Au début de la pandémie du sida au milieu des années 1980 et jusqu’au début des années 1990, bien qu’on ait fait des campagnes de prévention, on n’était pas particulièrement rapide dans la recherche de médicament et on était surtout pas très préoccupé par ce qu’en pensaient les patients eux-mêmes (surtout des hommes, mais aussi des femmes). Après tout, le virus attaquait surtout ceux qu’on appelait les 4 H (hémophiles, homosexuels, Haïtiens et héroïnomanes).
Les premiers étaient rares et les trois autres n’étaient pas des plus intéressants pour le gratin économique et politique. Ensuite, cela a beaucoup concerné les Africains, pas très glamour non plus. Ça ne suscitait l’intérêt que lorsque des vedettes étaient touchées, comme Rock Hudson, qui en tomba de son piédestal.
Devant la lenteur des progrès, devant le manque de véritables politiques publiques prenant en compte la réalité des personnes concernées, des militants se sont réunis et ont décidé de devenir turbulents. Ils se sont appelés Act Up. En anglais, cette expression peut servir de verbe à l’infinitif dans le sens de « déranger, être perturbateur » ou de verbe à l’impératif dans le sens de « agis selon tes principes ! ».
Les personnes militantes de ce groupe suivaient partout les scientifiques qui tenaient des congrès sur le sujet et les talonnaient quant aux résultats, aux tests, à l’implication de la communauté dans les recherches de traitement comme dans les techniques et modes de prévention. De même, elles s’accrochaient aux basques des politiques pour qu’il y ait de l’action efficace et pas seulement des paroles.
Des manifestations et autres activités d’éclat, souvent très théâtrales, ponctuaient leurs interventions. Je me rappelle avoir porté leur t-shirt noir où, sous le triangle rose inversé, symbole de notre opprobre dans le régime nazi, il était inscrit silence = mort. J’avais le don de rendre plein de gens mal à l’aise, pouvez-vous le croire ? avec ce vêtement que j’ai usé à la trame.
Eh bien, à la suite de la pandémie de covid-19, après cette première vague, où sous prétexte de protéger les vieilles personnes, on leur a enlevé toute autonomie, et avant que n’apparaisse la deuxième vague et qu’on les infantilise encore au mieux ou qu’on les laisse crever isolé·e·s dans leurs chambres, je plaide pour la création d’un groupe de vieilles et de vieux dérangeant·e·s, qui vont faire du bruit et qui vont s’inviter partout à défaut que les autorités aient la sagesse de les engager réellement dans les prises de décisions publiques.
Au Québec, il y a déjà les Mémés déchaînées (sur le mode des raging grannies dans le monde anglo-saxon), qui chantent et manifestent pour la justice sociale et la paix ; il faudrait qu’il y ait les Ancêtres malcommodes (ou peut-être les Pruneaux en colère), et qui vont en faire baver aux autorités si elles ne les respectent pas davantage.
On voit ce qu’a donné la protection des vieilles personnes dans cette première vague : une hécatombe. Il n’est pas question que les personnes âgées de 70 ans et plus et qui sont en santé subissent davantage de restrictions que les autres. Il n’est pas question que les autorités de quelque niveau que ce soit (médicales, sécuritaires, municipales, hospitalières, régionales, sanitaires, provinciales, fédérales) les excluent des prises de décisions. Les personnes âgées doivent se faire entendre haut et fort.
Un tel regroupement pourrait fonctionner sur le mode des collectifs revendicateurs, c’est-à-dire sans chef, sans charte, mais avec la volonté partagée, dans le respect de la diversité des tactiques, de faire bouger les choses dans le bon sens.
Je profite de l’occasion pour vous rappeler le lancement aujourd’hui 22 juin 2020 à 19 heures (le 23 juin 2020 à 1 h du matin pour nos camarades d’Europe qui feraient de l’insomnie) du numéro 84 de la revue À Babord, dont le dossier spécial a justement pour titre « Vieillir ». Le lien pour y accéder sur zoom se trouve ici et le lien pour l’événement Facebook est là.
LAGACÉ, Francis
http://www.francislagace.org
francis.lagace@gmail.com
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