photo Serge d’Ignazio
Dans le contexte actuel, la réponse ne peut être que négative. Bien au contraire, la situation est plus explosive que jamais. La présence de Donald Trump et de sa garde rapprochée à la Maison-Blanche et dans les postes clés de l’appareil politique, avec leur parti-pris fanatique bien connu en faveur de l’État hébreu aggrave les choses. Même s’ils ne se déclarent pas opposés à la solution à deux États, en pratique ils y ont renoncé, c’est presque officiel. À la place, ils essaient d’imposer aux Palestiniens un État croupion qui ne comprendrait qu’une modeste partie de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est (un petit faubourg sans doute).
Les sionistes d’extrême-droite au pouvoir à Tel Aviv veulent ressusciter "le grand Israël biblique" qui s’étendrait du rivage de la Méditerranée au Jourdain. Officiellement d’ailleurs, ils qualifient la Cisjordanie de "Judée-Samarie", ce qui équivaut à nier aux Palestiniens la légitimité de leurs revendications territoriales. Ils rêvent d’une seconde NAQBA semblable à celle ayant provoqué l’exode d’une majorité d’Arabes de leur pays pour faire place à l’État d’Israël. Ils multiplient depuis des années, en Cisjordanie conquise, le nombre de colons qui sont désormais rendus à environ 800 000 au milieu d’une population palestinienne de 3 millions de personnes, ce qui représente une grosse écharde dans la chair palestinienne.
Les milieux de droite, d’extrême-droite et toute une partie de l’opinion israélienne appuient à divers degrés cette ambition de judaïser ce qui reste de l’ancienne Palestine arabe. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou a augmenté récemment les opérations militaires en Cisjordanie afin de "préparer le terrain" pour appuyer la nouvelle poussée de colonisation, préparer le terrain pour la continuer et démoraliser les résistants palestiniens.
Cette ambition territoriale a-t-elle des chances de se réaliser ? Netanyahou et consorts y croient-ils vraiment ? Ou s’aveuglent-ils volontairement, prenant leurs rêves les plus fous pour la réalité ?
La solution du partage de la Cisjordanie entre Israéliens et Palestiniens est irréaliste. Il est probable que le gouvernement israélien, appuyé par Washington, exercerait une pression intense sur les Palestiniens (d’ordre militaire, économique et démographique) pour les faire céder, c’est-à-dire pour qu’ils abandonnent la majeure partie du territoire où ils sont majoritaires. Si les négociateurs palestiniens capitulaient, ils se retrouveraient à la tête d’un État qui ne recouvrirait qu’une petite partie de la Cisjordanie ; la majorité de leurs compatriotes demeurerait donc sous souveraineté israélienne. Quel serait leur statut ? Pas question pour les responsables israéliens de leur accorder la citoyenneté israélienne et le droit de vote qui l’accompagne, car cela bouleverserait l’équilibre des forces partisanes à la Knesset.
En Cisjordanie, le conflit entre une majorité de Palestiniens et de Palestiniennes, sans statut politique et légal bien défini, et Israël ne pourrait alors que rebondir. La population occupée subirait encore l’arbitraire de l’occupant. Seuls les colons israéliens bénéficieraient des droits politiques et civiques. Or, en dépit des efforts forcenés du gouvernement Netanyahou pour faire grandir rapidement le nombre de colons juifs en Cisjordanie, les Palestiniens y sont et seront toujours majoritaires. Il n’y aura pas de nouvelles NAQBA. Les Palestiniens ne manifestent aucune intention de fuir en masse leur terre natale ; d’ailleurs, les pays arabes voisins refuseraient sûrement d’accueillir cette foule de réfugiés. Il suffit de penser aux 2,2 millions de Gazaouis qui tiennent à demeurer sur leurs terres dévastées par la récente guerre, même au milieu des ruines. L’Égypte et la Jordanie refusent d’en accepter chez eux. Donald Trump peut aller se rhabiller (c’est le cas de le dire) avec sa tentation d’en faire une "riviera" méditerranéenne.
Par ailleurs, si un gouvernement moins "colonisateur" s’installait au pouvoir à Tel Aviv et décidait dans un élan de justice marqué par l’idéalisme de rendre aux Palestiniens une partie considérable de la Cisjordanie, il se heurterait alors à la résistance féroce des colons juifs dont certains sont établis en Cisjordanie depuis déjà des décennies. Ils feraient valoir leurs "droits acquis" et refuseraient certainement d’obtempérer à l’ordre de cet hypothétique gouvernement de revenir en Israël. Si le gouvernement persistait dans sa décision de les rapatrier, une guerre civile risquerait d’éclater. De quel côté pencherait l’armée ? La question se poserait avec acuité. Elle serait aussi divisée que le gouvernement auquel elle est censée obéir et que l’opinion publique israélienne elle-même. C’est une situation classique à laquelle est confrontée toute puissance colonisatrice, comme la France en Algérie à la fin des années 1950 et la Grande-Bretagne en Irlande à la fin de la décennie 1910. Plus le temps passe, plus le nombre de colons juifs se multiplie en Cisjordanie et plus le problème devient épineux. Dans un avenir prévisible, il semble impensable qu’un cabinet israélien adopte ce genre d’initiative qui entraînerait des déchirements à l’intérieur même d’Israël. La situation présente est grosse de conflits non seulement entre Israéliens et Palestiniens, mais potentiellement entre Israéliens eux-mêmes, sans oublier les divisions classiques à l’intérieur même de la société palestinienne entre "jusqu’au boutistes" d’une part et "pragmatiques" d’autre part, ces derniers prêts à davantage de compromis au nom du réalisme.
Les gouvernements occidentaux dans leur ensemble (y compris Ottawa) s’opposent au projet de déporter les Gazaouis, proposition qui provoque leur sincère indignation. Mais ils ont longtemps soutenu Israël et son "droit à l’autodéfense", ils continuent malgré tout à commercer avec l’État hébreu. Ils n’envisagent aucune mesure de rétorsion envers cet État qui demeure, malgré tout, leur protégé. On est donc loin d’assister de leur part à un retournement concret en faveur des Palestiniens.
La "solution" de l’annexion par Israël de la majeure partie de la Cisjordanie et même de Jérusalem-Est est donc impossible. Elle forme la "recette" parfaite pour l’éternisation du conflit, car elle mène à l’impasse. Le rapatriement de tous les colons juifs en Israël n’est guère plus envisageable. On se trouve donc devant un entrelacement épineux, quasi inextricable. Seules de fortes pressions de la part des alliés d’Israël permettraient de trancher le noeud gordien..
On reste perplexe devant le soutien aveugle de Trump à Netanyahou, et par conséquent à ses projets d’annexion territoriale. Au moins, Biden y apportait certaines nuances et réserves. En pratique, il laissait assez largement le champ libre à Netanyahou, mais ne l’encourageait pas dans ses lubies d’expansion territoriale débridées. Il est vrai que la logique détachée des réalités les plus élémentaires de Trump est cohérente avec ses déclarations de transformer le Canada en 51ème État américain...
Jean-François Delisle
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