Pourtant, et c’est sans doute un des points aveugles de ce colloque, si la transition a été réfléchie en long et en large, elle l’a été surtout d’un point de vue technique, et n’a pas donné lieu à d’amples réflexions sur sa dimension proprement politique, c’est-à-dire sur la façon dont, en termes de constitution de rapports de force sociopolitiques, on pouvait penser et travailler concrètement à l’avancement de cette transition. Pas plus que la transition n’a été l’occasion de s’arrêter précisément sur le cas du Québec lui-même dont tout le monde connaît pourtant les historiques aspirations à la souveraineté ; étant la seule nation d’origine européenne qui à l’instar de Puerto Rico n’a pu obtenir son indépendance politique en Amérique, tout en n’ayant cependant jamais cessé d’en caresser l’objectif.
Or lorsqu’on s’emploie, dans le cas du Québec, non pas à séparer, mais au contraire à combiner les dimensions plus techniques et plus politiques de la transition, en cherchant à les penser ensemble, on s’aperçoit que s’ouvre un vaste champ de réflexions théoriques et pratiques particulièrement fécond, quoi qu’encore en friche, sur lequel il serait plus que nécessaire de se clarifier ensemble les idées.
C’est là tout l’intérêt de s’arrêter à la question de la transition à l’aune de la perspective de l’indépendance du Québec. Car faire le pari que l’indépendance pourrait être au Québec cet axe stratégique à travers lequel s’esquisserait aujourd’hui une transition vers des changements émancipateurs, oblige à repenser à partir d’un œil neuf, toute la dynamique des luttes et du changement social actuel. En sachant cependant qu’on ne part pas de rien et qu’il existe déjà au Québec des forces politiques et intellectuelles non négligeables –comme Québec solidaire ou encore au sein de certains secteurs du Oui Québec et de l’IREC— qui ont entrepris une riche réflexion sur l’indépendance et qui l’ont fait en tentant de prendre en compte les nouvelles coordonnées de la période politique que nous traversons.
Une nouvelle période historique
Car depuis les années 1980, le redéploiement du capitalisme néolibéral et le démembrement des pays dits socialistes, la donne socio-politique a changé du tout au tout, interdisant de reprendre à son compte, sans les bonifier et réactualiser de part en part, les outils et concepts du passé ; loin de tout calque et copie paresseuse. Non seulement parce que les grands récits du passé concernant tant le communisme que la social-démocratie ou le nationalisme populaire (et par conséquent l’idéal de souveraineté nationale) ont perdu bien de leur aura et légitimité, mais aussi parce que dans le sillage de l’expansion du capitalisme néolibéral financiarisé et aux côtés de traditionnels mouvements sociaux, ont surgi avec une intensité inédite, de nouveaux mouvements sociaux pointant du doigt de nouvelles contradictions générées par le système global (voir par exemple le mouvement féministe Me/Too, les Autochtones d’Idle no more, le Printemps érable, les mobilisations écologique contre Énergie Est ou Transmoutain, etc.).
Cette période de changements majeurs, de grands basculements, et partant d’incertitudes et de doutes, nous place donc devant des défis inédits, obligeant à penser la transition de manière totalement renouvelée. Avec en prime une formidable crise de la représentation politique, et plus globalement une crise généralisée des valeurs culturelles collectives à travers lesquelles avaient été pensés jusqu’à présent le changement sociopolitique ou l’action révolutionnaire ; celles par exemple de la souveraineté nationale, de l’État dit « providence », de la république (plus ou moins sociale) ou encore du socialisme (quelles que soient ses variantes).
Les luttes d’aujourd’hui n’appartiennent donc plus en propre à ce vaste mouvement historique de constitution progressive d’un « pouvoir contre-hégémonique » ascendant [1] qui globalement, entre les années 1848 et 1980, avait peu à peu réussi à se constituer, puis à tenir en lisière et même à faire reculer les puissants pouvoirs hégémoniques en place des classes dominantes, en imposant –via notamment la constitution de syndicats, de partis de gauche, de lois progressistes, d’États dits « providence », etc.– des espaces démocratiques grandissants permettant de donner plus de pouvoir d’influence au peuple d’en bas, aux classes populaires et subalternes.
Et au Québec, comme dans bien des régions du globe, on a pu vivre –à travers les spécificités qui sont les siennes— ce mouvement historique de constitution d’un pouvoir contre hégémonique ascendant, avec ses moments forts (les années 40, la Révolution dite tranquille, les années 1970), mais aussi avec son brutal effondrement au tournant des années 80. Nous plaçant aujourd’hui devant un panorama politique dans lequel la stratégie politique « nationaliste et populaire » que le Parti québécois avait mise en oeuvre, tout au moins à ses origines, se trouve aujourd’hui en profond déclin, frappé d’une crise majeure [2]. Alors qu’au même moment surgissent, parallèlement à de nouvelles forces sociales, de nouveaux défis sociaux et politiques tout à fait inédits : non seulement celui de la transiton écologique, mais aussi ceux de nouvelles aspirations émancipatrices (féministes, antiracistes, écologistes, néo-indépendantistes, etc.), néanmoins étroitement imbriquées –et ce n’est pas un mince problème— à la montée en force de larges sentiments identitaires et xénophobes particulièrement inquiétants.
Combiner étroitement « exercice du pouvoir » et « prise de pouvoir »
Dès lors, comment dans ce contexte penser le renouvellement du discours sur l’indépendance du Québec ? Justement en pensant la lutte à l’indépendance à travers un arc-en-ciel de revendications spécifiques réunies pourtant stratégiquement autour d’une même cause. Et en la figurant sur le mode de la transition, comme un vaste processus de radicalisation sociale et populaire dont la dynamique ascendante se prépare soigneusement en amont, se cristallise au moment où s’ouvre par le biais d’une éventuelle prise de pouvoir gouvernemental ou étatique [3], la possibilité d’un changement radical d’orientation, et se poursuit ensuite en aval sur de longues années pour maintenir en l’état le changement de cap initial.
Penser aujourd’hui au Québec, la transition à travers l’axe stratégique de l’indépendance, c’est donc la penser sur le mode d’une « rupture démocratique » continuée, une rupture s’effectuant dans la durée, à travers la mise en marche d’un mouvement grandissant de mobilisations sociales et populaires plurielles qui promeut, soutient et accompagne l’arrivée d’un gouvernement indépendantiste ainsi que les mesures institutionnelles qu’il prendra pour faire avancer son objectif.
On le voit ici, et contrairement par exemple à l’approche privilégiée par John Holloway [4], « la prise de pouvoir » gouvernemental ou étatique et « l’exercice d’un pouvoir » contre-hégémonique construit depuis le bas, peuvent —loin de s’opposer– tout à fait se conjuguer, pourvu que soient articulées leurs interventions respectives. C’est d’ailleurs dans cette combinaison féconde que git sans doute la possibilité d’éviter, et les approches chimériques du changement social (négligeant toute l’importance du pouvoir gouvernemental ou étatique), et les tragiques dérapages passés incarnés par le fiasco des pays dits socialistes (ayant jeté aux orties tout de la démocratie populaire, directe ou participative). En n’oubliant cependant pas de rappeler que l’on doit considérer le moment de la prise de pouvoir gouvernemental ou étatique, comme étant ce moment charnière où peut commencer à se concrétiser, s’incarner institutionnellement (dans un nœud de pouvoir particulièrement dense) ce changement d’orientation radical qui néanmoins ne pourra garder sa force révolutionnaire que s’il est accompagné et talonné depuis le bas par un pouvoir populaire contre-hégémonique chaque fois plus puissant.
Telle serait donc la forme générale que devrait prendre –pour ne pas retomber dans les travers du passé— ce processus transitoire mené autour de l’indépendance. Mais quel en serait son contenu, quels devraient être les thèmes autour desquels il pourrait prendre son envol, se déployer en priorité, s’enraciner dans de larges secteurs de la population d’aujourd’hui ?
Un projet de pays pour le Québec du 21ième siècle [5]
En fait, la lutte pour l’indépendance du Québec permettrait de faire face à au moins 3 défis produits par les données de la nouvelle période sociopolitique que nous traversons : (1) le défi des dynamiques dérégulées d’une économie capitaliste, financiarisée et apatride ; (2) le défi d’inquiétantes bouffées de xénophobie et de racisme fortement marquées à droite ; le défi ; (3) le défi de la dispersion et de la fragmentation des forces sociales et politiques de gauche.
Or un projet d’indépendance investi par une perspective de gauche —comme on le pense à Québec solidaire—, pourrait justement transformer ces 3 difficiles défis en occasions privilégiées de relancer un nouveau cycle prometteur de transformations sociales.
Faire face aux dépendances de la mondialisation néolibérale
C’est là le premier défi : aujourd’hui la formation sociale québécoise est malmenée par une formidable dépendance économique ; faisant par exemple que tendent de manière récurrente à s’y imposer les choix économiques privilégiés par les classes dominantes des États-Unis ou de leurs alliés subalternes au Canada. C’est ce qu’on peut appeler l’axe Toronto-Calgary au travers duquel se nouent étroitement extractivisme tout azimut, méga secteur financier branché sur les manipulations monétaristes et accords de libre échange concoctés dans le plus grand secret.
L’État canadien est donc le centre névralgique, le noyau organisateur de ce projet. Par les pouvoirs régaliens qu’il monopolise et la fonction de relais des diktats de l’économie mondialisée qu’il assume sans vergogne, il détermine par conséquent toutes les décisions clefs concernant l’avenir du Québec, expression même de la persistance d’une tutelle politique néocoloniale pesant sur le Québec et le réduisant à l’état de nation-croupion.
Faire l’indépendance c’est justement mettre fin à ce statut « subalterne » ; c’est se donner les moyens à travers la volonté de s’affirmer collectivement et de décider souverainement des lois auxquelles on veut obéir, de mettre à bas la tutelle coloniale en rassemblant des forces sociales autour d’un projet politique commun : celui de la défense d’un « bien commun » qu’on détermine ensemble, démocratiquement, à l’encontre de pressions extérieures ne répondant qu’aux intérêts d’une petite minorité privilégiée.
Car même si dernières années, les pouvoirs traditionnels de la nation ont été grugés par la mise en avant de grands espaces économiques de libre marché (ALENA, etc.), ils gardent encore suffisamment de mordant pour non seulement se faire entendre à l’échelle du monde, mais aussi pour se déployer sur un espace territorial viable où pourraient se nouer des communautés de destin solides aspirant à plus de souveraineté sur leurs conditions d’existence [6].
Ces pouvoirs de la nation pourraient ainsi devenir, une fois récupérés par le Québec et au nom d’une souveraineté populaire active et progressiste, ce rempart vis-à-vis des effets pervers de la mondialisation néolibérale contemporaine [7].
Ce n’est pas pour rien qu’au Québec, l’aspiration à l’indépendance ou à la souveraineté, est encore si présente. Il y a bien sûr le fait que ne cessent de se faire sentir les effets contraignants et dépossédants du verrou politique fédéral. Mais il y a aussi et surtout les legs de l’histoire récente qui continuent à hanter la société québécoise, d’autant plus qu’ils ont été vécus comme un moment d’affirmation et de fierté –certes inachevé et en partie défait— mais dont beaucoup gardent la nostalgie. Les sondages nous le montrent bien, il reste encore aujourd’hui –malgré la formidable offensive de la droite— un bon tiers de la population du Québec qui globalement se dirait prêt à opter pour une option souverainiste. Ce qui représente une base appréciable pour reconstituer un bloc social conséquent autour de la lutte à l’indépendance, et sur cette base relancer un cycle ascendant de reconstitution d’un pouvoir contre-hégémonique.
Mais évidemment une telle orientation indépendantiste requiert d’importantes conditions sine qua non [8], et notamment celles de proposer un projet de pays pour le Québec qui serait d’abord pensé en fonction des intérêts populaires des grandes majorités qui y habitent, et donc qui mettrait l’accent non seulement sur l’implication populaire alimentée par des mécanismes permanents de démocratie participative, mais aussi sur l’a priori que l’âme d’une nation est d’abord celle de ses grandes majorités actuellement subalternes (le 99%), et qu’il y a à ce niveau une véritable bataille à mener pour qu’elles puissent, par une reprise de pouvoir qu’on encouragerait et favoriserait partout, se trouver au cœur de ce processus de transformation sociale, en position hégémonique. C’est d’ailleurs une des fonctions à laquelle pourrait contribuer la Constituante, telle que pensée par QS sur le mode participatif.
Il faut insister là-dessus : cette orientation délibérément populaire, il en va de la réussite même du projet indépendantiste, dans la mesure où avec la mondialisation néolibérale et ses poussées à l’intégration continentale, les groupes économiques les plus importants du Québec qui –à l’abri de l’État providence— avaient pris leur envol dans les années 1960-70, n’ont plus guère aujourd’hui « d’intérêts d’affaires » à vouloir que le Québec se transforme en État indépendant.
Faire face à la polarisation identitaire et au populisme de droite
Le second grand défi auquel nous sommes aujourd’hui confrontés au Québec, c’est celui de la montée de la xénophobie, du racisme et des logiques du bouc émissaire se focalisant sur le personnage de l’étranger ou du migrant. Or la lutte à l’indépendance, c’est justement ce qui nous permettrait de déjouer/dénouer –à travers la proposition d’une indépendance inspirante et source d’affirmation positive— les tentations de crispation identitaires actuelles.
La lutte pour l’indépendance pourrait représenter une sorte d’anti-dote délibérément tourné vers l’avenir et proposé à tous et toutes, sous forme d’un projet politique de vivre-ensemble soucieux du bien commun qui permette la reconnaissance forte, citoyenne, plurielle et égalitaire de toute une collectivité. Comme le dit l’historien français Patrick Boucheron [9], « Il existe une angoisse sourde qu’on doit « aérer », en faisant quelque chose ensemble. » Aujourd’hui, bien des peuples de la terre ont besoin, pour faire face aux dangers et angoisses nés de la mondialisation néolibérale, de « faire quelque chose ensemble », et en particulier de réaffirmer collectivement leur souveraineté sur leurs propres conditions d’existence, en réalisant en quelque sorte « une seconde indépendance ».
Or, au Québec, nous avons peut-être plus facilement qu’ailleurs la possibilité de redonner sens et force à ces volontés ou aspirations si vitales d’affirmation nationale et communautaire, justement parce que nous pouvons les enraciner dans l’histoire et les traditions d’une petite nation en lutte depuis longtemps contre la domination coloniale.
À condition cependant, de le faire en se campant d’abord et avant tout sur le terrain politique de la citoyenneté, pensée de la manière la plus large et inclusive possible, en l’armant certes de la défense d’une langue, d’une culture publique commune et d’un territoire partagé, mais aussi –comme l’avaient pensé les Patriotes de 1837– de valeurs politiques de gauche : celles de la justice sociale, de la démocratie, du pluralisme, de la tolérance et de l’inclusion. En imaginant aussi un État québécois « plurinational », par le biais duquel les Nations autochtones du Québec pourraient être reconnues en toute égalité comme les premiers occupants de ce territoire.
À condition aussi d’imaginer ce processus d’indépendance, non pas comme désir de se replier sur soi et de se séparer du reste du monde, mais comme volonté de renouer —sur les ruines du fédéralisme canadien dominateur— des liens nouveaux de solidarité et surtout de vie commune entre peuples et communautés qui le désireraient, le choisiraient démocratiquement : les Nations autochtones, les minorités linguistiques et communautaires, etc.
Faire face à la fragmentation des forces sociales et politiques de gauche
C’est là le troisième défi, peut-être le plus pernicieux, dans la mesure où il exige de notre part la constitution d’un nouveau récit émancipateur indépendantiste, en phase avec les temps présents, susceptible de combiner dans un ensemble plus vaste, non seulement la volonté de souveraineté politique mais aussi la lutte contre les prédations subies par la nature et contre les diverses oppressions générées par le système global. C’est là tout l’intérêt de la perspective indépendantiste qui cherche à combiner pour le Québec « question nationale et question sociale » : elle nous permettrait de penser l’indépendance comme cet axe stratégique –et par conséquent axe pratique— au travers duquel pourrait être initiée concrètement, sur le mode transitoire, la lutte contre la tutelle néocoloniale, mais aussi et en même temps contre ce système qui alimente de manière combinée oppression de genre, de peuples, de classes, de races et de pressions mortifères sur la nature.
La lutte pour l’indépendance pourrait représenter au Québec cette fenêtre entrouverte, ou encore cette brèche au travers de laquelle les forces sociales de gauche s’engouffreraient en conjuguant leurs efforts pour faire avancer la cause de la souveraineté politique populaire du Québec, mais aussi, en même temps, celles des luttes sociales progressistes d’aujourd’hui : communautaires, syndicales, féministes, écologistes, autochtones, etc. Manière de contrecarrer les tendances actuelles à la fragmentation des forces de gauche, en participant à une lutte commune, reprenant sur le mode pluriel et inclusif, mais à travers un cadre stratégique commun, la multiplicité de ses aspirations émancipatrices.
Car si la perspective intersectionnelle, permet de faire voir ces différentes oppressions, de les distinguer les unes des autres, elle n’a néanmoins pas la vertu, ni de montrer ce qui unit toutes ces oppressions les unes aux autres, ni non plus de dessiner le cadre stratégique et politique à travers lequel elles pourraient être combattues conjointement. Il reste d’ailleurs à ce propos –autre condition à prendre en compte— dans le mouvement indépendantiste contemporain québécois, tout un travail d’élaboration collectif et d’approfondissement à mener autour de cette toile de fond, de cette toile commune des luttes sociales et politiques contemporaines. À l’heure de la mondialisation néolibérale, la lutte pour l’indépendance politique du Québec, ne peut plus se réduire à celle de l’acquisition étroite de la souveraineté politique, tant celle-ci se trouve déterminée par, et combinée à, une série d’autres facteurs (en particulier économiques), et tant celle-ci, quand elle reprend à son compte les intérêts populaires, pose la question même de la remise en cause global d’un certain ordre établi. Et c’est sans doute autour d’une compréhension renouvelée du capitalisme néolibéral et de la multiplicité des oppressions qu’il ne cesse de réalimenter, qu’il serait possible de comprendre comment « ce mode de production » et d’échange générant l’exploitation du travail est aussi et en même temps, « un mode de reproduction » de relations sociales, réalimentant en permanence, de par sa puissance même, de multiples autres oppressions (néocoloniale, de genre, de classes, de races, etc.). À la manière d’un système global dont l’influence se fait sentir aujourd’hui partout.
Pour ne pas conclure :
La grande transition, sur laquelle on a pris l’habitude ces temps-ci de se pencher avec attention, pourrait prendre un sens tout à fait concret et pratique pour le Québec. En se concevant à travers l’axe stratégique de la lutte à l’indépendance (une indépendance écosocialiste, féministe, pluraliste, démocratique et internationaliste), elle pourrait non seulement aider à penser l’actualisation d’indispensables transformations écologiques et énergétiques, mais surtout permettre le rassemblement stratégique de forces sociales qui parce que réunies dans un projet politique qui les comprendrait toutes, pourraient stimuler la remise en route d’un vaste et puissant mouvement de mobilisation sociale et populaire, et ainsi rendre effective cette « rupture démocratique » émancipatrice pensée dans la durée, et dont nous avons tant besoin pour commencer à nous extraire tant de la dépendance politique que des affres du capitalisme néolibéralisé d’aujourd’hui.
Faire de la politique à gauche ?
[10]
La politique quand on est de gauche renvoie d’abord et avant tout à la question de l’organisation d’une puissance collective, mieux encore à celle de la constitution d’une puissance collective des gens d’en bas. Elle renvoie à cette force commune qui peut surgir de l’ensemble des classes populaires et subalternes. Parce que la gauche a le sens de la réalité bien terre à terre, parce que son combat s’inscrit dans le projet de faire exister, dans le quotidien des sociétés, des droits sociaux et économiques inaliénables, elle a appris qu’une collectivité humaine est d’abord tissée, parcoure par des rapports de force et de pouvoir que l’on ne peut faire bouger et évoluer que si l’on est capable de mobiliser à leur encontre toute la puissance, toute la force devenue collective des gens ou des classes subalternes (…) La politique est d’abord et avant tout un art de la stratégie ; un art destiné à redonner à l’ensemble de ceux et celles qui en sont privés le pouvoir de l’affirmation de soi, et partant la possibilité de faire leur propre histoire. La politique, c’est donc end dernière instance, un vaste exercice d’empowerment collectif débouchant sur la remise en cause de rapports de force économiques, sociaux, politiques et culturels et sur l’instauration d’un nouvel ordre social plus juste, plus égalitaire, et à l’heure des déséquilibres écologiques grandissants, plus respectueux de l’environnement, et de la vie elle-même prise dans toutes ses dimensions. …
Rendre possible l’impossible
[11]
La politique relève donc de l’art de la stratégie, celle de se donner les moyens de s’inscrire dans la trame de rapports de forces concrets, dans les temps est espaces d’une société donnée, et de tenter d’en modifier les paramètres à son avantage. Il y a ainsi dans la politique une dimension de calcul, d’analyse froide et lucide, soucieuse des réalités concrètes et en même temps audacieuse, partant du principe comme le dit Walter Benjamin, que la « politique prime l’histoire », et que par conséquent l’action collective si elle est pensée avec toutes les ressources de l’intelligence et de la lucidité humaine, peut faire la différence, aider à ce que l’histoire penne un autre cours. En ce sens la politique, ce n’est pas l’ « art du possible », c’est-à-dire l’art de trouver vaille que vaille des compromis entre de multiples contraintes. La politique, c’est « l’art de rendre les choses possibles », l’art de transformer le monde des êtres humains en cherchant à mieux maîtriser temps et espaces donnés…
Un message, un commentaire ?