Tiré de Asialyst
7 février 2025
Par Hubert Testard
Lion et Dragon combattants, peinture iranienne du XVIIIe siècle de Muhammad Baqir, Metropolitan Museum of Art à New York. DR.
Le Chine est depuis le 4 février le seul pays touché par les sanctions commerciales annoncées par le président américain depuis sa réélection. Le Mexique et le Canada ont obtenu un répit de 30 jours qui pourrait conduire à des accords durables si les concessions faites permettent à Washington d’en faire un triomphe médiatique. L’Europe est menacée, sans savoir encore de quoi.
Dans le cas de la Chine la négociation s’annonce plus complexe. Car elle a en arrière-plan des enjeux géopolitiques, comme le rôle que pourrait ou non jouer le président chinois Xi Jinping dans la recherche d’une issue à la guerre menée par la Russie en Ukraine, économiques avec l’avenir de l’application chinoise controversée TikTok aux Etats-Unis, ou technologiques avec le contrôle de l’« empire du milieu » sur les terres rares et les métaux critiques.
Les sanctions américaines ne mordent pas pour le moment
Les 10% de droits de douane décrétés par Trump ne sont pas une bonne nouvelle pour une économie chinoise en plein marasme et confrontée à l’atonie de la demande intérieure. Mais ce n’est pas une catastrophe. Le yuan a perdu 4% de sa valeur face au dollar depuis le mois d’octobre dernier, et près de 13% depuis deux ans. Le billet vert s’envole comme toujours en période d’incertitude, et l’impact réel des droits de douane a de bonnes chances d’être inférieur au taux annoncé.
Par ailleurs l’inflation en Chine est très faible. L’indice des prix à la production dans l’industrie a perdu 2% de sa valeur entre décembre 2022 et décembre 2024 alors que cet indice a progressé de 5,4% aux Etats-Unis sur la même période. La décision prise par Trump ne fait en réalité que rétablir l’équilibre des prix relatifs sur un an (qui se calculent en combinant inflation et variations de change) et ne suffit pas à compenser le renforcement de la compétitivité prix de l’industrie chinoise sur deux ans.
Une des annonces de Washington aura un impact plus immédiat. Il s’agit de la suppression des exemptions de droits de douane sur les petits colis. Cette décision va pénaliser les grands du e-commerce chinois au profit notamment d’Amazon. Sans doute une première rétribution après le ralliement de Jeff Bezos lors de la campagne électorale américaine.
Les contremesures chinoises ont un impact sectoriel limité mais stratégique
Les décisions annoncées par Pékin ne sont pas globales. Elles consistent à surtaxer à hauteur de 15% les exportations américaines de charbon et de gaz naturel liquéfié (GNL), et de 10% les machines agricoles, les grosses cylindrées automobiles et les camionnettes. Certaines restrictions à l’exportation ou l’inscription de nouvelles entreprises américaines sur la « liste noire » chinoise complètent le dispositif.
Les exportations américaines de GNL vers la Chine ne représentent que 2,3% de leurs ventes mondiales, et moins de 4% des importations chinoises. C’est un peu différent pour le charbon, où le marché chinois capte 11% des exportations américaines (mais seulement 2,5% des achats de charbon par Pékin). Il sera facile pour les deux pays de compenser la réduction éventuelle du volume d’échanges de GNL en se tournant vers d’autres destinations. Ce sera plus difficile pour Washington en ce qui concerne le charbon. L’année 2024 avait été une très bonne année pour les ventes américaines de charbon vers le marché chinois – avec une progression de plus de 70% -, et le choc des droits de douane pourrait briser cette progression.
Globalement les mesures annoncées sur l’énergie ne portent que sur 5% des ventes américaines vers la Chine. Les autres sanctions décidées par Pékin ont un impact encore plus ciblé. Celles portant sur l’automobile vont pénaliser Ford et GM pour un volume global assez faible, sans affecter Tesla qui produit ses modèles à Shanghai.
La décision potentiellement la plus dangereuse pour les Etats-Unis est l’allongement de la liste des métaux critiques soumis à des restrictions à l’exportation. Après les annonces faites en décembre 2024 sur le gallium (qui vise le marché des semi-conducteurs), cette liste s’étend désormais à un groupe d’alliages rares et de métaux critiques (tungstène, tellurium, bismuth, molybdène…). Des métaux qui ont une fonction clé dans les chaînes de valeur industrielles de l’électronique, l’aéronautique ou des voitures électriques.
Quelle est la suite du film ?
Lors de la première guerre commerciale initiée par Donald Trump contre la Chine à partir de mars 2018, les sanctions américaines avaient progressé en plusieurs étapes : des droits de douane sur les panneaux solaires, les machines à laver, l’acier et l’aluminium entre janvier et mars, une surtaxe de 25% pour 50 milliards de dollars de produits exportés par la Chine en avril, et de nouvelles annonces en juillet avec une surtaxe de 10% portant sur 200 milliards de dollars de produits.
Pékin avait réagi rapidement par des sanctions équivalentes. Les négociations pour un accord commercial global ont commencé au mois de mai 2018. Après diverses péripéties et des compromis partiels les deux pays sont parvenus à un accord global intitulé « Phase One » le 15 janvier 2020.
La phase actuelle a été qualifiée par le président américain de « première salve. » Ce qui veut dire que d’autres mesures vont probablement être prises après analyse des contre-mesures chinoises tandis que les deux pays entament des négociations. Les objectifs de Donald Trump ne sont pas d’une clarté limpide. Il a surtout mis en avant la question du fentanyl, une drogue de synthèse qui tue des dizaines de milliers d’Américains chaque année, qui a déjà donné lieu à un accord bilatéral entre Xi Jinping et Joe Biden en novembre 2023, avec des résultats semble-t-il insuffisants. Il mentionne le déficit bilatéral en termes généraux, alors qu’il évoque des secteurs précis comme l’acier ou les semi-conducteurs quand il s’agit de protéger globalement l’industrie américaine.
Il faut s’attendre à une nouvelle succession d’annonces, de contre-annonces et d’accords partiels ou globaux dans les prochains mois, à un rythme probablement soutenu car le président américain veut aller très vite sur tout.
Comment réduire les déséquilibres commerciaux des deux pays ?
Le problème de Donald Trump n’est pas seulement la Chine. Le déficit de la balance des paiements du pays est global et structurel. Il dépasse 2% du PIB du pays chaque année depuis vingt-cinq ans. Ce déficit ne résulte pas d’un complot mondial mais tout simplement d’un excès de consommation et d’une insuffisance d’épargne, qui limite l’investissement et donc l’offre de produits américains sur le marché intérieur.
C’est exactement l’inverse dans le cas de la Chine, qui souffre d’une insuffisance de la consommation intérieure et d’un excès d’épargne. Le taux d’épargne brute chinois atteint plus du double du taux américain depuis vingt ans. Il explique les excédents commerciaux permanents du pays.
Source : Banque Mondiale.
Si le bon sens l’emportait, chacun des deux pays travaillerait à rétablir un meilleur équilibre entre l’épargne et la consommation. Des discussions sur ce sujet ont d’ailleurs eu lieu dans le passé entre les experts économiques des deux administrations, à une époque où Washington avait une vision des équilibres macro-économiques.
Le protectionnisme de Trump peut conduire à une réduction du déficit américain, mais ce sera probablement par une hausse de l’inflation et une baisse de la croissance, ce qui n’est clairement pas l’objectif. Par ailleurs freiner les exportations chinoises ne sert pas à grand-chose si dans le même temps les investisseurs chinois ne sont pas les bienvenus aux Etats-Unis et ne peuvent pas contribuer à une relance de la production industrielle nationale.
Par Hubert Testard
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