Glenn Disesen est Rédacteur de Russia in Global Affairs
https://www.rt.com/russia/529915-failed-regime-change-policy/
Cette figure de proue de l’opposition préférée de l’Occident était récemment à Washington pour demander l’imposition de sanctions à son pays dans le but de renverser son président vétéran assiégé, Alexandre Loukachenko.
« Je pense qu’il est grand temps que les pays démocratiques s’unissent et montrent leurs dents », a-t-elle déclaré aux politiciens et politiciennes, articulant ses rêves pour son pays en termes pro-américains. Cela a sans aucun doute gagné des partisan.e.s, et son appel correspond au modèle classique de Washington de changement de régime : détourner les protestations populaires afin de redessiner les lignes de front géopolitiques dans le monde.
Tikhanovskaya semble être la plus récente d’une lignée de personnalités marginales d’opposition qui sont ointes comme des sauveur.e.s par l’Occident, comme le Vénézuélien Juan Guaidó ou le Russe Alexey Navalny. Une fois que le récit d’un personnage pro-démocratique cherchant à s’aligner sur les États occidentaux a été planté et que les médias emboîtent le pas, il est alors jugé légitime pour Washington d’organiser la « société civile » contre cet État. Tout comme en Ukraine, les pays de l’OTAN sapent la souveraineté de la Biélorussie sous les auspices du soutien au peuple.
Un récit détaché de la réalité
Un récent sondage de Chatham House en Grande-Bretagne montre à quel point ce récit est loin de la réalité. En réponse à la question de savoir qui ferait le meilleur président de la Biélorussie, seuls 4% ont soutenu Tikhanovskaya, tandis que 23% ont répondu en faveur de Loukachenko. Un colossal 25% ont nommé Viktor Babariko – l’ancien chef d’une banque qui appartient à des Russes et qui purge actuellement une peine pour des accusations controversées de fraude.
Et pourtant, sur la base de sa popularité supposée, la Lituanie a hébergé et reconnu Tikhanovskaya comme présidente légitime de la Biélorussie et a dénoncé tout accord entre Loukachenko et la Russie comme des crime contre le peuple biélorusse. Babariko ne mérite pas de mention.
Le sondage réalisé par Chatham House révèle que les Biélorusses voient la Russie beaucoup plus favorablement que l’UE, les États-Unis ou tout autre pays. Une nette majorité des personnes interrogées est favorable au maintien de l’adhésion à l’alliance militaire de l’Organisation du traité de la sécurité collective dirigée par la Russie, tandis qu’un maigre 7 % des personnes interrogées souhaitent rejoindre l’OTAN. Ceci, cependant, n’est peut-être pas un obstacle insurmontable, puisque seulement 17% des Ukrainien.ne.s souhaitaient adhérer à l’OTAN lorsque l’OTAN a promis en 2008 que l’Ukraine deviendrait éventuellement membre.
En ce qui concerne les alliances politiques, 32% des personnes interrogées préfèrent une union avec la Russie, 9% sont en faveur d’union avec l’UE, et 46% préfèrent être dans une union et avec la Russie et avec l’UE. La Russie est clairement la partenaire la plus préférée. Mais encore plus les Biélorusses ne souhaitent pas vivre dans une Europe divisée qui les oblige à choisir.
Là réside la source de tous les conflits majeurs en Europe. En excluant le plus grand État européen – la Russie – des principales institutions européennes, « l’intégration européenne » signifie déchirer les pays du voisinage partagé entre l’Occident et Moscou. Séparer des peuples avec des siècles d’histoire, une culture, des traditions et une langue partagée avec la Russie est grossièrement dépeint comme la libération d’un peuple épris de liberté des griffes autoritaires de la Russie.
Ce récit de la Biélorussie est conforme aux efforts des États-Unis pour transformer la nouvelle guerre froide en rivalité entre démocraties libérales et États autoritaires. Alors qu’une bonne propagande décrit idéalement tous les conflits comme une compétition entre le bien et le mal, ce cadre idéologique n’a pas de sens, puisque la Russie et la Chine ne combattent pas les démocraties en tant que champions de l’autoritarisme. La Russie est parfaitement capable de s’entendre avec des pays comme la Corée du Sud, le Japon, l’Inde et d’autres démocraties de l’Est. Le récit de démocraties libérales contre des États autoritaires sert à légitimer l’ingérence occidentale et à délégitimer la réponse russe.
La géopolitique des révoltes populaires
Les efforts occidentaux pour renverser le gouvernement biélorusse montrent à quel point le développement démocratique est entravé par la géopolitique d’une Europe divisée. Les Biélorusses sont prêt.e.s pour un transfert de pouvoir, tandis que Moscou n’est pas non plus satisfait de Loukachenko et ne serait pas opposé à l’entrée en fonction d’un.e successeur.e, à condition qu’il ou elle soit légitime et non pas imposé.e par l’Occident. Mais dans une Europe divisée, toute agitation intérieure est vulnérable à l’exploitation par des « promoteurs de la démocratie » qui cherchent à redessiner les frontières de l’Europe.
La leçon des révolutions de couleur en Géorgie et en Ukraine est que la démocratisation est traitée comme un prétexte pour l’ingérence des États de l’OTAN. La démocratie n’est pas l’objectif principal. Les manifestations contre la corruption et en faveur de la démocratie sont immédiatement détournées et réorientées vers l’adhésion à l’OTAN et à l’UE, tandis que la démocratie et les droits de la personnes deviennent des obstacles à la consolidation des gouvernements pro-occidentaux et anti-russes.
En Géorige, les États de l’OTAN ont persisté à faire des excuses pour l’autoritarisme du président Saakachvili. En Ukraine, les États-Unis ont même salué la répression des médias et l’arrestation d’un leader de l’opposition comme une consolidation de la démocratie. Et en Biélorussie, Tikhanovskaya avec ses 4 % de soutien ne peut évidemment pas compter sur un soutien démocratique pour mettre en œuvre l’agenda de Washington.
La politique américaine de « changement de régime » en Yougoslavie, en Lybie, en Syire, Géorgie, Ukraine et Biélorussie pose un dilemme pour la Russie. D’une part, si elle se retire, les gouvernements peuvent tomber, permettant aux États-Unis d’installer des régimes pro-occidentaux et anti-russes à leur place. D’un autre côté, si la Russie intervient en soutenant le gouvernement en place, elle est critiquée comme défenseuse d’un leader impopulaire et autoritaire.
Ce discours « démocratie libérale versus régime autoritaire » recèle aussi une grande ironie. Alors que les puissances occidentales tentent de renverser le gouvernement biélorusse avec des sanctions, Minsk devient plus dépendante de Moscou. Washington fait tourner le récit selon lequel l’indépendance du pays est menacée par la Russie, tout en compromettant sa souveraineté de loin.
Une Europe dysfonctionnelle
Après la guerre froide on s’attendait à ce que les pays en quête de démocratie s’alignent naturellement sur l’Occident démocratique libéral, qui, informé par ses valeurs, agirait comme une « force du bien ». Au lieu de cela, l’amalgame entre démocratisation et alignement occidental est désormais au centre d’un projet idéologique qui alimente une nouvelle guerre froide.
Comme le montrent les sondages, la démocratisation en Biélorussie ne signifierait pas rejoindre le bloc occidental contre la Russie - il n’y a tout simplement pas de soutien public pour cela. Pour cette raison, les mouvements organiques en faveur de la démocratisation et le transfert pacifique du pouvoir doivent être détournés, corrompus et finalement détruits par la politique de bloc dans une Europe divisée.
La demande raisonnable pour des réformes politiques de la part des Biélorusses a maintenant été entachée pour faire défiler Tikhanovskaya autour de Washington en tant que leader légitime de la Biélorussie, alors qu’elle plaide pour des sanctions et un changement de régime.
Un message, un commentaire ?