Des gens venus d’horizons très différents – syndiquéEs du secteur public qui défendaient leurs droits, de nombreux pompiers, policiers, anciens combattants, et des salariéEs du secteur privé qui ne sont pas touchés directement par la nouvelle loi, y ont participé activement. Cette expérience laisse entrevoir l’énorme potentiel de l’action collective comme moyen pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Le courage manifesté par des gens ordinaires — en commençant par des élèves du secondaire qui ont quitté leur classes avec leurs enseignants et qui, de manière concertée, ont pris des « congés de maladies », et jusqu’aux sénateurs démocrates qui ont fui l’État pour empêcher la tenue d’un vote sur le projet de loi — a été contagieux, stimulant d’autres milliers de personnes à se mobiliser pour répondre à des attaques semblables contre la classe ouvrière d’Ohio, d’Indiana, du Michigan, du Tennessee, et ailleurs.
Avec le retour au calme autour du Capitole et l’effritement attendu du mouvement de protestation, il est nécessaire d’en tirer des leçons et de réfléchir à comment soutenir et renforcer l’énergie qui s’est manifestée. Il est évident que l’occupation ne pouvait s’éterniser et que les sénateurs démocrates tôt ou tard allaient revenir. Quelle qu’en soit l’issue, la normalité allait se restaurer, quoiqu’avec un électorat plus politisé, au moins pour le moment.
Par conséquent, une leçon très claire est que même les manifestations les plus robustes sont souvent être insuffisantes contre les forces idéologiques et financières de l’offensive droitière, et qu’en l’absence d’un travail soutenu d’organisation, de telles mobilisations ne peuvent atteindre des résultats très significatifs à long terme. Mais l’exubérance autour de la perspective d’une grève générale – même si le mouvement syndical à l’échelle de l’État ne possède ni l’infrastructure ni, au niveau de la direction, la volonté d’entreprendre une telle initiative – souligne la forte présence d’une telle impulsion au sein des cercles progressifs.
Toutefois, si. d’un côté, Wisconsin a démontré que les grandes foules et les discours militants ne suffisent pas pour résister à une agression si vicieuse de la droite, de l’autre côté, cette mobilisation a souligné le rôle vital du mouvement syndical, qui était à l’origine de la grande mobilisation et des discours militants, en offrant aux travailleurs et aux travailleuses les réponses progressistes qu’ils et elles cherchent. Qu’il y ait une soif d’une vision politique qui présente une alternative aux programmes bipartisans d’austérité est manifeste dans la colère qui s’est exprimée à Madison et dans les capitales d’autres États.
Cela est devenu évident dans les sondages qui font état d’une opposition populaire importante à ces mesures draconiennes. Si on y ajoute le fait que d’un point de vue purement logistique le mouvement syndical a la capacité de mobiliser efficacement un si grand nombre de personnes, il est clair que les syndicats doivent constituer l’épine dorsale de toute réponse sérieuse à l’attaque coordonnée de la droite au niveau national. En fait, la leçon peut-être la plus importante de Wisconsin est l’urgence de construire une riposte. En l’absence d’une résistance efficace nous risquons bien de nous retrouver non seulement sans un secteur public significatif, mais aussi sans mouvement ouvrier, l’arme principale qui nous a permis d’avoir ces services publics.
Même s’il est évident qu’une riposte progressiste est nécessaire, il n’y a pas de consensus concernant la forme qu’elle doit prendre. Les projets de lois antisyndicales qui font leur chemin dans les législatures sont odieux. Mais n’oublions pas qu’ils sont apparus dans le contexte de trois décennies de recul du mouvement ouvrier et de la gauche. Pour cette raison un simple retour au statu quo d’avant novembre 2010, loin d’être une victoire, serait une capitulation ultime.
Il faut réfléchir à comment riposter efficacement. Il faut analyser nos erreurs des trois dernières décennies. Une telle analyse pourrait remplir des tomes entiers, mais l’un de ses éléments fondamentaux est sans doute le fait que nous avons permis à nos adversaires à fixer dans la conscience collective les limites de ce qui est possible, à définir les termes du débat.
Incapables d’offrir une vision audacieuse de la société que nous voulons, tant à cause de notre propre faiblesse qu’à cause de l’intensité de l’attaque patronale contre tout ce à quoi nous nous accrochions encore, nous nous sommes limités à des luttes défensives. Nous réagissions, sans jamais initier. Une partie de l’explication a été notre grand souci de ne pas nuire aux chances électorales des Démocrates – il faut se rappeler des attaques vicieuses contre la candidature de Ralph Nader à la présidence en 2000. Mais n’oublions pas que le régime néolibéral qui nous a mis sur la défensive est une création bipartisane. Il suffit de se rappeler la poursuite par Bill Clinton de l’ALENA et sa « réforme » du bien-être social.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que la phase la plus récente de la riposte à Wisconsin, qui est dirigée par le Parti démocratique et les bureaucraties syndicales de cet État, suit des sentiers électoraux et légaux familiers dans le but de renverser la loi. Ces acteurs seront sans doute satisfaits si ce résultat est atteint. C’est une approche importante qui peut apporter des gains tangibles - les tribunaux ont temporairement bloqué la mise en application de la législation et les tentatives de révoquer les élus républicains les plus vulnérables pourraient résulter en l’abrogation de la loi. Ce serait des victoires concrètes qui serviraient pour longtemps à rappeler le potentiel de l’action collective.
Mais en même temps cette stratégie, à elle seule, nous ramènerait au mieux au point de départ : les budgets des États en train d’être sabrés, la perte massive d’emplois dans le secteur public, la réduction des salaires et des avantages sociaux, la dégradation des services publics. Même si n’importe qui semble préférable à Scott Walker et au Parti républicain, n’oublions pas que pendant trente ans les Démocrates ont suivi le programme néolibéral qui a affaibli nos institutions publiques et les syndicats. Ils l’ont fait avec le même enthousiasme que les Républicains, et souvent de manière plus sournoise et dangereuse.
Le retour au statu quo ante avec les Démocrates gaspillerait ce qui pourrait être le début de la construction d’un mouvement social de classe dynamique et orienté vers des préoccupations centrales comme le droit à un emploi de qualité, la qualité de l’éducation, des soins de santé abordables, le logement et, plus fondamentalement encore, la distribution inégale de richesse dans notre société. Il ne sera pas facile de bâtir un tel mouvement. C’est un projet de longue haleine qui demande des efforts organisés de mobilisation et qui ne comporte aucune garantie de succès.
Avec le temps, ce projet requiert la création d’une organisation nationale indépendante qui peut articuler une vision alternative de la société et élaborer un programme politique qui pourrait trouver un écho auprès de la grande majorité de la population, auprès de ceux et celles pour qui joindre les deux bouts pose un problème. Dans l’intervalle, la situation en Wisconsin, pour la première fois en ce qui semble une éternité, permet aux militantes et militants de se mettre à initier un tel processus.
La période prolongée de campagnes de révocation des élus républicains fournit aux syndicalistes et aux autres militantEs l’occasion de bâtir une organisation indépendante et d’élaborer une plate-forme pour des candidatEs indépendantEs à des postes publics. Et même si à ce moment-ci une grève générale n’est peut-être pas la stratégie la plus pratique ou stratégiquement viable, les syndicalistes peuvent poursuivre leur travail de mobilisation pour d’autres actions militantes, petites ou d’envergure, en menant des conversations quotidiennes avec leurs collègues.
Ce genre d’effort de mobilisation aurait sans doute une influence sur les directions syndicales qui hésitent à exercer de la pression sur les Démocrates, ou à les abandonner. Compte tenu de la dépendance des Démocrates du soutien des syndicats dans les prochaines élections, cette pression pourrait avoir une influence sur le contenu de leur campagne de révocation.
Les amorces d’une telle approche semble déjà exister. On les trouve au sein des militantEs du syndicat des enseignantEs de Madison (MTI), qui ont organisé la campagne de « congés-maladie », au sein des étudiantEs-employÉs des universités qui éraient parmi ceux et celles qui ont refusé de quitter le Capitole, dans la « Vague de Wisconsin » récemment formée, dans coalition « non aux concessions » dirigée par Le syndicat des infirmières et infirmiers (UNA), ou dans les nombreux syndicats locaux et les organisations communautaires à travers l’État qui ont apporté une contribution si importante au mouvement.
Le défi pour les organisateurs est de réunir les dirigeants de ces organisations et de canaliser l’énergie explosive qui en émane. Cela peut paraître difficile. Mais il y a longtemps que cela n’a pas paru aussi possible.
Traduction : David Mandel