliott Abrams – connu pour son soutien aux assassinats de masse perpétrés par l’armée et les escadrons de la mort au Salvador et au Guatemala dans les années 1980s – fait craindre le pire.
Les enjeux : pétrole, néolibéralisme et hégémonie
Dans une entrevue à Fox News, John Bolton a clarifié un des enjeux cruciaux du Coup : « Cela fera une grande différence pour les États-Unis économiquement si les compagnies pétrolières étasuniennes pouvaient réellement investir et produire les capacités pétrolières au Venezuela ».
Mais, au-delà du pétrole, le coup de force actuel vise à rétablir l’hégémonie des États-Unis en Amérique latine. Depuis le début du 21e siècle, cette domination s’est atténuée par un virage à gauche de plusieurs pays, s’éloignant du néolibéralisme et adoptant des politiques sociales progressistes. Dans la même période, la montée en puissance de la Chine et de la Russie a accru leur présence sur le continent sud-américain. La mise en place d’un gouvernement de droite au Venezuela, favorable et redevable aux investissements étrangers, bénéficierait donc aux États-Unis et à leurs alliés.
Et le Canada là-dedans ?
Partie prenante du coup d’État actuel, le Canada a été l’un des tout premiers pays à reconnaître l’autoproclamation de Juan Guaidó. Depuis septembre 2017, il impose des sanctions économiques contre le Venezuela en étroite concertation avec les États-Unis. Malgré l’absence de ces derniers, le Groupe de Lima regroupe des pays qui prônent, face au Venezuela, la même ligne dure. Vraisemblablement, le Canada assure la liaison à cet égard. Faisant état des préparatifs du coup d’état, l’article d’AP News rapporte que le Canada a joué un rôle important dans les coulisses et que la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a offert le soutien du Canada à Guaidó dès le 9 janvier.
Sur le site d’Affaires mondiales Canada, on lit que la réunion d’urgence du 4 février « rassemblera les ministres des Affaires étrangères des pays du Groupe de Lima ainsi que des participants de l’ensemble de la communauté internationale. Ils se réuniront pour discuter de l’appui à Juan Guaidó, président par intérim du Venezuela, et pour explorer les moyens par lesquels la communauté internationale peut soutenir davantage le peuple du Venezuela. » Est-ce à dire que pour le Canada, la majorité des pays de l’OÉA et la plupart des pays du monde – qui ne reconnaissent pas l’autoproclamation de Guaidó – ne font pas partie de la communauté internationale ?
Les manœuvres politiques, la répression et l’autoritarisme du gouvernement Maduro sont condamnables. Mais là n’est pas la question. Comme le rappelle avec urgence M. Idriss Jazairy, rapporteur spécial des Nations Unies sur l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des droits humains : « La coercition, qu’elle soit militaire ou économique, ne doit jamais être utilisée pour obtenir un changement de gouvernement dans un État souverain. L’utilisation de sanctions par des puissances étrangères pour renverser un gouvernement élu viole toutes les normes du droit international ». Sans compter le bain de sang que risquerait de provoquer une intervention militaire étrangère ou des affrontements au sein d’une armée vénézuélienne fracturée.
Pour une sortie de crise négociée
La seule approche internationale responsable et légitime à la crise au Venezuela consiste à lever immédiatement les sanctions économiques étrangères et à favoriser la recherche d’une solution politique authentiquement vénézuélienne par la négociation, sous les auspices de médiateurs indépendants.
C’est dans cette voie que se sont engagés l’Uruguay et le Mexique, qui ont annoncé l’organisation d’une conférence des pays neutres à Montevideo le 7 février. Le Canada, lui, a choisi l’ingérence étrangère, dangereuse et condamnable.
Judith Berlyn
Martine Eloy
Mouloud Idir
Raymond Legault
Suzanne Loiselle
Membres du Collectif Échec à la guerre
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