Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

La guerre génocidaire du sionisme cristallise la crise civilisationnelle

Les camps étudiants, lueur d’un nouveau monde à faire resplendir

Les camps étudiants contre la guerre génocidaire du gouvernement sioniste, qui ont fini par poindre au Québec, sont la conscience humaniste d’un monde capitaliste sans rémission gagné jusqu’à son tréfonds par la course au profit et le culte de l’argent, corrompu jusqu’à la moelle par l’idéologie néolibérale du chacun pour soi et au diable la catastrophe, à l’aise avec des chefs à poigne qui tonitruent les droits humains tout en faisant taire les humanitaires qui les empêchent de tourner en rond.

Les partis politiques n’ont de cesse de s’ajuster à ce monde en chamaille où la guéguerre des grands garçons, pour régner sur les gangs qui paralysent les compatissantes, jouent à la roulette russe avec le sort du monde. Les guerres polarisantes tassent dans la marge tant la centralité politique que l’allocation des ressources pour la course éperdue de la terre-mère vers la terre-étuve.

Tout va très bien Mme la marquise mais le Consensus de Washington fout le camp Pourtant, comme le dit The Economist :

À première vue, l’économie mondiale semble rassurante par sa résistance. L’Amérique a prospéré malgré l’escalade de sa guerre commerciale avec la Chine. L’Allemagne a résisté à la perte de l’approvisionnement en gaz russe sans subir de catastrophe économique. La guerre au Moyen-Orient n’a pas provoqué de choc pétrolier. Les rebelles houthis, qui tirent des missiles, n’ont pratiquement pas affecté les flux mondiaux de marchandises. En tant que part du PIB mondial, le commerce a rebondi après la pandémie et devrait connaître une croissance saine cette année.

Mais ce magazine par excellence de l’intelligentsia de la grande bourgeoisie mondiale n’est pas dupe pour autant tout en regrettant son monde idyllique du « Consensus de Washington » dont il ne voit que des bienfaits :

Mais si l’on regarde plus en profondeur, on s’aperçoit de la fragilité de la situation. Pendant des années, l’ordre qui a régi l’économie mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale s’est érodé. Aujourd’hui, il est proche de l’effondrement. Un nombre inquiétant d’éléments déclencheurs pourrait déclencher une descente dans l’anarchie, où le pouvoir a raison et où la guerre est à nouveau le recours des grandes puissances. Même s’il n’y a jamais de conflit, l’effet sur l’économie d’un effondrement des normes pourrait être rapide et brutal.

[…] la désintégration de l’ancien ordre est visible partout. Les sanctions sont quatre fois plus utilisées que dans les années 1990 ; l’Amérique a récemment imposé des sanctions « secondaires » aux entités qui soutiennent les armées russes. Une guerre des subventions est en cours, les pays cherchant à copier les vastes aides publiques accordées par la Chine et les États-Unis à l’industrie verte. Bien que le dollar reste dominant et que les économies émergentes soient plus résistantes, les flux de capitaux mondiaux commencent à se fragmenter […]

Les institutions qui protégeaient l’ancien système sont soit déjà défuntes, soit en train de perdre rapidement leur crédibilité. L’Organisation mondiale du commerce aura 30 ans l’année prochaine, mais elle aura passé plus de cinq ans dans l’impasse, en raison de la négligence des États-Unis [qui refusent le renouvellement du personnel des panels d’arbitrage afin de les paralyser, NDLR]. Le FMI est en proie à une crise d’identité, coincé entre un agenda vert et la garantie de la stabilité financière. Le Conseil de sécurité des Nations unies est paralysé. […] les tribunaux supranationaux tels que la Cour internationale de justice sont de plus en plus instrumentalisés par les belligérants [sic]. […]

Jusqu’à présent, la fragmentation et le déclin ont imposé une taxe furtive à l’économie mondiale : perceptible, mais seulement si l’on sait où regarder. Malheureusement, l’histoire montre que des effondrements plus profonds et plus chaotiques sont possibles et peuvent frapper soudainement une fois que le déclin s’est installé. La première guerre mondiale a mis fin à un âge d’or de la mondialisation que beaucoup, à l’époque, pensaient éternel. Au début des années 1930, après le début de la dépression et les droits de douane Smoot-Hawley, les importations américaines ont chuté de 40 % en l’espace de deux ans. En août 1971, Richard Nixon a suspendu de manière inattendue la convertibilité des dollars en or ; 19 mois plus tard seulement, le système de taux de change fixes de Bretton Woods s’est effondré.

Aujourd’hui, une rupture similaire semble tout à fait imaginable. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, avec sa vision du monde à somme nulle, poursuivrait l’érosion des institutions et des normes. La crainte d’une deuxième vague d’importations chinoises bon marché pourrait l’accélérer. Une guerre ouverte entre l’Amérique et la Chine à propos de Taïwan, ou entre l’Occident et la Russie, pourrait provoquer un effondrement tout-puissant.

Dans bon nombre de ces scénarios, les pertes seront plus profondes qu’on ne le pense. Il est de bon ton de critiquer la mondialisation débridée comme étant la cause des inégalités, de la crise financière mondiale et de la négligence du climat. Mais les réalisations des années 1990 et 2000 — l’apogée du capitalisme libéral — n’ont pas d’équivalent dans l’histoire. Des centaines de millions de personnes ont échappé à la pauvreté en Chine, qui s’est intégrée à l’économie mondiale. Le taux de mortalité infantile dans le monde est inférieur à la moitié de ce qu’il était en 1990. Le pourcentage de la population mondiale tuée par des conflits étatiques a atteint en 2005 son niveau le plus bas de l’après-guerre, à savoir 0,0002 % ; en 1972, il était près de 40 fois plus élevé. Les dernières recherches montrent que l’ère du « Consensus de Washington », que les dirigeants d’aujourd’hui espèrent remplacer, a été celle où les pays pauvres ont commencé à bénéficier d’une croissance de rattrapage, comblant ainsi le fossé qui les séparait des pays riches.

La grande défaite des économies collectives a permis le rebond impérialiste

Il peut sembler étonnant que The Economist parle de recul mondial des inégalités lors de l’ère néolibérale. Selon le World Inequality Report ce constat est exact pour les revenus : le ratio revenus du 10% le plus riche versus le 50% le plus pauvre se situe autour de 40 depuis 1910 avec une pointe de plus de 50 en 1980. Ce mystère s’explique par la montée plus rapide des PIB des pays de l’Asie de l’Est, surtout la Chine, et du Sud-Est et de plus en plus du Sud, surtout l’Inde, par rapport à ceux des pays du vieil impérialisme. Ce constat est cependant inexact pour l’accumulation de richesse où la croissance de la richesse privée à l’encontre de la décroissance de celle publique durant l’ère néolibérale a arrêté la baisse séculaire des ratios entre les plus riches et les plus pauvres pour au contraire les voir légèrement croître, du moins pour les pays du vieil impérialisme pour lesquels existent suffisamment de statistiques. Quant au ratio de l’égalité des genres pour le revenu, il croît à peine demeurant autour du tiers. The Economist oublie de mentionner que le 10% mondial le plus riche est responsable de la moitié des émissions de gaz à effet de serre (GES) contre à peine plus de 10% pour le 50% le plus pauvre.

La signification de cette relative bonne performance égalitaire des revenus entre les pays s’explique par la stratégie de l’impérialisme néolibéral qui a fait jouer à plein l’utilisation de la main-d’œuvre des pays dépendants, gonflée à bloc par l’intégration de celle de la Chine et la pleine intégration de celle de l’Inde dans le marché mondial, afin de vaincre l’inflation structurelle de l’ère keynésienne. En effet, après avoir cassé l’inflation, en fait la « stagflation », par le remède de cheval d’une hausse drastique des taux d’intérêts autour de 1980, l’effondrement du Mur de Berlin a livré au capitalisme désormais mondialement mur-à-mur un immense réservoir de main-d’œuvre suffisamment formée et incrustée dans d’adéquates infrastructures pour rétablir un tant soit peu la croissance capitaliste en panne. Le coût pour l’impérialisme, cependant, en a été l’industrialisation et même la financiarisation des pays dit émergents maintenant en mesure de réclamer leur part du gâteau des surprofits, d’où la crise du « Consensus de Washington » déplorée par The Economist, et la crise existentielle des grands équilibres écologique de l’Holocène, minimisée par le magazine de la Cité. Cette crise s’explique par la tendancielle mondialisation de la consommation de masse indispensable à la réalisation de la demande solvable soutenue par l’endettement généralisé.

L’ordre organique des inégalités remplace le factice ordre international humaniste

Les relatifs acquits de la « globalisation heureuse » du Consensus de Washington volent en éclats. Il s’ensuit qu’ « une grande partie de l’ordre international libéral qui a vu le jour dans les années 1990 est en train de s’effondrer. Le langage autour des droits de l’homme, de l’intervention humanitaire ou même de l’État de droit mondial a été condamné à mort par Gaza. Mais il est tout aussi clair qu’un nouvel ordre conservateur est en train d’émerger, dans lequel les préoccupations en matière de droits de l’homme sont secondaires, même sur le mode rhétorique qui était le sien dans les années 1990. »

Cet effondrement de l’ordre international nominalement humaniste au profit d’un sans gêne ordre organique hiérarchique entre les classes, les genres, les races et les ethnies se cristallise dans la guerre génocidaire de Gaza. « La crise de Gaza a mis en évidence les profondes fractures de la politique intérieure en Europe occidentale, aux États-Unis et en Australie. Il s’agit autant d’une crise politique intérieure que d’un conflit au Moyen-Orient. […] la crise de Gaza a ramené la décolonisation dans les rues de Londres, de Paris, de Berlin, de Sydney et de New York. On oublie souvent que beaucoup de ceux qui sont dans la rue ne demandent pas seulement un cessez-le-feu à Gaza, mais une voix politique qui est marginalisée. Et n’oublions pas que cela se joue dans le registre de la classe et de la race. Beaucoup - mais pas tous - de ceux qui sont dans la rue sont la nouvelle classe ouvrière migrante et Gaza est l’expression de leur mécontentement politique. »

L’auteur signale qu’il y a là « le retour de la politique coloniale » ce qui explique « un virage de plus en plus autoritaire dans la restriction de la dissidence. La tentative d’interdire les marches et les manifestations est peut-être la plus inquiétante… » Si on n’en est pas encore là au Canada et encore moins au Québec, peut-être faut-il en trouver l’explication par l’absence d’expérience coloniale hors frontières, ce à quoi s’ajoute au Québec la conscience de la Conquête à la source de la lutte indépendantiste. Mais ce serait oublier le colonialisme de peuplement vis-à-vis les peuples autochtones. La raison de la relative modération vis-à-vis les camps universitaires contre la guerre génocidaire s’explique peut-être simplement par la marginalité de l’État canadien dans les affaires mondiales en combinaison au rôle onusien apparemment pacifiste du Canada qui a pourtant souffert de nombreuses exceptions à l’ère de l’impérialisme néolibéral. La contrepartie de la relative modération autoritaire canadienne et de la nouvelle tergiversation de la politique canadienne vis-à-vis la Palestine est la faiblesse et la tardivité des mobilisations pro-Palestine. La manifestation montréalaise commémorant la Naqba, par un beau dimanche printanier, ne comptait qu’environ 3 000 personnes (mon album de photos ).

Le décrochage Solidaire de sa base à corriger par un coup de barre internationaliste

L’auteur attire l’attention sur ce que révèle la guerre génocidaire de Gaza à propos des partis de centre-gauche. « La troisième fracture [après celle de la combinaison classe et race et celle d’un plus fort autoritarisme, NDLR] est peut-être la plus frappante et c’est la façon dont les partis de centre-gauche - et cela inclut les démocrates au sein de l’Union européenne - se comportent. […] Les partis étant de plus en plus imbriqués dans l’État, ils ont perdu le lien avec leurs bases sociétales - ou ce que les politologues aiment appeler leurs fonctions représentatives. […] Ce qui est nouveau, c’est que ces partis sont de plus en plus enfermés dans une sorte de rivalité inter-impériale militarisée, économique et politique, à l’échelle mondiale, entre les États-Unis et la Chine. »

Malgré que la politique extérieure ne relève pas constitutionnellement des provinces, Québec solidaire (QS) a toujours pris position, très pacifistement sans toujours distinguer l’opprimé de l’oppresseur, à chaque fois que l’État sioniste a attaqué la Bande de Gaza tant en 2009, 2012, 2014 que maintenant. Mais comme explicité dans un article précédent, QS s’est traîné les pieds avant d’appuyer le camp étudiant de McGill sans que ce soit ses porte-parole qui ne le fassent. Sauf une exception, QS n’a pas mobilisé ni était présent comme parti aux manifestations hebdomadaires pro-Gaza de Montréal. Comme signalé par notre auteur ci-haut, cette tiédeur démontre cette imbrication du parti dans l’État, particulièrement par son financement, et la perte de lien avec sa base sociétale dont l’actuelle crise du parti est la démonstration la plus flagrante. On remarque que le pacifisme Solidaire est élastiquement lié, par la gauche, au positionnement des Libéraux fédéraux même QS se démarque des positions réactionnaires de la CAQ. D’où sa propension à s’en prendre exclusivement à la CAQ en ce qui concerne la guerre génocidaire contre la Bande de Gaza.

Il serait pourtant possible pour la députation Solidaire de faire preuve d’internationalisme conséquent vis-à-vis cet enjeu crucial redéfinissant tant idéologiquement que politiquement l’état du monde. Le député européen Miguel Urbán, militant d’Anticapitalistas dans l’État espagnol, partant du constat que « [l]es institutions sont construites contre nous et contre nos intérêts […] en tant qu’anticapitalistes, [nous devons, dit-il,] mettre un pied dans les institutions et 100 pieds dans la rue. » A découlé de ce principe de faire de la politique autrement que « la première activité que j’ai faite quand j’ai pris mes fonctions de député européen a été d’aller avec les camarades de la coordination européenne bloquer la Banque centrale européenne, de participer aux actions Occupy Frankfurt, […] et, à partir de là, c’est ce qui a marqué l’activité que nous avons eue. »

Pour marquer le coup, l’un ou l’autre membre de la députation Solidaire, et pourquoi pas un des deux porte-parole, pourrait pendant quelques jours dresser sa tente dans un des camps pro-Gaza du Québec. Ce serait là clamer non seulement par la parole mais aussi par son corps que la guerre génocidaire de l’État sioniste, en passe de devenir l’Holocauste du XXIe siècle avec la pleine complicité de tous nos gouvernements, doit être arrêté illico par des occupations et manifestations monstres jusqu’à et y compris par une grève de masse.

Marc Bonhomme, 18 mai 2024
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.c

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