Édition du 17 décembre 2024

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Charte des valeurs québécoises

Laïcité et … laïcité

Le débat sur la laïcité, tel que présenté par le P.Q., avance dans la controverse et engendre des oppositions rageuses dans beaucoup de groupes et organisations de toutes allégeances. Même les partis politiques n’échappent pas à ce contexte.

Quels objectifs veut donc atteindre le gouvernement avec sa proposition ? Il soutient qu’il s’agit d’assurer la neutralité de l’État en interdisant toutes manifestations religieuses ostentatoires à son personnel. Il introduit cette proposition dans un contexte politique où domine la liberté individuelle dont celle de la pratique religieuse sous toutes ses formes autant publiques que privées. Ces droits sont inscrits dans les deux chartes du pays. Il viserait aussi à renforcer les droits à l’égalité des femmes et des hommes. Ici la religion musulmane est présentée comme source intrinsèque d’inégalité.

Laïcité et laïcité

Le projet du P.Q. s’appuie sur une définition et des pratiques de laïcité à la française. La plupart des opposantEs s’appuient sur une définition et des pratiques de type libéral à l’américaine.

Dans le Courrier de l’Unesco de décembre 1994 qui porte sur la religion et le pouvoir aujourd’hui, la journaliste Flora Lewis souligne la distinction entre les objectifs de ces deux approches politiques. Elle spécifie que les États-Unis et la France ont été les premiers pays à prendre solennellement position sur la séparation de l’Église et de l’État mais pour des raisons diamétralement opposées : « En France, pendant la Révolution de 1789, il s’agissait de libérer la jeune République de l’emprise de l’Église, alors qu’aux États-Unis le souci du législateur était de protéger des pouvoirs de l’État les multiples sectes et confessions dont les représentants persécutés furent les premiers colonisateurs… ».

La laïcité à la française vise donc à protéger l’État contre les influences religieuses et celle à l’Américaine à protéger les citoyenNEs contre la capacité de l’État de leur imposer une religion. Le premier amendement de la constitution américaine stipule en plus que l’État ne peut interdire le libre exercice de la religion. Ces deux États sont neutres en matière religieuse ; l’un parce qu’il interdit toute manifestation religieuse en son sein, l’autre parce qu’il permet à toutes les religions de s’y manifester sans discrimination.

Nous sommes, ici au Québec, en ce moment, déchiréEs entre ces deux conceptions des rapports de l’État avec le religieux. Et notre situation est d’autant plus difficile que le fond francophone de la population a traversé il y a peine 50 ans une déconfessionnalisation rapide des services publics qui a comporté le retrait de toute autorité des religieux dans ces institutions. La religion a été évacuée de ces services en même temps que des changements majeurs se sont manifesté dans la pratique religieuse. Beaucoup d’entre nous ont pensé que la religion était évacuée de la vie publique et qu’elle n’y reviendrait pas.

La conjoncture

Une analyse minimale de la conjoncture politique et sociale dans laquelle nous baignons aurait permis au P.Q. de savoir qu’il s’aventurait sur un mauvais chemin à ce moment-ci.

1- Nous vivons en Amérique du Nord où la liberté individuelle est tenue pour primordiale. La liberté de religion et la pratique religieuse publique vont de soi. Le Canada est au diapason des États-Unis en cette matière même si les lois ne sont pas exactement les mêmes. Les Chartes des droits renforcent ces positions et l’ère du néo-libéralisme en rajoute. Toute tentative pour ébranler un tant soit peu ce statut des citoyenNEs ne peut être interprété que comme une atteinte à leurs droits fondamentaux. Dans ce contexte il faut une raison majeure, un problème fondamental à résoudre pour entreprendre des modifications à la Charte québécoise pour ce qui nous concerne, et des explications drôlement solides pour s’attendre à un appui sérieux de la part de la population.

2- Nous vivons aussi dans l’ère du retour du religieux, comme un peu partout dans le monde et singulièrement en Occident. Il faudrait au moins prendre acte de cet état de fait et nous interroger sur la manière de l’appréhender et de rendre justice à tous et toutes croyantEs et non croyantEs dans la vie commune. Il nous faudra bien admettre que l’appartenance à une religion fait partie de la vie de beaucoup d’entre nous et que tenter d’effacer d’autorité cette réalité est un projet voué à l’échec. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Russie et dans les pays d’Europe de l’est à cet égard, depuis la fin de l’Union soviétique. Ce débat sur la place des religions dans l’espace public est à faire.

Car, dans l’état actuel des choses, le projet du P.Q., ne semble vraiment viser qu’une seule catégorie de croyantEs, les musulmans et singulièrement, les musulmanes. ( N’oublions pas que c’est une population qui a été sollicitée pour immigrer parmi nous sur la base de la communauté de langue. Il semble que les gouvernements aient été avertis que cela soulèverait la question religieuse…)

Dans notre culture judéo chrétienne, les signes visibles des religions s’y rattachant nous sont familiers et ne rebutent plus grand monde. Il a fallu que l’incongruité de la présence du crucifix à l’Assemblée nationale soit soulignée tant et plus pour que l’ombre de son retrait pointe à l’horizon. Bien sûr, le projet de loi porte aussi sur la grosseur des croix que le personnel pourrait porter mais cela apparait comme une concession de surface ; on pourrait bien toutes les tolérer. On connait la résistances de certainEs aux injonctions de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse pour faire cesser la récitation des prières (chrétiennes pour ne pas dire catholiques) avant les séances des conseils municipaux.
Il y a ici une propension à vouloir se débarrasser des autres religions que de la nôtre et le projet de loi ne clarifie pas cette ambiguïté, au contraire. D’ailleurs la vaste majorité des demandes d’accommodements sont faites par des chrétiens et ne visent pas des accommodements religieux. C’est ce qu’affirme la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.

3- Ce projet se présente à un moment où les préjugés contre les musulmanEs n’ont jamais été aussi virulents dans le monde occidental et le Québec n’y échappe pas. Depuis l’attaque contre les tours jumelles à New-York, on associe d’emblée touTEs les musulmanEs à la guerre que mènent les Islamistes pour imposer leur projet politique de création de théocraties dans le monde. C’est une sale guerre avec un programme politico-social absolument répugnant et nous avons toutes les raisons de le combattre. Là-dessus, je suis d’accord avec Mme Houda-Pépin qu’une lutte contre les extrémistes doit être menée sérieusement et activement même si ce sera tout sauf facile. Mais il faut que cette lutte vise tous les extrémistes dont ceux et celles des religions chrétiennes mais pas les simples croyantEs.
Le Québec est peut-être moins affecté par les extrémismes chrétiens mais au Canada leur influence au sein du gouvernement Harper augmente tous les jours. Et comme nous faisons toujours parti de la Confédération, nous en sommes victimes nous aussi : les attaques perpétuelles contre le droit à l’avortement, l’argent de l’aide internationale qui va à 75%, selon certaines sources, à des organisations religieuses qui militent contre les droits des femmes et des homosexuelLEs, par exemple. Si nous sommes conséquentEs avec notre position de la nécessaire neutralité de l’État, cela aussi devrait nous concerner et nous mobiliser. Il faut nous demander, comme le dit Caroline Fourest, qui nous protégeons en tolérant les intolérants.

4- Est-ce qu’empêcher le port de signes religieux ostentatoires dans les services publics améliore de quelque façon que ce soit le statut social des femmes, de toutes les femmes ? Poser cette question c’est y répondre. La longue lutte des Québécoises pour l’égalité a donné des résultats et il reste bien du travail à faire en cette matière. Car, effectivement en ce moment, les religions menacent certaines de nos conquêtes. Et ce sont principalement les trois religions monothéistes qui mènent une guerre acharnée contre les droits des femmes. Et dans chacune, il se trouve des femmes pour adhérer et se plier plus ou moins fortement aux dogmes et enseignements de leur culte. Sauf que les chrétiennes peuvent le faire sans signes visibles publiquement.

Une bonne partie de nos compatriotes musulmanes pratiquantes font le choix de se plier à des dictats qui portent sur leur habillement. Ils ne sont pas nécessairement religieux mais ils y sont assimilés par la vaste majorité de la population. Ils font débat autant dans les pays de culture musulmane qu’en Occident.

Il est clair, pour moi que cet habillement particulier, le voile, est un signe de soumission. Pour les unes c’est la soumission à Dieu sans que cela implique la soumission aux hommes et elles revendiquent la reconnaissance de leur libre choix. Nous devons respecter cette position même si pour beaucoup d’entre nous la soumission à Dieu a quelque chose d’incongru voire d’incompréhensible. Mais dans nos structures patriarcales, bien des hommes ne s’embarrassent pas de cette subtilité. Et bien des hommes de souche judéo chrétienne ne sont pas non plus arrivés au respect de l’égalité avec les femmes, nous en avons des preuves presque tous les jours. Bien sûr ils n’invoquent pas les dogmes religieux pour justifier leur position.

Ces femmes sont dans la mouvance générale de la montée du religieux et des retombées de l’utilisation politique de la religion musulmane par ses extrémistes qui donne une nouvelle validité aux pratiques. Pour celles qui ont immigré en Occident, des questions de reconnaissance de leur identité s’ajoutent. Nous avons ici une lourde responsabilité face à leur intégration ; une responsabilité collective et individuelle.

5- Beaucoup d’observateurs-trices accusent le P.Q. d’avoir initié ce projet de loi pour des raisons électoralistes. Il rejoindrait la majorité de la population qui a vécu la déconfessionnalisation des institutions publiques et qui sentirait comme une menace (à sa survie ?) les manifestations religieuses ostentatoires. Il se trouve que c’est aussi celle qui pourrait être le plus intéressée par le projet d’indépendance du Québec que porte ce parti plutôt mal que bien. Si c’est le cas, la démarche est d’une totale irresponsabilité politique et sociale. Ce projet rend tout travail pour améliorer notre « vivre ensemble » encore plus ardu et périlleux. Il valide l’idée que le projet d’indépendance ne peut se réaliser que sur des bases ethniques et que les nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes ne peuvent y adhérer.

Conclusion,

Dans ce contexte, il est urgent que nous dépassions le clivage entre l’un et l’autre modèle de laïcité qui nous opposent en ce moment. Et pour cela, un vrai programme politique est nécessaire. L’opposition à ce projet de loi ne peut se résumer à la lutte pour les droits individuels. Bien d’autres aspects de la conjoncture que la neutralité de l’État sont des menaces dans notre société capitaliste néo libérale. Comme il ne garantit en rien l’égalité entre les hommes et les femmes, nous, les féministes devons continuer la lutte sur ce terrain qui dépasse et de loin les pratiques religieuses.

Il faut impérativement faire de la lutte contre les discriminations une priorité et la rendre visible. Que plus personne ne soit interdit de travail à cause de sa couleur, de sa religion, de ses caractéristiques.

Il faut que les compétences et les formations reçues hors du pays soient reconnues d’une manière ou d’une autre et les ordres professionnels doivent être forcés de s’ouvrir à ce nouveau bassin de travailleurs et travailleuses.

Le respect de la loi sur la lutte à la pauvreté doit devenir aussi important sinon plus que le fameux objectif du déficit zéro qui joue objectivement contre cette loi.

L’emprise du religieux dans la vie publique ira en s’amenuisant au fur et à mesure que les bénéfices politiques supposés ne seront plus perceptibles. C’est ce qui est arrivé aux catholiques d’ici. La défaite éventuelle des extrémistes islamistes et de leur projet politique marquera le déclin graduel du virage vers les interprétations révisionnistes et conséquemment, la disparition des signes religieux d’identification.

Dans cette conjoncture, l’objectif de la laïcité « à la Française » doit devenir un projet dont l’avancée devra être suivie et signalée consciencieusement. D’ici là, tentons au mieux de construire et maintenir des liens sociaux qui dépassent nos appartenances religieuses.

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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