Édition du 12 novembre 2024

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Société

Dans le microcosme

Nous savons tous que les ultra-riches ont engrangé encore plus de richesses avec la pandémie. Le capitalisme, avec tous ses excès, ne parvient évidemment pas à juguler l’écart grandissant des richesses entre les individus et l’on se doute très bien que cet état de fait n’est pas de très bon augure pour l’avenir.

Toute cette situation me fait penser à une expérience sociale de mes années d’études collégiales, il y a plus de 30 ans, dans le cadre d’un cours de psychologie (si ma mémoire est exacte). Certains l’ont probablement aussi vécue. Cela s’appelait un microcosme. Veuillez noter que ces événements ont eu lieu il y a longtemps et que mes souvenirs sont assez lointains. Toutefois, je crois me rappeler l’essentiel, car ce fut tout de même une expérience marquante.

Alors voici. Pendant plusieurs heures, les étudiants furent cloîtrés dans un local qui ne comportait que quelques chaises. On leur demandait aussi d’amener leurs repas du dîner. L’enseignant assure la direction de l’expérience qui consistait à reproduire une microsociété avec ses différentes classes sociales avec l’implication active des étudiants.

Au départ, l’enseignant distribue des enveloppes à chaque étudiant dans lesquelles se trouvaient des cartes de couleurs représentant les unités de valeur monétaire de cette microsociété. Et, à ce que j’ai cru comprendre, l’enseignant octroya sciemment une plus grande richesse dans les enveloppes des étudiants arborant les plus beaux vêtements et une attitude plus bourgeoise, dans l’objectif de reproduire le plus fidèlement possible les traits caractéristiques de la véritable société dans cette microsociété. Il devait probablement en être ainsi pour la qualité de l’expérience. Par ailleurs, dans un souci de non-interférence, l’enseignant se dissimulait souvent dans un petit local jouxtant la classe et observait l’expérience à travers un miroir sans tain.

Ensuite, il y a eu des activités simulant un marché économique. Tout ce jeu consiste à échanger des cartes entre les participants afin que ceux-ci ramassent des combinaisons de cartes de couleurs qui permettaient de multiplier la richesse fictive de chacun. Cependant, comme je le signalais ci-haut, j’ai eu la forte impression que les dés étaient pipés au départ afin d’avantager certains individus au détriment de d’autres.

L’expérience se poursuivit. Le nombre de chaises dans le local étant limité, elles furent mises aux enchères. Les quelques « privilégiés » de la microsociété les accaparèrent aisément grâce à leur richesse tandis que le reste de la « populace » devait s’asseoir sur le sol pendant tout le déroulement de l’expérience.

Et arriva enfin l’heure du repas. L’enseignant regroupa alors les repas de tout le monde pour les déposer devant le groupe des privilégiés (qui était beaucoup moins nombreux que l’autre groupe). Ceux-ci se servirent à leur guise dans cette corne d’abondance simulée et dégustaient leurs repas tandis que les autres devaient se contenter de les regarder tout en étant inconfortablement installés sur le plancher. Et c’était précisément là que la pertinence de l’expérience trouva tout son sens.

Que s’est-il passé lors cette étape cruciale ?

Ici, je vais relater mon expérience personnelle ainsi que celle d’un vieil ami qui a aussi participé à cette simulation, mais dans une classe différente (lui aussi s’en souvient assez bien). Les dénouements des deux microsociétés sont des plus intéressants.

Microsociété 1

Ce groupe fut constitué de personnes un peu plus âgées que la moyenne dans un cégep. Les tensions y ont été aussi nettement vives.

Au départ, il y a eu une altercation entre l’une des privilégiées et une « ressortissante de la populace » au sujet de la propriété de l’une des chaises. À la suite d’une discussion assez vive et de quelques empoignades, la privilégiée a pu garder son siège.

Aucune offre de partage collectif ne vint du côté des privilégiés. Ils se servaient allègrement dans les repas de tous pendant plusieurs longues minutes avant que quelques personnes et ultimement tous les gens au sol se lèvent pour enfin reprendre leur dû. La classe des privilégiés, devant un tel soulèvement du plus grand nombre, n’eut d’autre choix que de se plier à la « volonté populaire » revendiquant un partage intégral de tous les repas.

Microsociété 2

Ce groupe avait une moyenne d’âge assez jeune avec des finissants du secondaire qui se retrouvaient pour la première fois au cégep.

Les privilégiés, bien adossés sur leurs sièges, savouraient leurs repas en choisissant ce qui leur plaisait dans le vaste choix de repas que tout le monde avait amenés. Il ne vint à l’idée de personne dans ce groupe restreint d’offrir sans condition les repas à l’ensemble du groupe.

Devant la grogne qui commençait à se faire sentir, ils eurent une idée plus « pratique » afin de calmer la populace et de conserver en même temps leur statut de privilégiés : ils offrirent à l’un des membres de la populace d’agir en tant qu’agent de distribution de la nourriture avec compensation monétaire (c’est-à-dire un salaire avec certaines cartes de couleurs). Son rôle consistait à dispenser la nourriture graduellement, autrement dit petit à petit à un ou deux individus à la fois, tandis que les privilégiés conservaient leur mainmise et leurs prérogatives sur l’ensemble de la nourriture. Et la stratégie a fonctionné. Les membres de la populace se tinrent tranquilles, sachant bien qu’éventuellement, ils auraient leur petite part du gâteau.

Constats

Essayons maintenant, de manière non scientifique, de dégager des constats de ces deux expériences, bien que nous sachions qu’il est fort probable que des études poussées menées par des sociologues et des psychologues ont probablement compilé des données et sont parvenues à des conclusions plus exhaustives et complètes que les petits constats que je suis sur le point de vous présenter.

Étonnamment, je n’ai rien trouvé en référence à ce genre de simulation sur la toile. Est-ce que ce genre d’expérience de groupe ne se fait plus pour être en concordance avec le politiquement correct ? Je n’en ai aucune idée.

Mais bon. Continuons. La constance principale dans les deux cas est invariablement la résistance des « élites » à partager leurs richesses avec le reste de la population.

Dans un cas, il a fallu une révolte pour qu’enfin un partage plus équitable s’opère. Dans l’autre cas, les élites ont eu la perspicacité, face à l’exaspération populaire pouvant se détériorer en révolte, de sous-traiter (avec un ressortissant de la classe populaire) une distribution progressive et partielle de la nourriture tout en gardant la mainmise et la priorité sur l’ensemble de la « richesse collective ». Nous pouvons d’ailleurs faire un parallèle avec plusieurs civilisations dans l’histoire qui distribuaient gratuitement des vivres afin de freiner les aspirations populaires, comme dans la Rome impériale, par exemple.

De plus, on a pu remarquer que le groupe composé de personnes plus âgées était nettement plus revendicateur que celui dans lequel la moyenne d’âge était plus basse.

En somme, le but de cette expérience de microcosme ou de microsociété est de faire comprendre à l’étudiant la dynamique sociale qui existe dans tout groupe humain organisé. La plupart du temps, il existe deux classes opposées par la richesse et le statut social (bien que parfois des classes moyennes plus ou moins importantes puissent exister) essayant de faire pencher la balance de leur côté au détriment de l’autre. Parfois, cela se conclut par un affrontement à tendance révolutionnaire et, d’autres fois, on en arrive à un partage des richesses certes inéquitable, mais suffisant pour calmer le mécontentement populaire et éviter de chambouler le cadre social.

En conclusion, tentons une comparaison avec notre époque dans laquelle les écarts de richesse sont grandissants et la classe moyenne est en déclin de revenus depuis des décennies (encore plus avec les hausses récentes du coût de la vie associées aux conséquences économiques de la pandémie). Même si quelques milliardaires ont proposé que les gouvernements les taxent davantage, comme Warren Buffett, il est encore trop tôt pour deviner quel scénario adviendra possiblement pour notre « macrocosme » qu’est la civilisation occidentale, ou à plus grande échelle, l’ensemble des sociétés humaines contemporaines. Tout dépendra de notre façon de réagir comme dans les deux expériences de microcosme : nous contenterons-nous de miettes ou nous solidariserons-nous pour recevoir notre juste part ?

Jimmy St-Gelais

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