Édition du 17 décembre 2024

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Résolution pour le Réseau écosocialiste sur les élections fédérales

Auteur : Benoït Renaud

Cette résolution est soumise au débat au sein du Réseau écosocialiste et auprès de toutes les personnes qui voudront bien apporter leur contribution à cette discussion.

1. Le régime Harper est profondément réactionnaire. Son action au cours des neuf dernières années a causé des dommages considérables sur le plan de l’environnement, des droits des femmes, des droits des Premières nations, des droits démocratiques, des droits syndicaux, etc. Il vise à refonder le nationalisme canadien sur une base monarchiste et militariste. Sa reconnaissance verbale de la nation québécoise ne se traduit en rien par un respect pour son droit à l’autodétermination. La continuation de ce régime constituerait une défaite et un facteur de démoralisation pour tous les mouvements sociaux progressistes et les luttes des nations opprimées dans l’État canadien. Ce serait aussi une mauvaise nouvelle à l’échelle internationale étant donné le rôle destructeur joué par ce gouvernement dans les négociations sur le Climat, au sujet de la Palestine, etc.

2. Ce gouvernement tend à introduire au Canada une démocratie représentative de plus en plus restreinte (corruption, stratégies électorales manipulatrices, mépris des débats au parlement, refus de toute réforme électorale, blocage de l’information). En même temps, ce régime continue de fonctionner dans le cadre institutionnel de la démocratie bourgeoise et les mouvements d’opposition à ses politiques sont significatifs et parviennent parfois à contrer ses projets. Il ne s’agit pas d’un régime fasciste, mais d’un gouvernement conservateur hargneux, bête et méchant dont on aurait intérêt à se débarrasser au plus vite.

3. Le Parti libéral du Canada ne représente en rien une alternative au régime Harper. Il constitue toujours un instrument entre les mains des classes dominantes et entend poursuivre les politiques conservatrices sur plusieurs points essentiels, comme l’a révélé son appui à la loi C-51, une législation liberticide qui vise à renforcer le rôle répressif de l’État contre toute dissidence. Il a critiqué les Conservateurs pour ne pas avoir augmenté assez rapidement les dépenses militaires. Sa critique sur la question des oléoducs est que les Conservateurs sont inefficaces dans la recherche de « l’acceptabilité sociale ».

4. Un « vote stratégique » pour le PLC, sur la base d’un mouvement « n’importe qui sauf les Conservateurs », constitue un piège pour les mouvements sociaux et la gauche. C’est la même logique que celle qui au Québec consiste à voter Libéral pour battre le PQ, puis PQ pour battre les libéraux, etc. Les organisations progressistes qui empruntent cette voie sont généralement les moins combatives, les plus bureaucratisées, etc. Leur volonté de faire « n’importe quoi » pour battre les conservateurs est proportionnelle à leur incapacité à penser la lutte politique comme l’action autonome de la population, en dehors de l’arène électorale.

5. Sous la direction de Mulcair, le NPD a pris de plus en plus de distances avec le mouvement ouvrier. La plate-forme qui se dégage des discours du chef s’éloigne même du programme modéré du NPD et manifeste une adaptation plus étroite aux pressions de l’oligarchie. Le tournant de la « troisième voie » à la Tony Blair est nettement pris. Le comportement des gouvernements provinciaux issus de ce parti est annonciateur à cet égard. Ceci étant dit, il constitue toujours une option électorale issue du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux modérés du Canada. Ce n’est pas un parti patronal, mais plutôt un parti issu des classes populaires qui accepte les limites imposées par le capitalisme.

6. L’attachement du NPD au fédéralisme canadien est la conséquence logique de sa nature de formation sociale-démocrate. Toute la tradition du réformisme repose sur le mythe de la neutralité de classe et du rôle généralement bienveillant de l’État. Cette tradition est aussi dévouée à une forme ou une autre de nationalisme économique se voulant progressiste. C’est sur ce terrain qu’elle peut réconcilier ses racines populaires avec une acceptabilité politique pour la classe dominante. C’est ce nationalisme économique canadien qui explique, notamment, l’incapacité de la direction de ce parti à prendre position contre l’expansion de l’industrie des sables bitumineux et le transport de cette marchandise par oléoduc jusqu’aux Maritimes pour son exportation.

7. Étant donné la nature de classe de l’État canadien et ses racines historiques, le nationalisme canadien à une nature foncièrement impérialiste qui passe par la dénégation des autres nations dans le cadre de l’État canadien. Il est donc inévitable que la reconnaissance verbale du droit du Québec à l’autodétermination par le NPD (déclaration de Sherbrooke) soit constamment contestée non seulement par les partis bourgeois et les mass-medias, mais aussi de l’intérieur par les tendances les plus à droite dans le parti. Éventuellement, cette tension entre la recherche de respectabilité dans le cadre institutionnel canadien et l’effort de conciliation avec certaines formes de nationalisme québécois est intenable et devrait mener à des conflits internes majeurs.

8. Le Bloc québécois constitue essentiellement un appendice du Parti québécois. L’épisode maintenant terminé de la direction Beaulieu, qui pouvait laisser croire à une orientation plus clairement indépendantiste de la part du Bloc et une rupture partielle avec la direction péquiste, n’était qu’une illusion de courte durée. Avec Duceppe, il revient à une stratégie combinant le slogan creux de la « défense des intérêts du Québec » (lire la défense du Québec inc.) et l’identification nostalgique et sans conséquence au mouvement souverainiste (derrière le PQ de PKP).

9. Le PQ (et avec le lui le BQ) est un parti capitaliste autonomiste qui instrumentalise les aspirations démocratiques du peuple et la lutte de libération nationale du Québec pour se constituer une base populaire distincte de celle des autres partis capitalistes. Depuis 1968, la stratégie d’une partie de la gauche consistant à appuyer ce parti pour réaliser « l’indépendance d’abord, le socialisme ensuite » n’a conduit qu’à des défaites sur le premier objectif et à l’abandon pur et simple du second. Le PQ représente, au fond, les secteurs nationalistes de la bourgeoisie québécoise. La direction PKP en étant l’expression la plus claire imaginable. Aussi, l’engagement du PQ et du Bloc en faveur du Libre-échange et l’absence totale de critique du Bloc envers la politique budgétaire du PQ au pouvoir (déficit zéro) sont autant d’indicateurs de la nature de classe de leur orientation.

10. Par conséquent, la gauche indépendantiste n’a rien à attendre d’un appui au Bloc québécois. L’hostilité de son ancien/nouveau chef envers Québec solidaire est indéniable. L’impasse stratégique incarnée par le tandem PQ-BQ, n’a fait que s’approfondir avec le tournant « identitaire » opéré sous la direction de Pauline Marois, lequel a culminé dans l’épisode disgracieux de la Charte des valeurs. L’élection de PKP comme chef péquiste constitue la preuve par l’absurde que la stratégie d’un appui quelconque au PQ est une impasse.

11. La percée du NPD au Québec lors des élections fédérales de 2011 constituait une réponse rationnelle à la situation politique concrète dans laquelle se trouve le Québec en raison de la crise profonde et irrémédiable du mouvement souverainiste bourgeois incarné par le PQ et le Bloc. La volonté de se débarrasser du régime Harper tout en maintenant le PLC « au banc des pénalités » pour ses attaques contre le Québec et contre les programmes sociaux lors de son dernier passage au pouvoir devait mener logiquement à un vote pour le NPD. Créditer la stratégie électorale du NPD, la personnalité de Layton ou les bons coups de son équipe de communication est une évaluation terriblement superficielle de ce phénomène politique de fond. Accuser la population québécoise d’irrationalité ou les souverainistes qui ont voté NPD de trahir la cause ne sert à rien non plus.

12. Tant le NPD que le Bloc et le PLC, sans oublier les Verts, présentent différentes variantes du capitalisme vert. Les efforts récents du Bloc consistant à se donner une crédibilité ou une raison d’être en s’opposant aux oléoducs ne sont que de l’opportunisme électoral. Il est vrai que la question du transport du pétrole sur le territoire du Québec prend une dimension nationale en même temps qu’environnementale. Mais les actions du PQ au pouvoir en ce qui concerne l’exploitation pétrolière ou l’industrie minière montrent bien qu’il n’y a pas de crédibilité de ce côté. Il ne s’agit que d’une autre variation sur le thème du protectionnisme du carbone, le pétrole des « autres » étant toujours mauvais (ici celui de l’Alberta, avec le NPD, celui qui vient de l’extérieur du Canada) tandis que le « nôtre » est bon. Aussi, l’analyse de la carte électorale et des sondages ne peut mener qu’à la constatation d’un succès inattendu du Bloc cet automne mènerait à la réélection des Conservateurs (toujours forts dans l’Ouest et certaines parties de l’Ontario). Ce qui n’augurerait rien de bon sur la question des oléoducs.

13. D’un point de vue écosocialiste, féministe, indépendantiste et internationaliste, il n’y a donc aucun parti, sur la scène fédérale, qui mérite un appui de conviction, allant plus loin que le simple vote et demandant une implication de notre part dans la campagne électorale ou dans la vie interne d’un des partis existants. Autrement dit, il n’y a pas d’équivalent de Québec solidaire.

14. La résolution adoptée par le dernier Conseil national de QS, en décembre dernier, constitue en fait une manière d’éviter un débat qui aurait pu mener à des clarifications stratégiques exigeantes pour le parti. Rappelons que cette résolution s’articulait autour de trois idées : 1) aucun appui formel d’une instance de QS à un parti politique fédéral, 2) l’interpellation des candidates et candidats sur une série d’enjeux spécifiques, 3) la liberté pour les individus membres du parti d’appuyer certaines candidatures jugées progressistes. Cette position inspirée des pratiques de certains mouvements sociaux a pour conséquence une dépolitisation et à la limite d’une certaine indifférence face à l’enjeu pourtant crucial de la formation du prochain gouvernement fédéral, dont les décisions ont un impact majeur sur nos luttes et sur nos vies.

15. Il s’agit en fait d’une orientation à droite de celles adoptées par la CSN et la FTQ qui vont à tout le moins faire campagne activement contre la prolongation du régime Harper. Elle tend à personnaliser les enjeux électoraux en articulant notre intervention autour de l’interpellation des candidatures individuelles et de l’appui à certaines d’entre elles, évacuant le rôle clé des partis politiques dans notre système parlementaire. Aussi, elle n’esquisse pas même le début d’une stratégie visant à changer cette situation de façon à ce que QS puisse un jour compter sur des alliés fiables dans le Reste du Canada.

16. Toutefois, cette résolution du CN laisse une marge de manœuvre tant au Comité de coordination national (CCN) qu’aux instances locales et régionales leur permettant d’intervenir activement dans le contexte de la campagne. Par exemple, diverses instances du parti peuvent encourager les membres à participer à des initiatives de mouvements sociaux sur des enjeux spécifiques (contre la loi C-51, contre les oléoducs, solidarité avec la Palestine, défense des droits syndicaux au niveau fédéral, appel à la participation au scrutin, etc.). Ces instances peuvent aussi prendre des initiatives sur ces mêmes enjeux. La dénonciation du régime conservateur et de ses attaques contre les droits démocratiques, l’environnement, les droits des femmes, les Premières Nations, etc. (une orientation qui avait été mise en pratique lors de l’élection de 2011) pourrait être le dénominateur commun à l’ensemble de ces interventions.

17. En même temps, une résolution à part a aussi été adoptée par la même réunion en faveur de la participation du parti aux efforts de regroupement de la gauche pancanadienne, ce qui est très important et positif. Mais cet aspect du travail du parti est assumé par très peu de personnes et son importance n’est pas généralisée parmi les militantes et les militants. Le Réseau pourrait jouer un rôle important en vue de corriger ces lacunes. Depuis le Forum social des peuples, des initiatives ont permis certaines avancées en direction d’une nouvelle alternative politique pancanadienne, sur des bases politiques similaires à celles de Québec solidaire (contre les politiques d’austérité, solidarité internationale, écologie, etc.). Nous comptons continuer à participer à ces développements en collaboration avec les représentant-e-s de Québec solidaire et d’autres groupes de gauche québécois, en espérant qu’ils aboutissent à un rassemblement des forces politiques à gauche du NPD dans un proche avenir. Pour nous, la constitution de ces alliances pancanadiennes est une condition nécessaire dans la stratégie d’accession du Québec à l’indépendance.

18. Les attaques du gouvernement fédéral contre la fonction publique fédérale et les programmes sociaux démontrent la nécessité de développer un syndicalisme de combat et une convergence des luttes sociales à l’échelle canadienne. Les efforts en vue de développer une alternative politique ne porteront fruit que si les mouvements sociaux adoptent des pratiques de mobilisation et travaillent aussi à surmonter les divisions nationales.

19. La première condition pour obtenir des victoires et améliorer le paysage politique pancanadien est le renforcement des mouvements sociaux, de leur combativité, de leur capacité d’action, de leur convergence. Sans de telles mobilisations, il est impossible de limiter les dégâts causés par les gouvernements de droite ou de forcer les gouvernements progressistes à respecter leurs engagements. Sans ces luttes sociales, il ne sera pas possible, même à long terme, de faire émerger une alternative politique radicale.

20. D’ici à ce qu’une telle alternative émerge, la meilleure option pour la gauche indépendantiste, écosocialiste, féministe et internationaliste consiste à accorder un appui strictement tactique au NPD, à voter pour ce parti et à souhaiter la formation d’un gouvernement issu de ce parti, mais sans s’y investir d’une quelconque manière (ce qui serait une perte de temps à l’ère du social libéralisme austéritaire). Autrement dit, tout ce que le NPD mérite et devrait obtenir de notre part est notre vote. Pour ce qui est de notre temps, de nos énergies, de notre capacité d’action, nous allons continuer à les consacrer aux luttes sociales, au développement de Québec solidaire, au développement du Réseau écosocialiste lui-même ainsi qu’aux efforts visant à faire émerger une alternative électorale à gauche du NPD.

21. Annuler notre vote ou prôner l’abstention, dans le contexte particulier des élections fédérales de cet automne, aurait comme signification le déni du caractère spécifique du NPD, de sa basse sociale ouvrière et populaire. Ce serait refuser cette solidarité minimale de classe qui consiste à souhaiter du bien aux partis de gauche avec lesquels nous avons des désaccords importants et à reconnaître qu’ils ne sont pas identiques aux partis bourgeois.

22. Aussi, l’annulation ne serait pas une bonne orientation en vue de la construction d’une alternative radicale étant donné que la plupart des militantes et des militants du Reste du Canada qui veulent construire une telle alternative s’entendent pour souhaiter, malgré tout, l’élection d’un gouvernement NPD. Autrement dit, la majorité des personnes avec qui nous allons devoir travailler à mettre sur pied cette alternative sont présentement soit dans le NPD soit décidées à voter pour ce parti, en attendant.

23. Pour nous, l’appel au vote NPD cet automne, ne signifie pas un quelconque appui pour les orientations que défend ce parti ou la conséquence automatique de son implantation dans les classes subalternes. Notre orientation demeure la construction d’une alternative et le renforcement des luttes, ce qui devra être clair dans toutes nos communications au sujet de l’élection.

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