Introduction
En cette fête du travail, la désorientation politique dans notre mouvement ne peut être ignorée. Au bout de la liste de ce qui préoccupe la classe ouvrière aujourd’hui, que ce soit la désindustrialisation, le chômage et le sous-emploi, l’accès aux soins de santé, aux services de garde et aux retraites, la pauvreté, le racisme, les conditions de travail des travailleurs-euses étranger-ères, le niveau inquiétant des inégalités, l’environnement, les coûts des transports et la qualité des services de transport en commun, un dernier accord international qui ne tient aucunement compte des travailleurs et des communautés, les horreurs vécues à Gaza, deux enjeux ressortent : 1- jusqu’à quel point les engagements et agissements de l’État canadien sont-ils en accord avec ce qui nous tient le plus à cœur et que nous défendons ; 2- jusqu’à quel point avons-nous échoué à exercer notre influence sur ces enjeux ?
Nous touchons ici aux limites de la démocratie capitaliste. Mais cela rend plus visible les profonds échecs de notre mouvement politique. Depuis bon nombre d’années, la classe ouvrière [1] a accroché ses visées politiques à l’attelage du NPD. Quand nos membres s’inquiétaient de ce que leur syndicat faisait pour contrer les plus récentes attaques la réponse la plus immédiate était souvent d’attendre la prochaine élection et de voter pour le NPD. Pour certainEs c’était une question de principe et de solidarité qui ne souffrait aucun questionnement. Une partie des dirigeantEs, soit ne savaient tout simplement quelles auraient pu être les autres orientations, soit étaient inconfortables et même effrayéEs par les implications d’un engagement politique plus global et plus actif de leur classe.
L’exaspération des membres est apparue dans le passé. Mais la désillusion a atteint un nouveau degré lors des dernières élections provinciales ontariennes. On a pu observe cette réaction ailleurs. L’examen des pratiques des partis sociaux-démocrates à travers le Canada, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande est éloquent. La confusion et les divisions que fait naître la direction politique du mouvement ouvrier canadien, obligent à se demander s’il continuera à compter sur le NPD, à contrecœur et sans plus d’unité, ou s’il ne se rendra pas à l’évidence que ce parti ne lui permet pas de résoudre ses problèmes. Tant qu’il n’y aura pas de réponse à cette question, les politiques du mouvement ouvrier demeureront inefficaces, et peu pertinentes à ses membres : c’est-à-dire, que tous ceux et celles qui n’ont pas le privilège de vivre de leur patrimoine ou du travail des autres, ceux et celles qui sont ou non membres d’un syndicat, les travailleurs-euses, les chômeurs-euses et ceux et celles qui sont condamnéEs à la pauvreté par le dit « marché du travail ».
Avancer
Pour faire face à la nécessité de développer des politiques plus créatives et plus productives afin de répondre aux enjeux auxquels nous sommes confrontés, la rupture avec le NPD s’impose. [2] Mais il ne s’agit que de la première condition pour avancer. La question de savoir ce qui peut suivre est difficile. Quand les socialistes confrontent cet enjeu, compte-tenu de nos échecs répétés, il faut s’armer d’humilité. Bien sûr, il se trouve des éléments socialistes dans les syndicats, dans le mouvement populaire, dans les universités et même dans le NPD. Mais, en ce moment, il n’y a aucune gauche socialiste au Canada qui soit cohérente, qui ait des liens significatifs avec le mouvement ouvrier, un programme et une stratégie capable de répondre aux défis qui confronte la classe ouvrière canadienne.
Dans ces conditions, comment amorcer un mouvement de rupture avec le NPD pour passer à la construction d’un parti socialiste ? C’est une question de débats sérieux à tenir dans tout le mouvement ouvrier. Impossible de réaliser cela, sans en même temps, développer un changement en profondeur chez les travailleurs-euses, approfondir les liens entre les syndicats et le mouvement populaire et revivifier la gauche socialiste.
Des contradictions de la sociale-démocratie
Il ne s’agit pas de rénover le NPD, ou de tenter de régler des problèmes avec certaines dirigeantEs, de modifier des politiques ou des tactiques. Il s’agit de regarder la nature profonde de ce parti, son essence. Ces partis sociaux-démocrates n’ont aucune vision des sociétés au-delà du capitalisme. Ils n’en voient que l’administration un peu plus juste. Mais le capitalisme est un système social qui place l’expansion privée du capital au-dessus de tout. Spécialement au-dessus du bien-être des travailleurs-euses parce que cela pourrait menacer le contrôle des détenteurs-trices de capitaux et leurs profits. Donc, cela veut dire qu’un parti social-démocrate comme le NPD qui prétend représenter la classe travailleuse ne peut ultimement en défendre les intérêts et mettre de l’avant ses besoins, puisqu’il demeure lié au système capitaliste. Le NPD tente de se sortir de cette absence de vision autonome en misant sur ce qu’il nomme « l’ harmonie sociale » entre le capital et la classe travailleuse en faisant des gains en sa faveur sans pour autant risquer d’indisposer le monde des affaires. Il défend cette position en la qualifiant de « pratique ». Cela cache le fait que depuis des décennies, le monde des affaires a affirmé et démontré qu’il n’était pas intéressé à ce « contrat social ». Donc, pendant que le NPD fait du chemin sur sa position « pratique », et se promène en répétant naïvement qu’il est en train de créer un « bon capitalisme », son refus de passer à l’offensive au moins idéologiquement contre l’establishment corporatif du pays, a laissé la classe ouvrière complètement désarmée. On court ici le risque de la voir se tourner vers les fausses réponses simplistes de la droite et les accepter pour tenter de mettre fin à ses frustrations. Cette contradiction entre l’appui au capitalisme et aux travailleurs-euses est directement liée à une autre : le rôle de la mobilisation de masse dans la lutte pour le changement. S’opposer au capitalisme n’est pas une entreprise facile ; elle exige le développement d’une large force sociale bien implantée sur le terrain. Elle doit être capable d’affronter ce puissant système. Cela ne peut se faire sans l’apport central des travailleurs-euses parce que c’est là que se trouve le potentiel pour agir sur l’économie et les ressources organisationnelles pour y arriver.
Sauf pour quelques individus dans ses rangs, le NPD, comme organisation, a peu de considération pour les capacités d’acteur social de la classe ouvrière. Comme il est convaincu que les travailleurs-euses ordinaires ne pourront jamais jouer un rôle déterminant dans la transformation du capitalisme, il n’a aucune raison de s’en préoccuper, (on est loin de parler de donner la priorité), de développer leurs capacités de vision et d’analyse idéologique de même que leurs habiletés organisationnelles et d’ajustement de leurs structures pour attaquer le pouvoir capitaliste et les restrictions qu’il impose. Il recule constamment devant les difficultés complexes de la structuration de la classe ouvrière et de sa mobilisation pour se replier sur les enjeux de la prochaine élection.
Seul, le vote n’est pas l’outil d’un véritable changement. Pire, pour obtenir ces résultats électoraux, les partis sociaux démocrates s’engagent dans de cyniques manipulations idéologiques. Ils ne portent aucune attention aux plus pauvres de la classe ouvrières puisqu’ils ne votent pas de toute façon. Ils prennent pour acquis celui des plus engagéEs : il n’y a nulle part ailleurs où ils et elles puissent voter. Les demandes d’augmentation du salaire minimum font peur aux petites entreprises et les lois anti-briseurs de grève aux grandes entreprises : donc, ces revendications ne seront pas mises de l’avant.
En toute honnêteté, on doit dire que les restrictions sur lesquelles les gouvernements sociaux- démocrates insistent ne peuvent être ignorées. Le capitalisme impose des réponses coûteuses à qui que ce soit qui tente de les repousser. Mais la sociale-démocratie s’enferme ainsi dans un cercle vicieux puisqu’elle fait si peu pour préparer l’affrontement qui mènera à leur dépassement. Le NPD annonce qu’il accepte ces limites quand il parle de réalisme politique. Cela démontre, dans les faits, la nécessité de tenir une ligne plus radicale. Dans le monde actuel, où les solutions modérées ont toutes l’air d’être inefficaces, nous devons être plus ambitieux-euses. Il faut se demander ce que signifie être réaliste et pratique ; il y a longtemps que le monde des affaires, à répondu à cette question et agit selon ses propres intérêts.
Dans les faits, le NPD ne se voit pas comme un parti des travailleurs-euses. Sauf pour des effets de rhétorique, il ne pense pas, ne parle pas et n’agit pas en parti de classe. La sociale-démocratie part du point de vue que les conflits de classe sont partie prenante du capitalisme ; d’ailleurs cela est de plus en plus évident de nos jours. Mais, en même temps, elle refuse d’assumer que les luttes ouvrières sont l’expression de la résistance et doivent être encouragées. Lorsqu’il se prépare aux élections, le NPD apprécie la classe ouvrière en lutte : les bouleversements qu’elle provoque ainsi dans l’économie deviennent un atout. Une fois au pouvoir, il faut tenir en échec les attentes de ces supporters encouragés par la victoire électorale. Ce sont généralement les gouvernements sociaux-démocrates qui appliquent les baisses de salaires et les restrictions dans les programmes sociaux : rappelez-vous Bob Rae. Au bout du compte, les sociaux-démocrates créent la confusion chez les travailleurs-euses. Plutôt qu’élargir leur compréhension des enjeux qui restreignent leurs attentes, plutôt que de les élever, leurs politiques manipulatrices contribuent à la désorganisation des travailleurs-euses en tant que classe.
Fuir les fausses solutions
Lorsque la perspective de la cassure d’avec le NPD est avancée, certains des principaux syndicats sont tentés par la solution du passage au Parti libéral. C’est un cul-de-sac ! Vouloir se débarrasser du pragmatisme du NPD en faisant un pas de plus dans ce sens, sous prétexte que les Libéraux sont au pouvoir (ou sont proches de l’être), c’est oublier qu’ils ne peuvent offrir rien de plus.
L’histoire du Parti libéral bien ancré dans le monde des affaires, devrait nous suffire comme avertissement. Mais il y a plus. L’enjeu est le suivant : ces syndicats qui pensent que les Libéraux seront plus ouverts à certaines de leurs revendications et à leurs intérêts particuliers, renforcent le sectarisme dans le mouvement ouvrier. Cela affaiblit toute tentative de construction d’une contre-attaque basée sur la solidarité de classe au-delà des disparités et différences qu’elle comporte.
Par exemple, des ententes patronales syndicales peuvent apporter des gains à court terme à certains groupes de travailleurs-euses : avoir des garanties sur les droits à la syndicalisation dans le seul secteur de la construction, réussir à faire maintenir les subventions aux compagnies automobiles qui éviteront des coupes de salaires pour leurs ouvriers-ères alors que tous les autres passeront sous le couperet, accepter des grilles salariales qui avantagent les enseignantEs alors que les autres travailleurs-euses du secteur n’en profitent pas. Ce sont des gains ancrés dans la faiblesse du mouvement, pas dans sa force. Non seulement ces gains sont-ils relativement faibles mais évidemment vulnérables en cas de changement politique ou de dirigeantEs. Ces travailleurs-euses découvriront alors que la solidarité ouvrière est requise pour se défendre. Ils et elles ont la surprise de se retrouver seulEs.
Rompre avec le NPD
Plusieurs ont commencé à débattre des liens avec le NPD. Mais ça ne mènera nulle part s’il n’y a pas de stratégie autour de cet enjeu. Un des premiers pas est de soumettre des résolutions dans les syndicats pour que le financement versé au NPD et possiblement au Parti libéral, cesse. Cela déclencherait des discussions plus formelles à propos des directions actuelles dans le mouvement ouvrier et pourrait mener à des perspectives vers un parti socialiste et sur les moyens de le faire advenir.
Immédiatement cela remettrait en question la validité des réserves financières en faveur du NPD, de leur augmentation possible et la possibilité de les affecter au développement d’une alternative qui élaborerait de nouvelles politiques. Premièrement, de façon évidente, ces fonds devraient être affectés à la mobilisation ouvrière de masse et des alliéEs au cours des campagnes politiques. Ensuite viendrait le support aux mouvements sociaux qui sont toujours sous-financés. Ils ont des liens ténus avec le mouvement ouvrier et sont loin d’être un mouvement de masse mais, avec beaucoup de créativité et d’énergie ils sont impliqués dans l’organisation de larges segments de la classe ouvrière non-syndiqués. Leurs mobilisation portent en général sur des enjeux qui concernent la vie concrète de la classe ouvrière mais rarement pris en compte par les syndicats. La plupart de ces enjeux ont de grands potentiels mobilisateurs, même un potentiel radical.
La lutte autour des sables bitumineux englobe celles des droits des autochtones, le rôle du Canada comme fournisseur d’énergie des États-Unis et la détermination du gouvernement conservateur à enfoncer le Canada dans la dépendance économique envers les ressources naturelles. La perte des capacités industrielles impose de se questionner sur le dépassement des facteurs de compétitivité pour passer à un plan qui les orienterait vers la fabrication de biens utiles. Nous devons aussi nous intéresser aux enjeux sociaux. Entre autre, affronter les budgets d’austérité dans les provinces pour exiger plutôt leur expansion, par exemple un plan de garde universel des enfants ; les jeunes familles sont étouffées par les frais de garde. Ces campagnes reposent sur la mobilisation active de la classe ouvrière localité par localité selon le modèle des « Days of Action ». [3] (…)
La contribution financière aux mouvements sociaux doit absolument s’organiser selon d’autres rapports que ceux que les syndicats ont développés avec le NPD, à savoir : les dirigeantEs des syndicats signent les chèques et les membres s’occupent de l’organisation au moment des élections. Il faut que cela se passe dans une relation d’égal à égal. Les mouvements devront développer leurs liens avec les syndicats locaux et ceux-ci devront engager leurs militantEs dans ces collaborations comme moyen de leur formation et de leur éducation. Les militantEs de ces mouvements seront partie prenante des formations syndicales, du développement conjoint des stratégies, dont la fixation des priorités.
Si ce programme est une réussite, il soulèvera inévitablement de nouvelles questions et pas que sur les politiques. Des questions surgiront à propos des structures syndicales et des stratégies. Par exemple, comment la transformation des membres en organisateurs-trices communautaires va-t-elle affecter les tactiques syndicales ? Comment cette nouvelle direction modifiera-t-elle les rapports entre les instances syndicales nationales et locales ? Qu’est-ce que tout cela aura comme répercussion sur le personnel des syndicats et exigera comme formation ? Qu’elles exigences pour la recherche ? Est-ce que cela aura un impact sur les processus de négociation et si oui lequel ? Est-ce que le virage vers le concept de classe va favoriser une plus grande collaboration entre les syndicats spécialement pour l’organisation des travailleurs-euses précaires à la grandeur des villes ? Que fera le Congrès canadien du travail face à tels changements ? Est-ce qu’il va ressortir sa demande pour un programme universel de revenus de retraites décents mais cette fois en s’engageant dans la mobilisation que requiert une telle campagne ? Est-ce que les Conseils des travailleurs régionaux commenceront à inclure des représentantEs des organisations communautaires à leurs réunions ? Est-ce que ces organisations et les syndicats devraient développer de nouvelles structures régionales comme des assemblées communautaires de classe qui seraient ouvertes à tous et toutes : non syndiquéEs, chômeurs-euses ? Elles traiteraient des problèmes des habitantEs aussi bien que de ceux dans les milieux de travail. [4]
Au cours du dernier quart du 20ième siècle, l’histoire du mouvement ouvrier canadien a donné plein d’exemples impressionnants de sa capacité à se détacher des stricts enjeux électoraux pour prendre la direction de luttes politiques. Au cours des années soixante-dix, les centrales syndicales ont lancé une journée de grève générale contre le contrôle des salaires. C’était la première fois que cela se produisait depuis les années trente. Au milieu des années quatre-vingt, avec ses partenaires, le mouvement ouvrier canadien à mené ce qui est probablement la campagne la plus impressionnante que partout ailleurs dans le monde contre le libre-échange. Et c’est au milieu des années quatre-vingt-dix qu’il a pu s’engager dans une série de grèves générales qui ont mobilisé les forces populaires aussi bien qu’ouvrières pendant deux ans et demi. Malheureusement cette mobilisation n’a pas réussi à faire changer les politiques combattues et le NPD y a vu la confirmation des limites des actions politiques syndicales menées par ses propres moyens ou en lien avec les mouvements sociaux.
Comment mesurer le succès ou l’échec ? Ce que nous enseignent nos luttes repose sur nos objectifs et sur notre compréhension du terme « politique ». Pour la gauche, c’est la découverte du potentiel de luttes de masse qui fut d’abord importante, spécialement les « Days of Action ». Il en est ressortit la valeur des efforts d’éducation pour que les travailleurs-euses quittent leurs lieux de travail ; du nombre de travailleurs-euses et d’étudiantEs pour qui cette implication militante était une première ; des habiletés organisationnelles développées durant ces journées ; et du développement de nouveaux liens hors des lieux de travail.
Si on arrivait à la conclusion que nous devons retourner à l’action politique comme d’habitude, ce serait la pire [5] des leçons. Le militantisme et la protestation ne sont que le début d’une bataille : voilà une leçon plus profonde qui ressort. Il faut avoir des mécanismes pour supporter ces manifestations (de désir de changement) et construire sur le potentiel qui pointe ainsi. Clairement, le NPD n’a aucun intérêt dans l’accompagnement de ces débuts de soulèvements et malheureusement, à l’époque les syndicats et les mouvements sociaux se sont montrés incapables de le faire sur leurs propres bases. Les socialistes éparpilléES ici et là, même très enthousiastes, ne l’ont pas pu non plus. Le message essentiel à tirer ici, est que seule une organisation politique, les deux pieds dans certains syndicats et organisations communautaires, avec un engagement profond et des moyens à la hauteur, peut transformer ces protestations temporaires en résultats permanents. Cette organisation politique, c’est un parti socialiste !
Au-delà du NPD, une autre sorte de parti
La crise politique dans laquelle se retrouve le mouvement ouvrier exige un grand débat sur la nécessité d’un parti différent, un parti socialiste. C’est loin d’être une idée nouvelle. Les socialistes dans et hors du mouvement syndical le demande depuis longtemps. Mais ils et elles ne s’entendent pas toujours sur sa nature exacte. En Europe on a entendu des débats à ce sujet et vu certaines initiatives. En 2006, des expérimentations ont aussi vu le jour au Québec. Il faut que les militantEs s’intéressent sérieusement à ces développements.
Les partis socialistes se distinguent avant tout par leurs engagements envers la classe ouvrière, leur vision de l’égalité et de la solidarité sociales sur lesquelles repose le plein développement de tous. Les socialistes comprennent que cela ne peut se faire sans se débarrasser du système de classe capitaliste, son emprisonnement dans la recherche de la compétitivité et du profit et sa démocratie qui permet à une minorité de contrôler l’économie et les communications. Les socialistes peuvent reconnaitre les réalisations du capitalisme dans le passé. Mais cela ne mène pas à l’acceptation de ce système comme la meilleure organisation sociale à laquelle nous puissions aspirer, au contraire. Il est arrivé au stade ou il constitue une barrière au développement humain. Cette vision nous amène à redéfinir la manière par laquelle nous pensons le « politique ». Ces perspectives obligent à voir la classe ouvrière capable de beaucoup plus que de voter ; encore que les élections ne soient pas anodines. Mais elle est capable d’entreprendre la construction d’une force qui lui appartienne et capable d’affronter le capitalisme et de transformer la société.
Mais, ce n’est pas parce que les travailleurs-euses sont placées au centre d’un projet politique socialiste qu’ils et qu’elles vont spontanément agir en conséquence. Un parti socialiste a pour objectif de transformer en classe les éléments atomisés du monde ouvrier en créant des structures qui pourront soutenir et respecter les capacités des gens de la base à analyser et comprendre des enjeux complexes, à évaluer et les options et les stratégies, à s’organiser et à agir avec détermination. Ce n’est que dans ce modèle de construction d’une base à même le monde ouvrier et en coordonnant l’apport des forces progressistes que la politique électorale peut prendre un sens plus significatif.
Le problème est bien sur, qu’au Canada anglais il n’existe aucun parti socialiste. Et ça ne se fait pas par une simple annonce par un groupe quelconque. La question dès lors se pose : quelles batailles les militantEs qui soutiennent un tel projet devraient-ils et devraient-elles mener dans leurs organisations aussi bien qu’à l’extérieur pour faire émerger un tel parti ?
Un rôle préparatoire pour les socialistes
Les socialistes les plus engagéEs doivent se concentrer sur l’importance fondamentale des travailleurs-euses et de leurs organisations dans la réalisation de ce changement radical : leurs habiletés, leurs capacités d’analyse, d’éducation et d’organisation sont des outils indispensables. Les analyses des tendances économiques et politiques, l’histoire du mouvement ouvrier et des luttes passées, ses histoires oubliées, les rapports sur le développement ailleurs, sont leur rayon. Ils et elles peuvent prendre en charge le développement d’outils pédagogiques de toutes sortes et se présenter comme conférenciers-ères pour présenter des idées nouvelles et engager la discussion avec les travailleurs-euses. L’organisation de lieux pour plus de discussion, pour élargir les publics cible, comme des forums ouverts aux militantEs et au public en général seraient aussi leur contribution au projet.
Ramener l’idée du socialisme dans les discussions militantes et l’enraciner dans la « construction des socialistes » seraient également deux contributions fondamentales de la gauche. Il s’agit d’identifier et de développer mchez les travailleurs-euses qui sont intéresséEs des capacités de leaders et d’organisateurs-trices qui comprennent le capitalisme, ont une vision de ce qui pourrait le remplacer et sont impliquéEs dans la lutte pour un bon moment.
En fait, tout cela tourne autour de notre propre éducation et du développement de méthodes d’éducation populaires afin de recruter ceux et celles qui ne sont pas encore convaincuEs. Ce genre d’éducation dépasse ce qu’offrent généralement les syndicats. Il devrait démarrer avec les préoccupations immédiates des travailleurs-euses pour ensuite les situer dans un contexte plus large et avancer vers le débat sur le genre de politiques à mettre de l’avant pour résoudre ces problèmes. Il s’agit d’enjeux tels que : pourquoi les charges de travail augmentent-elles constamment ? Qu’est-ce que l’austérité ? Pourquoi la création d’un programme de garde des enfants n’est-il toujours pas à l’ordre du jour ? Pourquoi les inégalités augmentent-elles de plus en plus ? Pourquoi n’y a –t-il pas d’emplois décents pour tous ceux et celles qui veulent travailler ? Peut-on parler de résoudre la crise environnementale tout en maintenant le capitalisme ? Qu’est-ce que nous entendons par capitalisme, mondialisation, néo-libéralisme, l’État et les classes ? D’où vient l’idée de socialisme ? Comment les autres peuples font-ils face aux crises et quel est leur rapport à la politique ? Que pouvons-nous apprendre de leur expérience ? De quelles habiletés et structures avons-nous besoin si nous voulons vraiment changer les choses ?
L’éducation ne se fait pas dans un vacuum. Si vous n’y faites pas entrer les luttes en cours, elle passera à côté des problèmes auxquels les gens font face dans leur vie quotidienne. Par ailleurs la lutte pour le changement soulève des questions qui doivent rendre l’éducation pertinente. Le moment d’arrêt dans la routine que représentent les luttes, donne des opportunités aux socialistes pour permettre aux travailleurs-euses de se poser les enjeux de luttes plus radicales. L’interaction entre les luttes et l’éducation est indispensable pour faire naitre des vocations d’organisateurs-trices et inspirer de l’intérêt pour des batailles plus larges et des analyses plus approfondies. Nous avons appris que la seule bonne volonté de quelques individus ne suffit pas. Cela exige des interventions organisées et proactives. Il faut espérer que si le mouvement ouvrier devient plus réceptif à un nouveau programme politique, la gauche socialiste se rassemble et deviendra une entité plus productive.
Conclusion
Pour être honnête, il faut nous demander si nous ne nous fixons pas une tâche impossible en tentant d’« accélérer » la marche de l’histoire. Les capacités du mouvement ouvrier ne sont pas des plus solides en ce moment. S’il n’y a pas de forte pression de la part de la base, il est peu probable que les directions des syndicats s’engagent dans un tel programme. Compte tenu de l’état des troupes la pression qui pourrait venir de là est peu prévisible : les travailleurs-euses sont démoraliséEs, débordéEs par le stress vécu au travail et dans leurs familles, manquent d’accès à des sources de recherche indépendantes ce qui les coupe de leur propre histoire, l’isolement d’avec les autres ouvriers-ères est bien présent et il existe peu de connaissances quant aux développements qui se passent ailleurs. En plus, nous ne sommes pas dans une période où les luttes sociales historiques surgissent tout à coup ce qui nous apporterait un peu d’oxygène. Dans un tel contexte ne vaudrait-il pas mieux attendre ? Mais attendre pourquoi ? Attendre n’est pas une stratégie. Notre salut ne viendra pas d’un coup de baguette magique. Peu importe ce qui peut arriver, même si des alternatives peuvent se pointer, les contradictions dans le mouvement ouvrier et les limites des mouvements sociaux et de la gauche devront être pris en compte. Il est clair que le succès n’est pas garanti mais rester dans le noir, sans direction, ne fait rien pour venir à bout de notre incertitude. Nous avons absolument besoin de nous donner une direction, de faire des expériences de les évaluer et d’apprendre au fur et mesure pour pouvoir réessayer et surtout essayer différemment.
Finalement, voici quatre éléments à mettre en place. 1- Il faut que les militantEs dans les syndicats s’organisent pour mettre fin à l’emprise paralysante du NPD sur les orientations politiques du mouvement ouvrier. 2- Il faut que nous posions clairement que cette rupture n’est pas une occasion pour se tourner vers la droite (par exemple donner son appui aux Libéraux) ; il faut mener la bataille pour que les fonds qui vont au NPD soient affectés à la mobilisation de masse pour des campagnes conjointes avec les mouvements sociaux qui les organisent sur le terrain. 3- Voir également à ce qu’une partie de ces fonds viennent appuyer les mouvements de classe qui mène des luttes au-delà de celles des syndicats et de le faire de telle façon à ce que les liens entre leurs membres et ceux et celles des syndicats se renforcent. 4- Nous insistons sur la nécessité d’organiser des discussions claires dans les lieux de travail et dans les communautés sur la création d’un parti socialiste.
Il existe en ce moment un nombre significatif d’individu qui font un travail politique remarquable, mais dissiminéEs dans une sorte de diaspora dans laquelle ils et elles sont indépendantEs et des acteurs-trices relativement isoléEs. En plus, souvent leurs préoccupations ne sont pas en phase avec les enjeux auxquels la classe ouvrière en tant que telle est confrontée. Si nous sommes sérieux-euses à propos des défis plus larges dont nous parlons ici, nous devons développer un projet qui mettra ces individus au diapason de la poursuite de ces objectifs pour aboutir à un projet national. Cela veut dire que nous devons élaborer des analyses politiques socialistes qui soient ancrées dans notre époque et les soumettre aux militantEs des divers mouvements pour alimenter leurs discussions et les aider dans le développement de leurs stratégies. Les expériences du passé nous enseignent clairement que cela ne peut se faire sans des capacités organisationnelles pour agir collectivement. Cela veut dire avoir des organisateurs-trices à temps plein payéEs à même des fonds recueillis selon les capacités financières réelles, pour nous aider à nous rassembler et nous faciliter la tâche dans l’organisation de tout ce qui sera nécessaire pour réussir.
Pas besoin d’attendre pour commencer les discussions. Nous avons sans aucun doute les forces nécessaires pour organiser des débats à Toronto, Ottawa, Halifax, Winnipeg, Edmonton et en Colombie Britannique. Il faut réunir tous ceux et celles qui montrent de l’intérêt pour une nouvelle politique et en évaluer les possibilités. Il faudra assurer une certaine coordination des ces débats pour entre autre apprendre de la variété de nos expériences. Il faudra également élaborer une infrastructure commune, quelle qu’elle soit, pour produire de l’information et du matériel. Ces premières expériences devraient encourager l’organisation d’autres débats dans plusieurs autres milieux.
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