Québec Solidaire peut s’enorgueillir de nombreuses réussites. En 10 ans, nous avons réussi à nous imposer comme force politique incontournable au Québec, nous avons augmenté et stabilisé notre électorat légèrement sous la barre des 10%, nous avons fait élire 3 députés à l’Assemblée Nationale en y réintroduisant, par le fait même, des questions cruciales qui n’y avaient pas été traitées depuis longtemps : la pauvreté, la lutte aux changements climatiques, le logement social, les droits des minorités sexuelles, etc. Nous nous sommes pourvus d’un programme politique de gauche et résolument progressiste conférant une consistance à l’expression trop souvent galvaudée : « faire de la politique autrement ». Nous avons également réussi la tâche quasi impossible de rassembler les différents mouvements sociaux autour de principes et de valeurs qu’ils partageaient. Félicitation à nous tous, ce sont des réalisations dont nous pouvons être fiers et fières.
Si les réalisations de QS sont bien réelles et importantes, il ne faudrait toutefois pas pavoiser et s’illusionner quant à notre influence sur le déroulement de la politique québécoise. Toute l’agitation politique dont nous sommes capables ne suffit pas à mettre en échec les réformes de nos adversaires politiques. Malgré les interventions aussi fréquentes que pertinentes de nos trois députés, il faut avouer que, dans l’ensemble, c’est « business as usuall ». Notre présence au parlement et dans l’espace public ne réussit pas à stopper les attaques néolibérales répétées. Le train de l’austérité passe pendant que QS le regarde passer en lui lançant des petits cailloux ! Mais qui donc arrêtera ce train de mesures destructrices et dommageables pour l’intérêt supérieur du Québec et de tous les QuébécoisES ?
La CAQ trouve que les libéraux se traînent les pieds et manquent de courage politique et le PQ, en élisant Pierre-Karl Péladeau à sa tête, a résolument tourné le dos à l’idéal social-démocrate qui a animé et orienté son action politique pendant plusieurs décennies.
Il m’apparaît de plus en plus évident qu’en dehors de QS, aucun autre parti n’a la volonté politique de stopper les mesures désastreuses associées au discours de la « rigueur budgétaire ». Personne d’autre que QS ne présente de projet politique alternatif pour le Québec. Personne d’autre que QS ne se pose en garde-fou et en porteétendard du bien commun et de l’intérêt public.
Or, la force du projet politique de QS n’est rien sans le poids du nombre. Nos 8% d’appui électoral et nos trois députés nous condamnent au siège inconfortable de passager de la démocratie québécoise. Le pouvoir politique réel, celui qui permet d’influencer et de contrôler notre destin commun, celui qui permet de mettre réellement en oeuvre notre programme politique, celui qui permet de transformer la société à notre image, continuera de nous échapper tant que la classe moyenne nous boudera. Ce n’est qu’en intéressant et en persuadant l’électorat du centre, par définition plus modéré, que QS sera en mesure de stopper le saccage de l’État québécois et d’infléchir le cours de l’histoire. Nous aurons beau nous agiter, sans le nombre, nous resterons impuissants. Nous resterons, années après années, élections après élections, dirigés par la droite. Sans le poids du nombre, la droite peut régner sans modération sur le Québec. Est-ce une alternative valable ? Il est de notre devoir et de notre responsabilité de devenir un parti capable de rassembler de larges pans de la société québécoise. S’il a fallu, dans un premier temps, coaliser la gauche québécoise, il faut désormais nous adresser à d’autres que nous. Il faut courtiser et convaincre un électorat qui sent d’instinct que quelque chose ne va pas au Québec, mais qui refuse toujours, pour différentes raisons, de nous accorder son vote. Il nous faut trouver en nous-mêmes les ressources et le courage politique – car c’est bien de courage politique dont il est question ici – qu’il faut pour transformer notre discours.
Nous avons la RESPONSABILITÉ MORALE de faire plus, de faire mieux. Nous avons le DEVOIR d’intéresser la classe moyenne dans des codes, des thématiques et des références significatives qu’elle partage et qui l’interpellent. Nous nous devons d’entrer en dialogue social avec d’autres portions de la société québécoise qui ne possèdent pas un penchant naturel pour les positions de QS.
Pensez à vos voisins, vos amis, aux membres de votre famille, etc. qui se refusent toujours de voter pour nous. Ils ne sont ni des capitalistes, ni des financiers véreux. Ils doutent. Ils hésitent. Écoutez leurs récriminations, elles ne sont pas complètement déphasées et ne dénotent pas toujours – comme on l’entend souvent parmi les membres de QS – une incompréhension de nos modes de fonctionnement. Peut-être que dans notre volonté louable de coaliser les minorités sociales on a oublié de s’adresser à la majorité de la société québécoise.
Peut-être, je dis bien peut-être, que la façon dont nous interpellons l’électorat ne convient pas. Peut-être que la majorité des individus qui forment la population ne se sent pas interpellée. Ont-ils tort ? Ont-ils raison ? La question n’est pas là. Les convainquons-nous ? Non. Les intéressons-nous ? Non plus. Voilà, à mon sens, les difficiles questions que nous devons résoudre. Même si les réponses sont, pour le moment, inconfortables.
Que devons-nous faire ?
Si les constats que je viens de tracer me semblent assez clairs, je ne peux, en ce qui concerne la marche à suivre, qu’énoncer des hypothèses.
Il nous faut, à mon sens, insister sur les enjeux rassembleurs et mettre sur la glace, pour un moment seulement, les questions qui divisent le parti et la société québécoise. Il s’agit ici de stimuler l’intérêt de la classe moyenne autour d’enjeux significatifs à leurs yeux (et pas nécessairement selon nos critères) et rassembleurs. Il faut aller vers la classe moyenne car elle ne viendra pas à nous d’elle-même.
Interrogeons-nous aussi quant à notre conception démocratique que nous souhaitons la plus inclusive possible. Sommes-nous si rigides sur nos positions politiques que nous jugions acceptable de mettre de côté la majorité plus modérée de la population québécoise ? Cette rigidité idéologique pourrait paradoxalement nous empêcher de mettre en oeuvre notre programme politique. Le refus du dialogue social avec les portions plus modérées de la société québécoise et le refus du compromis pourrait bien permettre à la droite de transformer l’État et la société à l’antithèse des positions que nous proposons.
Il me semble également que nous faisons, de manière très différente bien sûr, ce que nous reprochions aux libéraux lors du printemps 2012 : nous refusons bien souvent de nous adresser à la totalité que représente la Nation québécoise et divisons la société pour ne parler qu’à des sous-catégories de l’ensemble social. Bien sûr, nous n’opposons pas les groupes sociaux entre eux à l’aide d’un discours haineux (les bons contribuables pris en otage par la rue et les étudiants gâtés). Cependant, nous nous adressons rarement à la société québécoise : nous parlons aux assistéEs sociaux, aux femmes monoparentales, aux étudiantEs, aux aidantEs naturelLEs, aux LGBT, etc. Comme s’il n’était plus possible, de nos jours, de constituer une totalité de cet agrégat de groupes et de catégories sociales. Je soutiens que c’est à la société québécoise prise comme un tout (ou à des très vastes catégories) qu’il nous faut désormais nous adresser et non plus aux différentes parcelles atomisées de cette totalité. Adressons nous de plus en plus à la NATION québécoise, au PEUPLE québécois, aux FEMMES (auxquelles nous nous adressons déjà amplement) et pourquoi pas, à la CLASSE MOYENNE. L’universalité des services publics que nous défendons aujourd’hui bec et ongles, comprend déjà le germe de cette perspective. En défendant l’universel, nous nous adressons à l’ensemble des QuébécoisES tout en continuant de défendre les groupes sociaux les plus fragiles. Seraitil possible qu’une grande partie de l’électorat ne se sente pas concerné tout simplement parce qu’elle ne sent pas que nous nous adressons à elle ? Que nous nous adressons à d’autres catégories sociales auxquelles elle n’appartient pas ? C’est une possibilité envisageable.
Certains penserons, à tort, que je demande au parti de pervertir ses positions ; de renier les principes sur lesquels il s’est érigé. Ils se trompent. Notre programme politique est magnifique : il est le meilleur pour l’ensemble des Québécois.es et il a tout ce qu’il faut pour les convaincre. Je ne propose pas ici de pervertir les positions du programme. J’affirme toutefois que Rome ne s’est pas bâti en un jour et que si certains éléments de notre programme sont plus à même d’intéresser et de persuader l’électorat québécois, c’est sur ceux-ci que nous devons insister… pour le moment.
Les défis que nous avons su relever jusqu’à présent sont nombreux. Les défis auxquels il nous faut désormais nous attaquer le sont tout autant. Une chose est sûre, la capacité d’empêcher les politiques désastreuses liées à l’austérité et pour que le programme de Québec Solidaire puisse être mis en oeuvre, il nous faut élargir notre base partisane. La migration définitive du PQ vers le centre-droit laisse un grand nombre d’orphelins politique de centre-gauche et de centre. Je crois ardemment que nous avons la responsabilité morale de leur offrir une alternative qu’ils jugent crédible. Pour ce faire, il nous faut leur parler davantage et susciter leur intérêt en insistant sur des enjeux qui touchent de larges portions de la société québécoise. Sans cet élargissement nécessaire, la droite aura tout le loisir de nous servir une société dont nous ne voulons pas. Il en va de notre responsabilité collective et de l’intérêt de tous les QuébécoisES.
Guillaume Dagenais
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