Il est grand temps, je pense, que certains chroniqueurs, journalistes et éditorialistes rétifs investis du devoir d’opinion cessent une fois pour toutes, quelle que soit leur position, dont ils ont la prérogative — de la même manière que Maréchal [chroniqueuse de Québécor] s’adresse à moi dans son article, avec condescendance, démagogie, maternité, parce que je n’ai que 23 ans — de traiter les leaders étudiants, et absolument les étudiants eux-mêmes, comme des bums, des fauteurs de trouble, des enfants-rois, et admettent, pour en finir avec cet accès de déni, que la crise que le Québec traverse en est une vraie, et une importante.
Une qui, bien qu’elle ne rassemble pas toutes les mentalités sur son origine même — la hausse ou pas la hausse — peut désormais les rassembler sur un même point commun : que souhaitons-nous pour le Québec de demain ? Parce rien n’est plus sûr que le Québec de demain est celui que l’on brime, baffe, bat, asperge et fiche ce soir, à grands coups d’arrestations arbitraires et barbares, de la part de forces de l’ordre purement impulsives devant le chaos légitime d’une minorité majeure dont la patience a atteint ses limites. Car non, il n’y a pas que la patience du Montréalais insomniaque caché dans la tourelle de sa demeure sur Docteur-Penfield qui peut être éprouvée.
Je suggère que le Québec ne se laisse pas faire. Je suggère que le Québec se tienne debout, sans hésitation. Je suggère que le Québec soit fier, et qu’à défaut d’être prêt à dire OUI, il sache à tout le moins dire NON.
Xavier Dolan
Le phénomène des « casseroles », provenant d’une initiative des réseaux sociaux, prend de l’ampleur. À travers le Québec, particulièrement à Montréal, des dizaines de milliers de personnes se rassemblent chaque soir dans des parcs et carrefours vers 20 heures, sans compter les manifestations de sympathie tout au long des rues sur les trottoirs et les balcons, puis pour une bonne partie d’entre elles s’emparent des rues jusque tard dans la soirée. Il y a là une autre émanation du génie tactique de la jeunesse pour sortir de l’impasse, faute de grève sociale, par le moyen d’une désobéissance civile socialement acceptable élargissant la mobilisation géographiquement à tout le Québec, même non gréviste, et socialement à toutes les catégories sociales et générationnelles. S’y ajoute la marginalisation des casseurs au point d’obliger les forces policières à encadrer sans presque aucune arrestation ces manifestations pourtant illégales selon la nouvelle loi matraque. Reste qu’il a déjà eu environ 2 000 personnes arrêtées dont une bonne majorité était pacifique.
Il y a, en devenir, la possibilité d’une démocratisation de la lutte, qui dépasse dorénavant très clairement l’enjeu étudiant, sous forme d’Assemblée générale de quartier en plein air ou non. Mais on n’en est pas là. On assiste graduellement à un déplacement du centre de gravité de la CLASSE vers la rue… sauf que celle-ci n’est pas organisée. Il est plutôt inquiétant que l’assemblée générale hebdomadaire de la CLASSE n’ait pas eu quorum cette fin de semaine. Quelques associations étudiantes centrales à la CLASSE ont décidé de cesser leurs assemblées générales hebdomadaires. Se conjuguent ici la fin ou l’interruption des sessions d’hiver jusqu’à la mi-août, l’essoufflement et le besoin de gagner son pain — la très grande majorité étudiante travaille l’été — et, last but not least, la peur des amendes très salées qui pourraient viser les associations et leurs directions. D’ailleurs le porte-parole de la fédération la plus modérée a parlé de compromis même s’il s’est quelque peu rétracté par la suite.
Le rejet populaire dans la rue de la loi matraque oblige le gouvernement à proposer des négociations qui s’ouvriront vraisemblablement très bientôt. Cependant, la pression médiatique et la dialectique très médiatisée répression policière versus casseurs, heureusement à la baisse depuis quelques jours, contribue toujours à profondément diviser l’opinion publique. Les sondages révèlent que sur le fond la revendication du gel des frais de scolarité est toujours majoritairement rejetée — le « faire sa part » néolibéral et l’image d’études universitaires pour la jeunesse dorée chez la population âgée et celle peu instruite sont bien ancrés — même si la gestion du conflit par le gouvernement, particulièrement son recours à loi matraque, l’est aussi. L’opinion publique tend à favoriser une médiation et la solution péquiste d’un gel indexé (Radio-Canada, Sondage CROP/Radio-Canada : la loi spéciale n’est pas la solution, 25/05/12). S’y résigner serait clairement une cuisante défaite gouvernementale mais pas non plus une victoire de la gauche étudiante et politique qui verrait s’éloigner la perspective de la gratuité scolaire. Le gouvernement Libéral n’en est certainement pas là et il faudrait une montée de la mobilisation pour l’y contraindre surtout s’il perçoit que la peur des amendes et des longues procédures judiciaires fait son effet.
La grève étudiante, ce que confirment les sondages, marginalise la question nationale au profit de la question sociale, plus précisément sa dimension de classe et dans une moindre mesure générationnelle, à un tel point que la tournée des États généraux sur la souveraineté du Québec en passe inaperçue. On se souvient que ces États généraux organisés par le Conseil de la souveraineté du Québec découlent de la crise du PQ laquelle a occupé le devant de la scène médiatique durant le printemps et l’été 2011. Pourtant l’oppression nationale a beaucoup à voir avec l’intensité de la grève étudiante. Ce n’est pas pour rien que la communauté étudiante anglophone, pourtant très majoritairement montréalaise, y participe très peu. Ce n’est pas pour rien que plus un gouvernement québécois est fédéraliste, et plus il est anti-Québec à Ottawa, plus il est corrompu, anti-démocratique, répressif… et néolibéral, et donc moins il est légitime aux yeux du peuple québécois, plus il est légitime de lui désobéir.
N’est-ce pas là suggérer un horizon stratégique indépendantiste ? Pourtant ni les nationalistes du Conseil de la souveraineté, lié au PQ, ne lie leur démarche participative à la grève étudiante, sinon anecdotiquement, ni la gauche étudiante, dont bon nombre de militants de Québec solidaire, ne fait la jonction entre le sens antilibéral de la grève étudiante, largement admis mais peu explicité en termes revendicatifs, et la lutte pour l’indépendance. C’est que tant pour le PQ que pour Québec solidaire, la lutte pour l’indépendance se réduit à une pure démarche institutionnelle où la rue n’a aucun rôle sauf d’appoint, que ce soit le référendum aux Calendes grecques du premier ou l’Assemblée constituante du premier mandat pour le second dont le résultat doit être confirmé par un référendum qui n’a pas à avoir lieu durant ce premier mandat. Le ratatinement constitutionnel de la question nationale, y incluant sa dimension linguistique étant donné le rôle néfaste de la Cour suprême contre la loi emblématique 101, crée un découplage abyssal entre la lutte pour l’indépendance et celle contre le néolibéralisme culminant dans l’expropriation des banques et consorts afin d’avoir les moyens politiques et économiques du plein emploi écologique.
Marc Bonhomme, 27 mai 2012
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