Par Amélie Drainville
Militante écologiste et solidaire, porteuse d’espoir 2020 du Jour de la Terre Québec
Le monde tourne au ralenti et au rythme de cet ennemi invisible qu’est le nouveau coronavirus. Mais quand on sort des médias « mainstream », la une est toute autre. Même si le « pendant » est cruel pour certain.e.s qui composent avec la perte d’un proche ou des conditions de travail atroces, des humains dévastés devant le monde en décrépitude préparent « l’Après », avec un grand A.
Dans des cercles de moins en moins restreints, mais tout de même encore assez nichés, nombre d’intellectuel.le.s partagent leurs réflexions sur la situation actuelle et ce qu’on devrait faire après la crise. On sait qu’elle sera passagère, mais elle pourrait exacerber les défis causés par la destruction du territoire, l’extractivisme et le productivisme. Si l’on doit bien trouver un côté positif de cet arrêt forcé du monde, c’est le temps inestimable que certain.e.s ont la chance de dévouer à la préparation de la lutte sociale à venir, car il y aura matière à se mobiliser, c’est garanti et prévisible.
Présentement, François Legault se meurt de « relancer l’économie ». Ça l’empêche sûrement de dormir. Mais comment et à quel prix ? Si l’on se base sur la théorie de Naomi Klein, nos élites profiteront de l’instabilité d’après-crise pour appliquer la stratégie du choc : une relance économique et une croissance exponentielle, suivie de près par de dures mesures d’austérité, justifiée à coups de « nous n’avons pas le choix de nous serrer la ceinture ». Nous n’y échapperons pas. Si François Legault avait vraiment eu à cœur l’éducation et la santé, il aurait déjà augmenté considérablement les salaires de nos « anges gardiens » au lieu d’investir des pinottes pour changer la couleur des murs des établissements. Si François Legault avait eu une quelconque vision de la justice sociale, il aurait annoncé une réforme de la fiscalité pour augmenter les dépenses dans les services publics. Si François Legault avait déjà eu un quelconque intérêt pour des enjeux comme la crise climatique, la biodiversité ou le bien-être de son peuple et des nations autochtones, ou pour des idées comme la décroissance, le municipalisme ou la souveraineté alimentaire, nous l’aurions su bien avant et on peut douter qu’il s’en découvre une nouvelle passion dans les deux prochaines semaines. François Legault n’est pas mieux que les Libéraux. Il est leur sosie bleu poudre, avec cette chance d’avoir une « méchante belle raison » pour justifier des coupures budgétaires. L’unanimisme envers la gestion de crise du gouvernement québécois me tue, car il fait preuve d’un aveuglement collectif face à ce qui nous attend. Le « pendant » est pénible, mais l’« après » sera infernal.
En France, militant.e.s et intellectuel.le.s implorent de ne surtout pas relancer pour mieux recommencer. Au Québec, les initiatives se multiplient pour agir ou vulgariser les moyens de tout faire basculer. On constate un « boom » ahurissant d’intérêt pour la fabrication de pain et l’autosuffisance, et des Jardins de la Victoire sont créés un peu partout pour développer notre autonomie alimentaire. Dans les journaux et sur les médias sociaux, des Mères au front partagent en grand nombre leurs réflexions. Sur le terrain, l’entraide s’organise et le personnel de la santé dénonce les conditions de travail indécentes et les drames humains dans les CHSLD. En outre, on ne compte plus les webinaires organisés par des groupes, des intellectuel.le.s, des mouvements sociaux ou des partis politiques (comme Québec solidaire avec son initiative l’École buissonnière) pour penser le Québec post-pandémie et post-capitalisme.
Or, un problème demeure : la division. Chaque groupe, plein de bonne volonté, prépare la lutte pour l’Après, mais chacun de son côté. Pourtant, il n’aura jamais été aussi évident que les mouvements écologiste, féministe, décolonial, autochtones, antiraciste, municipaliste, démondialiste, anarchiste et anticapitaliste luttent contre les mêmes ennemis. Nos oppresseurs sont de la même caste et portent en eux le rouleau compresseur du monde, gage de leur « succès », composé des mêmes ingrédients de la recette de la destruction : saccage environnemental, capitalisme sauvage, patriarcat, colonialisme, nationalisme conservateur, apparences de démocratie (qui masquent - très mal - la dictature du cash), corruption, anthropocentrisme, paradis fiscaux, mondialisation néolibérale, étatisme, exploitation, inégalités « Nord-Sud », libre-échangisme, énergies fossiles… Notre lutte est intersectionnelle, aux idéaux multiples, mais n’est qu’une seule et même lutte. Nous vaincrons seulement lorsque nous serons très nombreux, unis, soudés à jamais par notre lutte commune.
Les riches capitalistes, les multinationales, la haute finance, les élites politiques, tous s’opposeront à notre mouvement. Mais seulement parce qu’ils n’ont toujours rien compris du sens du monde et de la vie sur Terre. Faire de l’argent pour qui ? Pour quoi ? Quand cette planète sera dévastée par des années d’inaction, de statu quo, de passivité, il ne restera que des bouts de papier sans valeur et des vestiges du « trading » indécent sur des disques durs qu’on ne saura plus lire…
Nous savons que ce monde-là ne vaut rien, qu’il faut en bâtir un nouveau de toutes pièces. Un monde sur mesure, dont les piliers fondamentaux seront le bonheur des gens qui l’habitent et l’harmonie avec le territoire. Pour la première (et peut-être la dernière) fois dans l’histoire de l’humanité, nous avons les moyens pour redessiner complètement l’organisation sociale que nous voulons mettre au monde, sans dépendre de qui que ce soit. Nous ne pouvons laisser filer cette opportunité, et c’est pourquoi, dès la levée du confinement, un vaste mouvement social planétaire devra être prêt à se mettre en marche.
En entrevue, le sociologue Gérard Bouchard disait récemment que « [à] chaque crise, ça revient cette idée-là qu’il y aura un avant et un après, que les choses ne seront plus comme avant […] Finalement, ce n’est pas vraiment comme ça que ça se passe. […] Il ne faut pas projeter les gens dans l’illusion. » Le sociologue a raison : les changements ne sont toujours pas survenus… parce que nous restons divisés et passifs ! Nous attendons patiemment que quelqu’un d’autre fasse lever le mouvement à notre place ! Mais les révolutions n’adviennent jamais par miracle ; elles se nourrissent de la lutte sociale.
La COVID-19 est le signal de la dernière chance pour s’unir et travailler tous ensemble, dès maintenant. Pour paraphraser un intellectuel peu célèbre : citoyen.ne.s en lutte de tous les pays, unissez-vous ! Nous jouons quitte ou double, et nous n’avons d’autre choix que de faire mentir les propos du sociologue. M. Bouchard nous invite à « rêver raisonnablement »… Quel discours démobilisant ! À l’inverse, on doit rêver fort, mais agir encore plus que l’on rêve. On doit pointer du doigt les vrais utopistes, les défenseurs d’un statu quo destructeur. On doit aussi profiter de la vague de mobilisation internationale propulsée par le mouvement pour le climat et de son capital de sympathie, ainsi que des luttes nationales (Liban, Chili, France, Hong Kong etc.), pour élever le mouvement à un autre niveau. Et la lutte n’en sera que plus belle…
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