Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

La lutte pour une majorité indépendantiste ne se construira pas sur des combinaisons électorales et sur une unité de façade

L’effondrement du Bloc québécois aux élections de 2011 à la faveur de la “vague orange” a causé un important traumatisme dans le mouvement souverainiste. La défaite du Parti québécois aux dernières élections le 5 mars 2014 avec 25 % des votes après seulement dix-huit mois de pouvoir a été particulièrement désastreuse pour le moral des troupes péquistes. Le Bloc québécois, malgré le retour de Gilles Duceppe et le soutien de Pierre-Karl Péladeau, s’est avéré incapable d’obtenir les douze députéEs nécessaires à sa reconnaissance comme parti politique à la Chambre des communes. Plus, Gilles Duceppe s’est fait battre, une nouvelle fois dans son comté. Il a démissionné comme chef du Bloc laissant cette formation politique à l’état d’un parti survivant d’une époque révolue. Comme si cela ne suffisait pas, Stéphane Bédard, chef parlementaire du PQ, démissionne à son tour, incapable d’accepter sa rétrogradation au rang de simple député et l’installation de Bernard Drainville par le chef péquiste au poste qu’il occupait auparavant.

Un bilan des stratégies des élites nationalistes : une nécessité pour dégager les voies d’une lutte concrète pour une majorité indépendantiste

Comme réponse à l’impasse actuelle, le Parti québécois propose des postures unitaires et d’éventuelles combinaisons électorales. Sans discussion stratégique sur les fondements du blocage du mouvement indépendantiste, les manœuvres risquent de n’être rien de moins que stériles.

En fait, la famille souverainiste est un mythe qui trouve son principal fondement dans l’appel au ralliement de toutes les classes sociales de la société québécoise derrière les élites nationalistes. Pour masquer la nature de cet appel, on prétend se porter à la défense d’une indépendance sans contenu, une indépendance vidée de tout projet de société où les capitalistes de choc, les féministes, les syndicalistes et les écologistes pourraient se rassembler pourvu qu’ils (elles) fassent abstraction de tous les enjeux sociaux et nationaux qui les mobilisent. Dans le langage farfelu de Bernard Landry, cela s’exprime dans la phrase cent fois répétée : l’indépendance n’est ni de gauche ni de droite, mais en avant”

Les gouvernements péquistes ont pourtant dissipé les illusions de plusieurs sur cette indépendance sans contenu. Les politiques mises de l’avant par les gouvernements péquistes, particulièrement depuis l’ouverture de la période néolibérale, ont démontré que la société que ces élites veulent construire ne correspond pas aux intérêts de la majorité populaire qui compose l’essentiel de la société québécoise.

En jouant la carte identitaire, en revivifiant le nationalisme canadien-français, et en stigmatisant des secteurs les plus vulnérables de notre société au nom d’une laïcité falsifiée, et tout cela pour des motifs électoraux, le gouvernement Marois a nourri les divisions au sein du peuple qui a permis à un parti fédéraliste de se présenter comme un instrument de la défense des droits démocratiques des minorités ethniques. La terrible défaite qui a suivi ces basses manœuvres a été le prix à payer pour avoir marginalisé l’indépendance de ses discours et de ses combats. Le Bloc québécois en enfourchant le même type de discours durant la campagne électorale fédérale a approfondi les divisions et aidé, en fait, le retour en force des partis fédéralistes (PLC et PCC).

La lutte pour la rupture avec le PQ, la voie incontournable du dépassement de l’impasse actuelle

En élisant un des grands patrons du Québec, un magnat des mass medias, Pierre-Karl Péladeau et en le présentant comme le dirigeant attendu pouvant mener le Québec à l’indépendance, les membres du Parti québécois ont démontré l’élitisme foncier qui les inspirait. D’ailleurs ce chef, dont les réflexes démocratiques sont fort peu aiguisés, ne s’est même pas donné la peine d’esquisser la stratégie pour l’indépendance qu’il défendrait durant la lutte à la direction du Parti Québécois. Il s’est contenté de reporter cette question à plus tard, quand les élections seront suffisamment proches pour prétexter que les nécessaires ruptures avec l’État canadien soient, encore une fois, remises à plus tard.

La construction d’une majorité populaire pour l’indépendance passera par le renforcement de l’organisation et de la mobilisation des classes populaires

S’il veut défendre une nouvelle stratégie dans la lutte pour l’indépendance, Québec solidaire ne doit surtout pas jouer le rôle d’éventuel partenaire de la fraction nationaliste de l’oligarchie et de ses représentants politiques. La lutte pour une majorité indépendantiste passera par la construction d’un mouvement populaire pour l’indépendance.

Un tel mouvement populaire pourra gagner une majorité du peuple québécois à l’indépendance s’il est en phase avec l’affirmation de la souveraineté populaire, et s’il cherche à articuler les trois dimensions de notre lutte de libération nationale : a. la rupture totale avec l’État canadien et avec notre statut de minorité politique ; b. un projet de pays dessiné pour la majorité populaire ; c. la promotion de l’élection d’une assemblée constituante dont la mise en place signifiera la concrétisation même de notre droit à l’autodétermination nationale et une rupture avec la domination de l’État fédéral sur le Québec.

A. La lutte pour l’indépendance appartient au peuple.

Le projet d’indépendance du Québec n’appartient à aucun parti politique. Il appartient au peuple. C’est pourquoi un mouvement populaire indépendantiste se construira dans les luttes contre toutes les situations qui exproprient le pouvoir du peuple de décider de son présent et de son avenir ; dans les luttes contre tous les gestes de l’État fédéral ou des forces économiques qui remettent en question la souveraineté populaire du peuple québécois. Un tel mouvement doit non seulement être agissant, il doit fonctionner sur une base radicalement démocratique et libérer la parole indépendantiste dans les couches les plus larges de la population.

B. Construire une majorité indépendantiste en s’investissant dans des luttes concrètes

Un mouvement populaire pour l’indépendance doit avoir pour but de mener des luttes concrètes favorisant le renforcement du contrôle des Québécois et des Québécoises sur leur présent et sur leur avenir. L’indépendance ne gagnera un soutien dans une majorité du peuple québécois, que si elle signifie la capacité pour la majorité populaire d’agir librement sur l’ensemble de ses choix économiques, sociaux et démocratiques.

Aujourd’hui, l’indépendance pour devenir porteuse et mobilisatrice doit apparaître comme la voie de la reprise en mains du contrôle populaire sur nos ressources naturelles. Aujourd’hui, l’indépendance, pour devenir crédible, peut et doit se concrétiser par le refus agissant du transit du pétrole sur le territoire québécois, comme la voie permettant le développement des énergies renouvelables par un secteur public sous contrôle populaire, comme la condition essentielle de l’établissement d’une planification écologique de nos choix énergétiques.... Aujourd’hui, la lutte pour l’indépendance s’identifie aux luttes contre la domination des marchés étrangers sur notre vie économique nationale que veulent imposer les accords de libre-échange. Aujourd’hui, la lutte pour l’indépendance passe par le refus de la domination du capital financier et les agences de notation à leur service sur les choix économiques, sociaux et culturels de la société québécoise.

Un mouvement populaire pour l’indépendance devrait donc intervenir sur ces enjeux en cherchant à unifier les secteurs sociaux qui, en intervenant sur ces questions, manifestent leurs aspirations indépendantistes et leur résistance aux tentatives d’asservissement national du gouvernement fédéral et des grandes entreprises multinationales.

Un mouvement populaire pour l’indépendance refusera de séparer la lutte nationale d’un projet de pays écologique, égalitaire et démocratique, seul capable de mobiliser une majorité des QuébécoisEs pour l’indépendance. Un mouvement pour un Québec indépendant en finirait avec une politique d’austérité, la réduction des inégalités grâce à un impôt sur la fortune et à un impôt sur le revenu progressif, la fin des discriminations contre les femmes et les minorités... .

C. Élargir les droits démocratiques et construire un mouvement pour la constituante

Un mouvement populaire pour l’indépendance fera de l’élection d’une assemblée constituante un axe central de son combat. Il se fera donc le promoteur de l’élection de cette dernière qui remettra au peuple de définir le pays qu’il recherche et les institutions démocratiques qu’il veut se donner.

Lutter pour l’expression de la souveraineté populaire, c’est lutter pour l’élargissement immédiat des droits démocratiques du peuple québécois : introduction d’un mode de scrutin reconnaissant la représentation proportionnelle, égalité de genre à tous les niveaux dans les institutions économiques et sociales et politiques, possibilité de la tenue de référendums d’initiatives populaires, droit de révocation des éluEs, nombre limité de mandats électifs...

Bref, un tel mouvement populaire pour l’indépendance lutterait pour la rupture avec les institutions du parlementarisme britannique et pour l’établissement d’une véritable république sociale du Québec qui donne toute sa place à la souveraineté populaire. Ceux et celles qui revendiquent l’indépendance le font dans leur majorité parce qu’ils pensent qu’elle sera synonyme de plus de démocratie et de plus d’égalité. C’est là précisément ce qui permet de tirer le fil en faveur d’un processus constituant et participatif à partir d’en bas.

Le Québec que nous vivons, c’est un Québec qui donne la première place au capital financier, aux exploiteurs étrangers de nos richesses naturelles, qui permet aux pollueurs de faire des affaires en or. C’est celui que parviennent à nous imposer les partis fédéralistes. Il n’est pas question de reporter à plus tard la lutte pour un Québec indépendant que nous voulons, qui sera un Québec construit pour la vaste majorité de sa population.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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