Édition du 17 décembre 2024

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Québec

La douche froide de Gaétan Barrette

En affirmant que les personnes qui habitent les CHSLD n’ont pas besoin de plus d’un bain ou une douche par semaine, le ministre de la Santé du Québec montre l’état réel des soins aux plus démunis dans cette province.

Si le sujet est récemment venu dans les médias, c’est qu’un homme pris dans un fauteuil roulant depuis 10 ans, François Marcotte, a lancé à la mi-mai une campagne de sociofinancement sur GoFundMe. Il a besoin de 5200 $ par année pour avoir droit à trois douches par semaine.

Le ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, considère donc que les personnes qui habitent les Centres hospitaliers de longue durée (CHSLD) payés par l’État n’ont pas besoin de plus d’un bain ou une douche par semaine. Leur permettre d’en prendre plus coûte trop cher selon le gouvernement. Les personnes qui habitent ces résidences sont donc lavées partiellement au lit six jours par semaine. Les donnants de soins n’ont cependant pas le droit de nettoyer le dos, les jambes et les pieds. Ces parties du corps du résident ne seront nettoyées que lors du bain ou de la douche hebdomadaire.

Parce qu’ils le font si mal paraître, le ministre Barrette a naturellement rendu les journalistes responsables de la colère de la population devant cette situation. Il a aussi accusé, pendant les jours qui ont suivi la sortie médiatique de l’événement, les oppositions à l’assemblée nationale de faire du sensationnalisme avec cette problématique. Selon lui, les soins d’hygiène personnelle ne passent pas nécessairement par trois bains par semaine. Il affirme d’ailleurs s’appuyer sur des travaux d’experts dans le domaine.

La situation n’est pourtant pas nouvelle. Un des partis d’opposition, la Coalition avenir Québec a révélé en avril 2015 que dans certains CHSLD, des employés se faisaient payer au noir pour offrir des bains ou des douches supplémentaires aux résidents. Le président du conseil de protection des malades Paul G. Brunet affirme d’ailleurs à ce sujet que les soins s’étaient beaucoup détériorés au cours des dernières années. Selon lui, les chauffeurs de transport adapté se plaignent souvent de senteurs peu agréables quand ils ont affaire à cette clientèle. Le président de l’Association québécoise des retraités des secteurs publics et parapublics (AQRP), Donald Tremblay, dit de plus que les demandes des aînés sont ignorées par le gouvernement. La protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, a aussi constaté que les mesures d’hygiène diminuent dans les CHSLD, alors qu’elles devraient plutôt augmenter. Elle a constaté publiquement à ce sujet que les aînés font les frais des compressions budgétaires du gouvernement du Québec.

À l’heure actuelle, le Québec est donc une société incapable d’assurer plus d’un bain complet par semaine à ses aînés les plus vulnérables selon Gaétan Barrette. Le ministre des Finances de cette province injecte pourtant des milliards de dollars pour soutenir des entreprises et augmenter les salaires des médecins. Quand un gouvernement dit qu’il n’a pas assez d’argent pour entreprendre une action, cela veut simplement dire qu’elle ne fait pas partie de ses priorités. Qu’un homme paralysé doive solliciter les dons du public pour se laver montre l’état des soins donnés aux malades incapables de les payer. Le Québec est en proie à une déshumanisation croissante des soins.

Ce qu’oublie le ministre est que le droit de prendre une douche ou un bain est plus qu’un enjeu d’hygiène. Il est question ici de la dignité même des personnes concernées. Quiconque sait que son hygiène personnelle est déficiente et qui ne peut y remédier n’est pas qu’un embarra pour ceux qui la côtoient. Il l’est aussi pour lui-même. Il est question ici d’un enjeu de santé mentale en plus de salubrité publique. Dans une bonne partie des pays de cette planète, les gens ont été conditionnés à prendre un bain ou une douche par jour pour leur bien-être et celui des autres. Ne pas sentir la sueur ou les odeurs corporelles désagréables des gens que l’on côtoie est un minimum pour une vie en société le moindrement civilisée au 21e siècle.

La population ne se laisse d’ailleurs pas duper par les propos du ministre. Un sondage fait par une entreprise réputée du Québec pour le compte d’une chaîne de télévision révèle que 92 % des Québécois jugent qu’un bain ou une douche par semaine en CHSLD n’est pas suffisant. Des cris d’effrois se sont fait entendre de tous les endroits de la province. En Gaspésie, à l’autre bout du Québec, une jeune femme de 20 ans, Billie-Lou Roy, qui travaille à Carleton-sur-Mer, a mis en ligne sur le site Internet www.change.org la pétition « Une douche pour tous » afin de dénoncer cette situation.

Autre preuve de ce rejet par la population des dires du ministre, la campagne de sociofinancement du pauvre homme a largement dépassé ses objectifs avec plus de 30 000 $ récoltés en l’espace de dix jours. Plus de 500 personnes ont dit en y contribuant financièrement qu’ils jugeaient que cette situation n’était pas acceptable. La question à laquelle le ministre de la Santé doit réponde est de savoir si, selon lui, il est normal au Québec en 2016 qu’un citoyen demande la charité pour obtenir plus d’un bain par semaine dans un établissement de soins payés par l’état.

Michel Gourd

Michel Gourd

Résident de L’Ascension de Matapédia.

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