Tiré de France Palestine Solidarité.
Son Excellence
Monsieur Philémon Yang
Président de l’Assemblée généraleNew York, le 29 octobre 2024
Monsieur le Président
Le 7 décembre 2023 et le 22 février 2024, j’ai écrit au Président de l’Assemblée générale que la capacité de l’UNRWA à mettre en œuvre son mandat était menacée. Aujourd’hui, je dois vous informer que l’Agence fait l’objet d’une telle attaque physique, politique et opérationnelle - sans précédent dans l’histoire des Nations Unies - que la mise en œuvre de son mandat pourrait devenir impossible sans une intervention décisive de l’Assemblée générale. Les conséquences pour les Palestiniens, pour Israël et pour la région seront graves.
L’adoption aujourd’hui par la Knesset de deux lois sur l’UNRWA prive en effet l’UNRWA des protections et des moyens essentiels à son fonctionnement, en interdisant aux fonctionnaires de l’État israélien tout contact avec l’UNRWA ou ses représentants, et en interdisant les opérations de l’UNRWA sur ce qui est appelé le territoire souverain de l’État d’Israël.
Cette législation intervient après une année de mépris flagrant pour la vie du personnel de l’UNRWA, ses locaux et ses opérations humanitaires à Gaza, et après d’intenses campagnes diplomatiques du gouvernement israélien visant les donateurs de l’UNRWA par la désinformation afin de saper son financement. Les autorités locales israéliennes menacent également d’expulser l’UNRWA de son siège à Jérusalem-Est occupée et de le remplacer par des colonies.
Cette évolution risque d’entraîner l’effondrement des opérations de l’UNRWA en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et à Gaza, et de compromettre gravement l’ensemble de l’opération humanitaire des Nations unies à Gaza, qui repose sur la plate-forme de l’UNRWA. En l’absence de toute alternative viable à l’Agence, ces mesures aggraveront les souffrances des Palestiniens.
Monsieur le Président,
La situation à Gaza dépasse le vocabulaire diplomatique de l’Assemblée générale. Après plus d’un an du bombardement le plus intense d’une population civile depuis la Seconde Guerre mondiale, et la restriction de l’aide humanitaire bien en deçà des besoins minimaux, la vie des Palestiniens est brisée. Plus de 43 000 personnes auraient été tuées, en majorité des femmes et des enfants. La quasi-totalité de la population est déplacée. Les écoles, les universités, les hôpitaux, les lieux de culte, les boulangeries, les réseaux d’eau, d’égouts et d’électricité, les routes et les terres agricoles ont tous été détruits. La population survivante vit dans la plus grande indignité. Dans le nord, la population est prise au piège, attendant d’être tuée par des frappes aériennes ou de mourir de faim.
Les otages pris en Israël continuent de souffrir en captivité, leurs familles étant laissées dans une terrible détresse. La violence s’intensifie en Cisjordanie, où la destruction des infrastructures publiques inflige une punition collective à la population civile. La guerre a débordé et s’est intensifiée au Liban.
Le démantèlement de l’UNRWA aura un impact catastrophique sur la réponse internationale à la crise humanitaire à Gaza. Il sabotera également toute chance de redressement. En l’absence d’une administration publique ou d’un État à part entière, aucune entité autre que l’UNRWA ne peut assurer l’éducation de 660 000 garçons et filles. Une génération entière d’enfants sera sacrifiée, avec des risques à long terme de marginalisation et d’extrémisme. En Cisjordanie, l’effondrement de l’UNRWA priverait les réfugiés palestiniens d’accès à l’éducation et aux soins de santé primaires, ce qui aggraverait considérablement une situation déjà instable.
Les ramifications politiques de l’effondrement de l’UNRWA sont désastreuses et ont des conséquences désastreuses pour la paix et la sécurité internationales. Les attaques menées contre l’Agence entraînent des modifications unilatérales des paramètres de toute solution politique future au conflit israélo-palestinien et portent atteinte au droit des Palestiniens à l’autodétermination et à leurs aspirations à une solution politique.
Ces attaques ne mettront pas fin au statut de réfugié des Palestiniens, qui existe indépendamment des services fournis par l’UNRWA, mais nuiront gravement à leur vie et à leur avenir.
Monsieur le Président,
Des allégations concernant des violations de la neutralité, telles que l’utilisation abusive de l’V par des groupes militants palestiniens, y compris le Hamas, ont été utilisées pour justifier les mesures prises à l’encontre de l’UNRWA. Le rapport indépendant d’avril 2024 sur la neutralité de l’UNRWA (le rapport Colonna) a noté l’environnement opérationnel exceptionnellement difficile de l’Office et a constaté que l’UNRWA dispose d’un cadre de neutralité plus solide que n’importe quelle organisation comparable. L’Agence continue de déployer tous les efforts possibles pour mettre en œuvre les recommandations du rapport, notamment par l’intermédiaire d’une équipe de mise en œuvre spécialisée.
Malgré ces efforts, l’UNRWA - comme les entités comparables des Nations unies - ne dispose pas de capacités policières, militaires ou de renseignement et doit compter sur les États membres pour assurer sa protection et sa neutralité, en particulier dans les zones contrôlées par des groupes militants puissants. À cette fin, depuis plus de 15 ans, l’UNRWA partage chaque année les noms de son personnel avec le gouvernement israélien. Cela inclut les noms des membres du personnel au sujet desquels le gouvernement n’avait jamais exprimé d’inquiétudes auparavant, mais qui ont été inclus dans les listes gouvernementales alléguant un militantisme armé. L’Agence prend chaque allégation très au sérieux. Elle a envoyé des demandes répétées au gouvernement - en mars, avril, mai et juillet - pour obtenir des preuves lui permettant d’agir. Aucune réponse n’a été reçue. L’UNRWA se trouve donc dans la position délicate d’être incapable de répondre à des allégations pour lesquelles il n’a pas de preuves, alors que ces allégations continuent d’être utilisées pour miner l’Agence.
À l’avenir, j’espère que le gouvernement israélien s’engagera auprès de la direction de l’UNRWA pour répondre à chaque allégation, afin qu’elle ne soit plus une préoccupation pour le gouvernement ou un obstacle pour l’UNRWA.
L’Agence fait également l’objet d’attaques physiques intenses à Gaza. Au moins 237 membres du personnel de l’UNRWA ont été tués. Plus de 200 locaux ont été endommagés ou détruits, tuant plus de 560 personnes cherchant la protection de l’ONU. Des dizaines de membres du personnel de l’UNRWA ont été arrêtés et disent avoir été torturés. L’Office a reçu des allégations concernant l’utilisation militaire de ses locaux par des groupes armés palestiniens, dont le Hamas, et par les forces israéliennes. Étant donné que toute la bande de Gaza est une zone de combat active, la plupart du temps soumise à des ordres d’évacuation, l’Office n’est pas en mesure de vérifier ces allégations. L’Agence doit rendre des comptes par le biais d’une enquête indépendante.
Monsieur le Président,
Aujourd’hui, alors même que nous regardons les visages des enfants de Gaza, dont nous savons que certains mourront demain, l’ordre international fondé sur des règles s’effondre dans une répétition des horreurs qui ont conduit à la création des Nations unies, et en violation des engagements pris pour éviter qu’elles ne se reproduisent. Les attaques contre l’UNRWA font partie intégrante de cette désintégration.
Je pense que l’UNRWA s’est acquitté de son mandat en dépassant de loin tout ce que l’on peut demander à une entité ou à un membre du personnel des Nations unies. Les habitants de Gaza disent que l’UNRWA est le seul pilier de leur vie encore debout. Mon personnel a travaillé pendant 13 mois sans relâche, en grand danger, au milieu de tragédies personnelles et de déplacements de familles. Les enseignants gèrent des abris pour des dizaines de milliers de personnes. Le personnel des soins de santé primaires effectue des opérations chirurgicales. Des chauffeurs risquent leur vie chaque jour pour sauver des gens de la famine. Les cadres prennent des décisions de vie ou de mort impossibles à prendre. L’UNRWA a contribué à assurer la survie de Gaza jusqu’à présent, entretenant l’espoir d’une solution politique. Mon personnel a donné bien plus que ce que nous sommes en droit de lui demander.
Dans ces conditions intenables, je sollicite le soutien des États membres, à la mesure de la gravité de la situation et des risques, afin de garantir la capacité de l’Agence à remplir pleinement le mandat qui lui a été confié par l’Assemblée générale (Rés. 302 (IV), 1949).Dans l’attente de votre décision urgente, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
Sincèrement,
Philippe Lazzarini
Traduction : AFPS
Photo : L’UNRWA fournit une réponse humanitaire à 2,2 millions de personnes © UNRWA
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