Qu’en est-il du cessez-le-feu et des accords de Minsk ?
Le cessez-le-feu actuel est très fragile : il y a chaque jour des fusillades, des blessés et des morts des deux côtés. Les derniers rapports de l’OSCE signalent que les accords de la trêve sont systématiquement violés. Ce cessez-le-feu est tactique et éphémère, parce que malheureusement il entre en contradiction avec les enjeux stratégiques des dirigeants ukrainien et russe. Porochenko voudrait reconquérir à nouveau les terres usurpées par les séparatistes prorusses. Pour lui les territoires importent plus que la vie des gens. Au fond, sa politique est « bonapartiste » : il est venu au pouvoir sur une rhétorique guerrière et sur la vague de ressentiment et de peur après l’annexion de la Crimée et les mouvements anti-Maїdan répandus à l’est, annonçant qu’il allait continuer la révolution du Maїdan contre l’agression de la Russie.
Alors, au sein de l’État et de la société, il a propagé les sentiments nationalistes, patriotiques et militaristes, tout en faisant semblant de lutter pour la paix transgressée par les « terroristes ». en face, Poutine déploie la même hystérie contre les Ukrainiens qui seraient tous des « fascistes » et des partisans de Stepan Bandera. Porochenko et Poutine tirent profit de cette situation pour renforcer chacun leur pouvoir, et attendent le moment propice pour lancer l’offensive : Porochenko sur le Donbass et la Crimée, Poutine sur Marioupol et Odessa afin de cerner l’Ukraine au sud en la coupant des manœuvres de l’Otan sur la mer Noire.
Le pouvoir de Porochenko, qui prétendait lutter contre les oligarques sans avoir touché au moindre de leurs intérêts dont les siens, est-il fragilisé ?
Porochenko est 100 % oligarque et possède toutes les ambitions, les réflexes et les intérêts de la grande bourgeoisie sans foi ni loi. Il est très éloquent devant les Occidentaux mais les chiffres et les faits sont plus éloquents encore : selon Forbs, cette dernière année, il est devenu sept fois plus riche qu’avant sa présidence. Il parle beaucoup de la guerre avec la Russie, mais simultanément il reste toujours le propriétaire de grandes entreprises en Russie et en Crimée. L’Ukraine est sous perfusion du FMI. Selon ses règles, dès ce mois de mai, les Ukrainiens doivent payer de nouveaux tarifs : l’électricité en hausse de 19 %, le chauffage de 72 %, l’eau de 57 %, le gaz de 280 % ! Une vraie offensive de la part de la bourgeoisie. En fait, l’Ukraine est sur la même voie que celle qui a précipité la Grèce vers l’abîme, mais il n’est pas évident que la réponse ukrainienne à la crise soit aussi démocratique et émancipatrice qu’en Grèce.
L’attraction de l’Union européenne est-elle forte au sein des classes populaires ?
C’est vrai que la plupart des ouvriers ukrainiens ont de la sympathie pour l’Europe. Et ce ne sont pas les effets des médias du régime de Porochenko qui comblent d’éloges l’UE, « paradis terrestre » du capitalisme. Depuis longtemps, les travailleurs comparent et voient que les droits et conditions de travail gagnés par le mouvement ouvrier à l’Ouest sont beaucoup mieux qu’en Ukraine, surtout la situation des syndicats. Ainsi, les mineurs de Novovolynsk (la région de Volhynie), qui, contre les salaires impayés et l’orientation du gouvernement cassant l’industrie houillère, ont bloqué les autoroutes et ont créé un syndicat indépendant, nous confiaient qu’ils démissionneraient volontiers aux mêmes conditions que celles proposées par la direction polonaise des mines aux mineurs qui débrayèrent. Les dirigeants cheminots qui vont aussi parfois en Europe nous ont dit avoir vu la force des syndicats et, selon eux, leur « intransigeance » en matière de revendications de droits des travailleurs.
Après le vote des lois dites mémorielles qui interdisent toute référence au communisme jugé totalitaire, quelle est la situation pour les opposants de gauche, dont ton organisation ?
Certains camarades considèrent que ces lois sont en premier lieu tournées contre le Parti communiste d’Ukraine et ne nous concernent en rien, parce que notre organisation fait partie de la gauche nouvelle, démocratique et antistalinienne. Mais nos opposants, anticommunistes, ne voient pas les différences… Au fond, ces lois sont contre toute la gauche du pays. Et je ne parle même pas de la violation de la liberté d’expression et l’interdiction de discuter de l’histoire. Ces lois créent une ambiance malsaine de maccarthysme en nouveaux habits paramilitaires. À plusieurs reprises, nos camarades ont été battus en public dans la rue ou dans le métro par des militants d’extrême droite, criant au passants : « Circulez, c’est un séparatiste, il est communiste »… En même temps, la promulgation de ces lois a provoqué dans l’espace public d’assez vives discussions sur l’idée du communisme. Nos camarades y participent autant que possible. Nous avons besoin d’une « décommunisation » (au sens de la déstalinisation), mais elle doit être la nôtre, faite au nom même du communisme.
Propos recueillis par Yvan Lemaitre