Édition du 19 novembre 2024

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États-Unis

La dénonciation convenue

Les médias nous apprenaient que le cinéaste américain Sean Penn se prépare à réaliser un documentaire (dont on ignore encore la durée et l’optique) sur l’affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien assassiné de façon sadique dans le consulat de son propre pays à Istanbul, en Turquie.

Cette histoire a déjà fait couler beaucoup d’encre. Que Sean Penn désire y ajouter un documentaire pour dénoncer la mort affreuse d’un ressortissant saoudien très critique à l’endroit du gouvernement dont fait partie Mohammed Ben Salmane, le prince héritier est légitime et nécessaire, surtout que le meurtre s’est produit dans le consulat saoudien et que de hauts responsables de l’Arabie saoudite paraisssent compromis dans ce règlement de compte odieux.

Toutefois là où ça cloche, c’est qu’on risque fort d’assister à une énième dénonciation américaine d’une culture politique arabe soi-disant portée sur la répression et l’intolérance, sans oublier le fanatisme religieux. Un ingrédient essentiel va sans doute y briller par son absence ; celle du sens de la relativité des valeurs politiques dans le temps et l’espace, donc le sens de l’histoire. Il s’agira probablement d’un documentaire conformiste avec la condamnation attendue du « régime barbare » qui règne à Riyad (la capitale du royaume saoudien). Penn va bien entendu réprouver la complicité de la Maison Blanche avec Riyad, un des plus proches alliés arabes des États-Unis et l’assistance économique autant que financière dont le gouvernement américain gratifie l’Arabie saoudite... à la seule condition que celle-ci n’épaule pas les Palestiniens. À cette occasion comme à bien d’autres, ceux-ci seront encore les grands ignorés.

À ma connaissance, aucun documentaire américain n’a jamais été réalisé sur les multiples abus israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ni sur les violences militaires dont l’État hébreu s’est rendu coupable à l’encontre des réfugiés palestiniens des camps du Liban, de la Syrie et à Gaza.

Pourtant rien ne ressemble autant au cadavre découpé de Jamal Khashoggi que le corps broyé d’un enfant palestinien tué par un bombardement aérien israélien.

En fait, Hollywood est complètement muet sur le sort des Palestiniens et Palestiniennes. Aucun film de fiction pro-palestinien n’y a jamais été produit alors que les films dénonçant sans complexe « le terrorisme arabe » (lire : palestinien) ne manquent pas dans La Mecque du cinéma américain.

Tant que les Palestiniens et Palestiniennes n’apparaîtront pas enfin comme des personnages positifs dans le cinéma hollywoodien, ses dénonciations à l’égard de la « violence arabe » manqueront de crédibilité.

On pourrait comparer dans une certaine mesure l’image des Palestiniens et Palestiniennes auprès de la classe politique et cinématograhique américaine à celle dont les Amérindiens et Amérindiennes ont longtemps été l’objet dans ce pays.

Pendant des décennies, les premiers habitants du continent ont été décrits dans les romans populaires, le cinéma et la télévision comme des barbares hystériques emplumés, peinturlurés attaquant des caravanes de pacifiques pionniers, lesquels devaient par conséquent se défendre héroïquement contre ces « sous-hommes » agressifs. Aujourd’hui, des films et des émissions de télé de ce genre seraient impensables, après une très longue période de dénigrement.

On peut prévoir une évolution semblable dans le cas des Palestiniens et Palestiniennes : peu à peu, une image plus pacifiante et plus juste de leur histoire, de leur culture et de leurs luttes va sans doute apparaître sur les écrans américains (et occidentaux), au gré des fluctuations de la situation poliitque et diplomatique... et des pressions de leurs partisans aux États-Unis mêmes.

À quand un Sean Penn pro-palestinien qui oserait enfin remettre les pendules à l’heure sur ce sujet brûlant, malgré les réticences prévisibles des bonzes d’Hollywood ?

Jean-François Delisle

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