Ne jamais se voir dans la représentation publique, ne pas faire partie du monde de référence, constitue une forme de violence invisible. Cette invisibilisation, Richard Desjardins et Robert Monderie en ont parlé dans le film Le peuple invisible. Cela est vrai des Premières Nations, qu’on a littéralement effacées du paysage. Mais cela a été vrai de toutes les minorités.
Si l’affirmation des droits, qui a pris un grand essor dans les années 70 et se continue aujourd’hui, semble réparer en partie cette violence, force est de constater que le travail est loin d’être terminé, tellement, dans l’idéologie dominante, on arrive difficilement à penser l’autre. Pis encore, l’invisibilisation s’attaque maintenant à toute la classe pauvre et moyenne inférieure.
Je me rappelle que, durant mon enfance, je pouvais reconnaître des gens de mon milieu dans les émissions de télé populaires. Je constatais dans les films que beaucoup de gens vivaient dans de petites maisons ou dans des appartements modestes. Or, il semble désormais que l’univers mental des médias électroniques et du cinéma ne soit peuplé que de gens de la classe moyenne supérieure. Les pauvres étant relégués aux faits divers sordides.
Quant à la publicité, qui n’est pas comme on le prétend faussement le reflet de la société, mais bien le porte-voix du discours hégémonique, elle suppose que tout le monde vit dans de grandes maisons de banlieue et conduit des véhicules utilitaires sport. Je caricature à peine.
Être effacé de l’imaginaire projeté est une violence qui laisse des traces. Sentir qu’on n’est pas digne de mention, qu’on n’est rien, nourrit la frustration et le ressentiment. On a toujours beau jeu d’accuser les différentes minorités d’être agressives, mais quand on les considère comme si elles ne devraient pas exister, qu’on leur dit « vous n’avez qu’à faire comme nous » quand elles ne disposent pas des mêmes moyens ni du même statut hégémonique, c’est faire bon marché du capital symbolique et de la violence qui y est rattachée.
Quand cette invisibilisation s’étend d’une manière classiste, déniant à tout un pan de la population (les pauvres et la classe moyenne inférieure) le droit de parole, la possibilité d’être représenté, aussi bien dire le droit de cité, tôt ou tard, la cassure sociale se fait plus bruyante et c’est ainsi par exemple que des mouvements comme les Gilets Jaunes en France peuvent apparaître où celles et ceux « qui ne sont rien », pour reprendre les paroles odieuses des larbins des banques, finissent par s’infiltrer dans les fissures de l’édifice lézardé de la société.
La violence symbolique est tout aussi douloureuse et délétère que la violence physique. D’ailleurs toutes les personnes qui se plaignent de la première sont priées de se taire sous peine de subir la seconde aux mains des forces de l’ordre (ou du désordre organisé, ce qui serait plus exact).
LAGACÉ, Francis
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