Bien qu’elles n’aient cessé de renforcer leur capacité, le rôle des Forces d’Autodéfense (FAD, le nom officiel de l’armée) est resté très délimité, centré sur l’Archipel. Les premières interventions extérieures ne remontent qu’à 1992, dans le cadre onusien et en dehors des zones de combat, dépendant à chaque fois d’une décision parlementaire. En juillet 2014, la « réinterprétation » de l’article 9 avait permis à Shinzo Abe, Premier ministre japonais, de donner au Japon le droit de participer à des systèmes de défense collective. Il a maintenant décidé de franchir un pas décisif en faisant adopter une nouvelle loi permettant aux FAD d’être déployées à l’étranger pour peu que « la survie du Japon soit menacée ». Ladite « survie » pouvant être « menacée » de bien des façons (approvisionnement énergétique, etc.), il s’agit en fait d’un blanc sein.
Shinzo Abe peut s’appuyer sur Washington, qui souhaite que Tokyo joue un rôle plus actif en ce domaine, et sur les majorités parlementaires. Il a obtenu le 16 juillet un premier vote favorable à la Chambre basse. Les textes doivent maintenant passer devant la Chambre haute. L’objectif est d’obtenir une adoption définitive à marche forcée, dès septembre.
Ce que le Premier ministre n’avait pas prévu, c’est l’ampleur de l’opposition pacifiste qui allait se manifester dans le pays, malgré des années de propagande militariste. Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté contre le projet de loi, entourant notamment le Parlement le 16 juillet aux cris de « Abe démission », « Non à la guerre ». La très grande majorité des juristes ont souligné qu’il était inconstitutionnel, contredisant l’article 9. De nombreux universitaires et intellectuels se mobilisent. Seuls 18 % des Japonais approuvent le projet, selon un sondage de la chaîne de télévision publique NHK en date du 12 juillet, et la cote de popularité de Shinzo Abe est tombée à 41 %.
L’offensive du gouvernement Abe ne se limite pas au seul rôle des FAD. Il veut imposer dans l’île méridionale d’Okinawa un redéploiement d’une base militaire états-unienne, mais il n’a toujours pas réussi à briser la résistance de la population et des élus locaux. Il introduit de lois sécuritaires (onze textes de plus ont été adoptés le 16 juillet) qui visent notamment à interdire de façon discrétionnaire – au nom de la sécurité nationale – la publication d’information qui mettrait en cause le système, y compris l’industrie nucléaire. Militarisme extérieur, autoritarisme intérieur, restriction des libertés civiques, reconstruction d’une histoire officielle et d’une idéologie nationaliste forment un tout.