Tiré de Entre les lignes et les mots
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Publié le 16 mars 2022
Cette expulsion massive a été traumatisante et, à bien des égards, elle est restée gravée dans ma vie d’adulte. L’armée a justifié notre nettoyage ethnique en disant que nos maisons se trouvaient dans la zone de tir 918, où les soldats étaient censés s’entraîner. Mais c’est faux. Dans les années 1980, la zone de tir a été déclarée au-dessus de nos villages où nous vivions depuis des décennies, afin de nous en expulser.
Lorsque j’avais quatre ans, mes voisins expulsés ont adressé une pétition à la Haute Cour, qui a émis une ordonnance temporaire leur permettant de retourner chez eux – jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise. Vingt-deux ans ont passé, et la Cour n’a jamais décidé de notre sort. Nous avons grandi dans l’ombre de l’attente d’une décision : vont-ils expulser les personnes que j’aime et que je connais le mieux, ou non ? Le mardi 15 mars, la Cour doit tenir sa dernière audience sur la question. Elle prendra ensuite une décision.
Le sort de huit villages et de 1300 personnes est une fois de plus à l’ordre du jour. En tant que Palestiniens vivant sous l’occupation militaire d’un envahisseur étranger, nous n’avons pas le droit de décider de notre sort. Ce sentiment – celui d’être contrôlé par d’autres – imprègne chaque aspect de notre vie ici, chaque jour.
Au cours des 22 dernières années, j’ai vu l’armée tenter de briser ma communauté. Elle nous a dépossédés de nos terres, lentement, tout en rasant presque tout sur son passage – maisons, panneaux solaires, puits.
J’ouvre mon ordinateur, dont le disque dur est rempli d’images prises par ceux qui ont connu ce sort avant moi. Il y a des photos et des vidéos qui documentent des dizaines et des dizaines de formes d’expulsion. Des familles dont les maisons ont été démolies à plusieurs reprises. Puis viennent les photos de voisins qui, au milieu de la nuit, rassemblent des parpaings, des sacs de sable et des panneaux de tôle dans leurs tracteurs afin de reconstruire les maisons de ceux qui sont devenus sans abri.
Notre expulsion de Masafer Yatta n’a jamais cessé au cours des deux dernières décennies. Faute de pouvoir expulser tout le monde en même temps, comme en 1999, l’armée a essayé de nous déposséder lentement. De nous appauvrir jusqu’à ce que nous partions. Chaque année, j’ai vu les soldats israéliens sceller nos puits, couper les conduites d’eau et détruire les routes qui relient nos villages. La situation dangereuse sur les routes est un rappel constant d’une réalité raciste gouvernée par une armée qui nous prive de la possibilité de vivre légalement sur nos terres. Même nos véhicules sont confisqués par les soldats lorsqu’ils en ont envie. Nos vies sont devenues presque impossibles. Nous voulons construire des familles et des maisons, mais nous savons que l’armée les détruira également.
Depuis l’été dernier, en vue de l’audience du mardi 15 mars, je rencontre régulièrement des diplomates pour leur expliquer l’injustice qui se déroule ici à Masafer Yatta. Je leur demande de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il arrête la démolition de nos maisons. Je leur demande pourquoi, dans leurs discussions avec les dirigeants israéliens, ils parlent du nombre de maisons démolies plutôt que d’exiger qu’Israël cesse complètement les démolitions. Mais surtout, je leur demande pourquoi ils ne font rien. Après tout, les personnes au pouvoir pourraient prendre des mesures pour empêcher que cela ne continue.
Il a été difficile de ne pas penser à la Russie et à la façon dont la communauté internationale s’est empressée d’isoler et de sanctionner le régime russe. Ici, le monde s’obstine à recycler la rhétorique vide de la solution à deux Etats et à émettre des condamnations insipides alors que les colonies continuent de s’étendre et que l’occupation ne fait que s’aggraver.
Alors que l’armée russe continue de transformer des millions d’Ukrainiens en réfugié·e·s, sachez qu’ici, la Haute Cour examine la deuxième expulsion de centaines de personnes qui me sont chères. Elles pourraient bientôt devenir elles-mêmes des réfugiés, parce que l’armée israélienne l’exige, sans autre raison que de réaliser la vision raciste de « judaïser » les collines du sud d’Hébron. La question de savoir si le monde en fait assez pour mettre fin à l’occupation de l’Ukraine fait l’objet de nombreux débats. Mais au moins, il fait quelque chose. Quand il s’agit de notre occupation, il semble que le monde ne fasse rien.
Basil al-Adraa
Basil al-Adraa est un journaliste et photographe du village d’at-Tuwani, situé dans les collines du sud d’Hébron.
Article publié sur le site israélien +972, en collaboration avec le site en hébreux Local Call, le 14 mars 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre
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