Édition du 12 novembre 2024

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Israël - Palestine

« Sans l’UNRWA et le droit au retour, il n’y a plus de Palestine »

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI.

Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de la ville de Gaza avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Il a reçu, pour ce journal de bord, deux récompenses au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre, dans la catégorie presse écrite et prix Ouest-France. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

Tiré d’Orient XXI.

La Knesset a adopté une loi qui interdit à L’UNRWA de travailler à Gaza en particulier, et en Palestine en général. Je peux dire que ce vote marque le passage du génocide humanitaire au génocide politique. L’objectif est d’en finir avec le Palestinien en tant qu’être humain.

Les Israéliens massacrent les Palestiniens dans le but de tous les transformer en réfugiés. La deuxième Nakba est en cours. Aujourd’hui, ils veulent nous effacer sur le plan politique et juridique. L’UNRWA, c’est le droit au retour, c’est la reconnaissance par les Nations unies de l’injustice subie par les Palestiniens en 1948, quand ils ont été massacrés et expulsés de leurs villes natales — à Haïfa, à Jaffa, dans le nord de la Palestine — vers le Liban, la Jordanie, la Syrie, la Cisjordanie et vers Gaza aussi.

L’UNRWA est la seule agence de l’ONU créée spécialement pour les Palestiniens, et pour eux seuls. Les Israéliens sont en train de faire la guerre à cette institution parce qu’ils savent très bien ce qu’elle signifie politiquement. C’est le volet politique du génocide. Ils veulent effacer toute trace du crime et de l’injustice, minimiser la question palestinienne pour en faire un problème uniquement humanitaire. Ils parlent de remplacer l’UNRWA par un autre organisme, qui serait plus complaisant.

L’UNRWA incarne la reconnaissance politique du droit au retour. Avant la guerre, elle assistait à Gaza 1,7 million de personnes, les réfugiés et leurs descendants, qui constituent 75 % de la population de Gaza. Aujourd’hui, elle porte secours à la totalité des Gazaouis. Nous sommes tous des réfugiés. L’UNRWA, c’est l’éducation, les écoles, des services de santé, des cliniques, des services d’embauche. Elle emploie environ 13 000 personnes à Gaza. L’UNRWA c’est l’eau, c’est la nourriture, les infrastructures, la propreté, le nettoyage, c’est tout. C’est la vie pour les Palestiniens, et surtout ceux qui ont un statut de réfugié.

Ils font la guerre au droit depuis longtemps

Les Israéliens ne commettent pas seulement des massacres, ils détruisent aussi l’histoire des Palestiniens de Gaza. Ils ont bombardé et rasé à l’explosif les musées, les sites archéologiques, les universités. Même l’ancien hammam, vieux de plus de mille ans. Ils ne veulent plus aucune trace historique du lien entre cette terre et les Palestiniens. Maintenant, ils veulent effacer leur existence politique. L’UNRWA, c’est le symbole de la présence politique des Palestiniens, et l’affirmation que l’occupant est en train de tout voler, non seulement la terre, mais notre patrimoine, notre histoire, notre culture, et jusqu’à notre art de la broderie et notre gastronomie, en présentant les falafels ou le houmous comme des « plats israéliens ».

Nétanyahou et son gouvernement d’extrême droite savent très bien ce que le droit veut dire, et ils lui font la guerre depuis longtemps. Plusieurs fois, ils ont essayé de mettre fin à l’UNRWA, en vain jusque-là. Cette fois, ils ont voté une loi, à la quasi-unanimité.

Mais pas seulement. Ils sont en train de préparer une autre loi pour interdire les représentations diplomatiques installées à Jérusalem. On sait bien que ces délégations, officiellement nommées « consulats » font depuis 1948 fonction d’ambassades auprès des Palestiniens, même pour les pays qui ne reconnaissent pas officiellement l’État de Palestine. Si je veux obtenir un visa pour la France, je dois passer par le consulat de Jérusalem, pas par l’ambassade de Tel-Aviv. Les ambassades en Israël se trouvent toutes à Tel-Aviv, car Jérusalem n’est pas reconnue par la communauté internationale comme capitale de l’État d’Israël. À l’exception notable des États-Unis, Trump ayant déplacé son ambassade à Jérusalem.

Mais les Israéliens ont commencé un travail de sape contre ces délégations, et contre les liens diplomatiques avec la Palestine en général. Le consulat espagnol s’est vu interdire tout service aux Palestiniens depuis la reconnaissance de l’État palestinien par Madrid. La Norvège ayant fait de même, et n’ayant pas de consulat à Jérusalem, Israël a retiré leur statut diplomatique aux huit diplomates de son ambassade de Tel-Aviv chargés des relations avec les Palestiniens. Et désormais, il ne sera plus possible de créer un nouveau consulat à Jérusalem, loi adoptée le 30 octobre 2024 par la Knesset.

Ce sentiment de ne pas être humain

Toujours l’arme de la punition collective. On punit l’UNRWA parce qu’on prétend que 12 de ses employés ont participé au 7 octobre, accusations par ailleurs non prouvées par Israël. Douze personnes sur treize mille employés. On est en train de chercher n’importe quel prétexte pour éliminer jusqu’au mot « droit ». Pour mettre en œuvre le génocide politique des Palestiniens. Le génocide humanitaire est toujours en cours. Tout le monde le voit, tout le monde voit ces massacres, ces « israéleries », ces boucheries. Et personne ne réagit. On n’ose même pas utiliser le mot « génocide ». Alors qu’en ex-Yougoslavie et en Birmanie, l’ONU a reconnu des génocides. Mais en Palestine, on ne parle pas de génocide parce que les auteurs sont les Israéliens. Pourquoi la communauté internationale bougerait-elle, alors qu’elle ne dit pas un mot devant les images d’enfants décapités, déchiquetés, ensevelis sous les ruines de leurs maisons frappées par des bombes de deux tonnes ? Ce qui se passe aujourd’hui à Jabaliya, au nord de la bande de Gaza, c’est l’équivalent du siège de Massada pour les juifs. Ce blocus imposé aux Juifs par des Romains, c’est exactement ce que les Israéliens sont en train de faire au Nord. Jabaliya, c’est le Massada des Palestiniens. Un siège hermétique. Plus de nourriture, même pas un verre d’eau. Pas de soins, pas de secouristes. Rien du tout.

C’est la non-vie. Des familles entières sont massacrées dans le bombardement de leur immeuble. Vingt personnes, trente personnes. Ceux qui ne meurent pas sous les bombes meurent de faim. Je n’arrive pas à supporter cette oppression, cette humiliation. Nous sommes exterminés par une machine de guerre sans pitié. Et ce sentiment que tout le monde nous regarde, et que personne ne bouge… Ce sentiment de ne pas être humain. Pourquoi subissons-nous tout cela sous les yeux de ce monde qui prétend représenter la démocratie, la liberté, les droits humains ? Ce monde qui n’a que ces mots à la bouche, les droits de l’homme, les droits des femmes, les droits des enfants et même les droits des animaux.

Ce sentiment qu’on ne vaut pas grand-chose, qu’on est cheap, comme disent les Anglais. Qu’on mérite seulement de mourir sous les yeux du monde. Pourtant le monde est devenu tout petit. Avec les réseaux sociaux, où avec tout ce qui se passe est partagé 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, rien ne peut être caché. Tout le monde peut voir un petit garçon dire adieu à son père. Un père porter son enfant sans tête, ou dans un sac, parce qu’il n’a trouvé que des restes éparpillés.

C’est pour cela que je crois que les Israéliens vont réussir ce génocide politique en même temps que le génocide humanitaire. Interdire la seule organisation internationale qui incarne le droit au retour, personne n’est dupe : cela veut dire l’extinction du droit au retour. Ainsi il n’y aura plus aucune relation entre les Palestiniens et leur territoire, plus de relation entre les Palestiniens et la Palestine. Il n’y aura rien qui s’appelle la Palestine.

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