Édition du 18 juin 2024

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La république de Platon

Résumé du Livre IX (Texte 14)

Le livre IX explore la figure de l’homme tyrannique. Le tyran agit pour son propre bien, il est régi par des appétits insatiables. À chaque instant il peut être trahi ou assassiné. Son pouvoir est une forme extrême d’injustice.

Le caractère correspondant à l’homme tyrannique est nul autre qu’Éros, le dieu du désir. Dans ce Livre IX Platon dresse la hiérarchie des régimes politiques, du plus au moins enviable : la monarchie, la timocratie, l’oligarchie, la démocratie et la tyrannie. Il admet le caractère utopique de sa cité idéale : « Je comprends ; tu parles de la cité dont nous avons tracé le plan, et qui n’est fondée que dans nos discours, puisque, aussi bien, je ne sache pas qu’elle existe en aucun endroit de la terre » (p. 356).

Platon termine son Livre IX en reconnaissant que même si la Cité idéale est une construction utopique ou théorique, le philosophe doit se comporter conformément à ses lois : «  Mais, répondis-je, il y en a peut-être un modèle dans le ciel pour celui qui veut le contempler, et d’après lui régler le gouvernement de son âme. Au reste, il n’importe nullement que cette cité existe ou doive exister un jour : c’est aux lois de celle-là seule, et de nulle autre que le sage conformera sa conduite » (p. 356).


Les désirs

Platon précise sa vision au sujet des plaisirs et des désirs et s’intéresse plus particulièrement aux « non nécessaires » dont certains lui paraissent « illégitimes » :

« Mais de quels désirs parles-tu ? De ceux, répondis-je, qui s’éveillent pendant le sommeil, lorsque repose cette partie de l’âme qui est raisonnable, douce, et faite pour commander à l’autre, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée de nourriture ou de vin, tressaille, et après avoir secoué le sommeil, part en quête de satisfactions à donner à ses appétits. Tu sais qu’en pareil cas elle ose tout, comme si elle était délivrée et affranchie de toute honte et de toute prudence. Elle ne craint point d’essayer, en imagination, de s’unir à sa mère, où à qui que ce soit, homme, dieu ou bête, de se souiller de n’importe quel meurtre, et de ne s’abstenir d’aucune sorte de nourriture ; en un mot, il n’est point de folie, point d’impudence dont elle ne soit capable » (p. 333).

Pour ce qui est de l’homme sage, ses songes le conduisent sur le chemin de la vérité :

«  Mais lorsqu’un homme, sain de corps et tempérant, se livre au sommeil après avoir éveillé l’élément raisonnable de son âme, et l’avoir nourri de belles pensées et de nobles spéculations en méditant sur lui-même ; lorsqu’il a évité d’affamer aussi bien que de rassasier l’élément concupiscible, afin qu’il se tienne en repos et n’apporte point de trouble, par ses joies ou par ses tristesses, au principe meilleur, mais le laisse, seul avec soi-même et dégagé, examiner et s’efforcer de percevoir ce qu’il ignore du passé, du présent et de l’avenir ; lorsque cet homme a pareillement adouci l’élément irascible, et qu’il ne s’endort point le cœur agité de colère contre quelqu’un ; lorsqu’il a donc calmé ces deux éléments de l’âme et stimulé le troisième, en qui réside la sagesse, et qu’enfin il repose, alors, tu le sais, il prend contact avec la vérité mieux que jamais, et les visions de ses songes ne sont nullement déréglées » (p. 334).

Que semble insinuer Socrate ? N’est-ce pas là l’ascèse du philosophe, qui même dans ses rêves doit poursuivre sa quête de la sagesse ? Socrate prêche ainsi une discipline totale de l’être, à savoir un abandon du futile et de l’inutile dans le but exprès d’élever l’âme et de découvrir la vérité toujours difficile à saisir, surtout pour ceux et celles préférant s’abandonner aux excès de la passion et aux appétits divers du corps. Autrement dit, il faut s’éloigner de la tyrannie des désirs afin de se rapprocher de l’essentiel : un équilibre. Malheureusement, la liberté accordée est souvent mal employée.

À ce titre, le fils de l’homme démocratique supprime tout ce qu’il y a d’honnête en lui. Ses désirs (les fêtes, les festins et les courtisanes (p. 335)) le conduisent à la ruine. Il emprunte et il n’hésitera pas à voler (p. 336). Chez l’homme tyrannique, l’amour, l’ivresse et la folie ne connaissent aucune limite. Elles passent du rêve à la réalité :

« […] mais maintenant, tyrannisé par l’amour, il sera sans cesse à l’état de veille l’homme qu’il devenait quelquefois en songe ; il ne s’abstiendra d’aucun meurtre, d’aucune nourriture défendue, d’aucun forfait. Éros, qui vit en lui tyranniquement dans un désordre et un dérèglement complets, parce qu’il est le seul maître, poussera le malheureux dont il occupe l’âme, comme un tyran la cité, à tout oser pour le nourrir, lui et la cohue des désirs qui l’entourent : ceux qui sont venus du dehors par les mauvaises compagnies, et ceux qui, nés à l’intérieur, de dispositions pareilles aux siennes, ont rompu leurs liens et se sont affranchis. » (p. 337).


Les tyrans

Si les hommes tyranniques dans une cité existent en « petit nombre » et que le « reste du peuple soit sain », les hommes tyranniques se mettront au service de tyrans étrangers « comme mercenaires » (p. 337). Si, par contre, ils existent en grand nombre au sein d’un État, ils engendreront un « tyran » (p. 337).

Sur le plan psychologique, les tyrans ont peu de rapports authentiques avec les gens. Ils ne sont « les amis de personne » ; les hommes tyranniques sont « des hommes sans foi » et « injustes » (p. 338). Sur un plan individuel, il est un « parfait scélérat », « le plus méchant » et « le plus malheureux » des hommes : « [I]ls vivent avec des gens qui sont pour eux des flatteurs prêts à leur obéir en tout, ou, s’ils ont besoin de quelqu’un, ils font des bassesses, osent jouer tous les rôles pour lui montrer leur attachement, quitte à ne plus le vouloir connaître quand ils seront parvenus à leurs fins » ; « Leur vie durant, ils ne sont donc les amis de personne, toujours despotes ou esclaves » (p. 338). L’homme tyrannique qui apparaît comme « le plus méchant » des hommes se révèle également être « le plus malheureux » (p. 338). La cité tyrannique est à l’opposée de la cité royale : « […] il est évident pour tout le monde qu’il n’y a point de cité plus malheureuse que la cité tyrannique, ni de plus heureuse que la cité royale » (p. 339). Le tyran, à lʼinstar dʼun riche particulier qui a trop dʼesclaves, dépend entièrement de la soumission de ses sujets. Cette dépendance est une prison qui lʼemplit dʼune angoisse perpétuelle et lʼempêche de mener une vie privée normale (p. 341-342). L’exercice du pouvoir tyrannique conduit nécessairement aux pires abus : « l’exercice du pouvoir de devenir bien plus qu’auparavant, envieux, perfide, injuste, sans amis, impie, hôte et nourricier de tous les vices » (p. 342). De là se justifie la hiérarchisation des régimes politiques selon Platon, et ce, « le royal, le timocratique, l’oligarchique, le démocratique, le tyrannique » (p. 342).

Platon, à travers Socrate, semble satisfait d’avoir démontré que le plus heureux des hommes est le plus juste et le plus vertueux, alors qu’à l’opposé, le plus malheureux des hommes est le plus injuste et le plus méchant. Ainsi est-il parvenu à dresser le portrait des deux extrêmes, dans une démarche hautement dialectique sur le point d’aboutir à une synthèse originale.

La tripartition de l’âme

Platon détaille les trois parties de l’âme (la tripartition) correspondantes au plaisir ou au désir : le plaisir du gain, le plaisir des honneurs et le plaisir de la science (p. 344). Pour le philosophe, la connaissance de la « vérité » est nettement plus importante que les honneurs et la richesse. Des trois parties de l’âme, découle « trois principales classes d’hommes » : l’intéressé, l’ambitieux et le philosophe et chacun préfère son mode de vie ; bien entendu, le philosophe, aux yeux de Platon, en sa qualité « (d’)ami du savoir » (p. 344) est un homme supérieur, car lui seul a l’expérience des trois sortes de plaisirs, ce qui lui permet de disposer d’un meilleur jugement. Il peut commander à la partie « rationnelle » de l’âme, ce qui lui procure une vie « la plus agréable et la plus exempte de peine » (p. 344).

Notons d’ailleurs : «  Il est nécessaire, dit-il, que les louanges du philosophe et de l’ami de la raison soient les plus vraies. Ainsi, des trois plaisirs en question, celui de cet élément de l’âme par lequel nous connaissons est le plus agréable, et l’homme en qui cet élément commande a la vie la plus douce. Comment pourrait-il en être autrement ? La louange du sage est décisive ; et il loue sa propre vie » (p. 346).

Platon poursuit sa réflexion et veut démontrer que seul le plaisir de la connaissance est le plus réel, le plus véritable. Il cherche à établir le rapport entre le plaisir et la douleur. À ce sujet, il écrit : «  […] les hommes qui souffrent vantent comme la chose la plus agréable, non pas la jouissance, mais la cessation de la douleur et le sentiment du repos » (p. 347). Il compare ensuite les « vides dans l’état du corps » et le « vide dans l’état de l’âme » (p. 348). Pour Platon, le plus haut plaisir de l’existence se situe du côté du plaisir intellectuel, celui du sage donc du philosophe (p. 348-349) : « Donc, en général, les choses qui servent à l’entretien du corps participent moins de la vérité et de l’essence que celles qui servent à l’entretien de l’âme » (p. 349).

La plupart des hommes ne connaîtront jamais le plaisir de l’esprit :

«  Ainsi, ceux qui n’ont point l’expérience de la sagesse et de la vertu, qui sont toujours dans les festins et les plaisirs semblables, sont portés, ce semble, dans la basse région, puis de nouveau dans la moyenne, et errent de la sorte toute leur vie durant ; ils ne montent point plus haut ; jamais ils n’ont vu les hauteurs véritables jamais ils n’y ont été portés, jamais ils n’ont été réellement remplis de l’être et n’ont goûté de plaisir solide et pur. À la façon des bêtes, les yeux toujours tournés vers le bas, la tête penchée vers la terre et vers la table, ils paissent à l’engrais et s’accouplent ; et, pour avoir la plus grosse portion de ces jouissances, ils ruent, se battent à coups de cornes et de sabots de fer, et s’entre-tuent dans la fureur de leur appétit insatiable, parce qu’ils n’ont point rempli de choses réelles la partie réelle et étanche d’eux-mêmes » (p. 349-350).

L’homme intéressé et l’homme ambitieux ne goûtent que des « plaisirs bâtards » (p. 351). Le tyran ne goûte pas au plaisir véritable. En s’écartant de la loi et de l’ordre, il adopte une conduite contraire à la raison. Sa condition est nettement inférieure à celle du roi qui a les qualités de l’homme aristocratique : «  [L]e roi est sept cent vingt-neuf fois plus heureux que le tyran » (p. 352).

Platon poursuit sa démonstration au sujet de la tripartition de l’âme à l’aide d’une image d’une « bête multiforme et polycéphale » et de « deux autres figures, l’une d’un lion, l’autre d’un homme » ; ces trois images jointes « en une seule » ne doivent faire « qu’un tout » (p. 352). Valoriser l’injustice, c’est entretenir le monstre et le lion, laisser dépérir l’homme ; valoriser la justice, c’est privilégier l’homme dans l’homme et l’allier avec le lion pour qu’ils soumettent le monstre. Seule voie qui rend possible la concorde entre les trois parties :

«  Et, réciproquement, affirmer qu’il est utile d’être juste n’est-ce pas soutenir qu’il faut faire et dire ce qui donnera à l’homme intérieur la plus grande autorité possible sur l’homme tout entier, et lui permettra de veiller sur le nourrisson polycéphale à la manière du laboureur, qui nourrit et apprivoise les espèces pacifiques et empêche les sauvages de croître ; de l’élever ainsi avec l’aide du lion, et, en partageant ses soins entre tous, de les maintenir en bonne intelligence entre eux et avec lui-même ? […] Ainsi, de toute façon, celui qui fait l’éloge de la justice a raison, et celui qui loue l’injustice a tort. En effet, qu’on ait égard au plaisir, à la bonne renommée ou à l’utilité, celui qui loue la justice dit vrai, et celui qui la blâme ne dit rien de sain, et ne sait même pas ce qu’il blâme » (p. 353).

Vers la fin de ce livre IX, Platon soutient que « l’homme sensé » doit honorer « les sciences capables d’élever son âme » (p. 355). Pour ce qui est des honneurs, « il acceptera, goûtera volontiers ceux qu’il croira à même de le rendre meilleur, mais ceux qui pourraient détruire en lui l’ordre établi, il les fuira dans la vie privée comme dans la vie publique » (p. 356).

Tel est le programme utopique que l’homme et la femme (dans une union du corps et de l’âme perçue comme une version individuelle de la cité) devront se soumettre s’ils veulent atteindre la qualité de philosophe ; du moins s’ils sont appelés à le devenir.

La Cité idéale

Platon est pleinement conscient que sa Cité idéale n’existe pas sur la terre ; en l’occurrence un programme d’ascèse utopique rime avec cité utopique. Peut-être existe-t-elle toutefois ailleurs : «  […] il y en a peut-être un modèle dans le ciel pour celui qui veut le contempler, et d’après lui régler le gouvernement de son âme. Au reste, il n’importe nullement que cette cité existe ou doive exister un jour : c’est aux lois de celle-là seule, et de nulle autre que le sage conformera sa conduite » (p. 356).

La cité idéale de Platon ne serait donc qu’une «  apparence », pour ne pas dire « un projet  ». À première vue, nous pourrions être quelque peu déçus, après autant d’efforts consacrés à cette démonstration. Or il y a une espérance, car « les utopies d’hier sont souvent les réalités de demain ». Socrate prêche une doctrine de la philosophie pour les générations à venir, une doctrine transcendante, c’est-à-dire destinée autant à la vie sur terre que dans celle de l’au-delà.

Le livre IX comporte de grandes idées

L’esclavage de l’homme tyrannique à l’égard de ses propres désirs le précipite dans la pauvreté matérielle et spirituelle. L’âme se divise en trois parties qui correspondent à trois types de plaisirs : le plaisir du gain, le plaisir de la gloire et le plaisir de la connaissance. Seul le philosophe accède au plaisir suprême de la connaissance. Les hommes ordinaires n’y goûteront jamais. L’harmonie repose sur la justice, c’est-à-dire la cohésion pacifique des parties, dans l’âme comme dans la société. Voilà la synthèse ainsi exposée, du moins sur ce qui peut être avancé à propos de la Cité idéale terrestre. Pour l’instant, dans notre attente, il faut s’en remettre aux lois que nous jugeons les meilleures.

Yvan Perrier

Guylain Bernier

2 novembre 2020

yvan_perrier@hotmail.com

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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