Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

En marge du Conseil national de Québec Solidaire : Faire parti

Comme le secrétaire général Gaétan Châteauneuf l’a souligné dès l’ouverture des travaux, le 14ième conseil national de QS était surtout un « moment de célébration ». Comment faire autrement devant les résultats spectaculaires du 1er octobre dernier ? La progression du vote, le triplement des élus et élues, la percée hors de Montréal, constituent ensemble un vrai bond quantitatif et qualitatif, comme le rapporte le bilan du Comité électoral national, présenté au Conseil national par le président sortant de cet important comité, le brillant Ludvic Moquin-Beaudry. Si on ajoute à cela l’importante proportion des jeunes de 18-35 ans qui ont opté pour QS, notamment autour de la question centrale de l’urgence climatique, c’est prometteur. Ce bilan endossé par les quelques 200 participant-es au Conseil national, a fait dire à Moquin-Beaudry que « désormais, QS a le goût de la victoire ».

Générations

Le chemin parcouru depuis 2006 est impressionnant. À l’époque, un mariage de raison avait été réalisé entre les éléments les plus perspicaces de l’ancienne gauche (comme mon ami malheureusement décédé François Cyr) et quelques personnalités des mouvements sociaux dont les infatigables Françoise David et François Saillant. La génération des années 1970-80 était encore pleine d’énergie et riche d’une longue tradition de luttes sociales, consciente également qu’elle n’avait pas pu construire un véritable pôle politique de gauche. Cette « autocritique » arrivait à point nommé pour le dialogue avec la « génération de 2000 » qui avait réussi à sortir des mouvements de leur morosité, comme lors de la Marche mondiale des femmes et le Sommet des peuples des Amériques. Amir Khadir et plus tard Manon Massé étaient bien représentatifs de ce nouveau groupe militant décomplexé. Par la suite, tout a encore basculé en 2012, lorsque des dizaines de milliers de jeunes ont senti que leur heure était venue. C’est ainsi que l’arrivée en force des Gabriel Nadeau-Dubois (GND), des Ludvic Moquin-Beaudry, des Simon Pepin-Tremblay a fait ce qu’est devenu QS aujourd’hui, un grand point de rassemblement.

Changement de cours

Le Québec militant prend ainsi sa place sur le terrain politique. Dans son allocution inaugurale, GND a conclu que QS était sorti de la marginalité, n’était définitivement plus le « parti des causes perdues » et avait même gagné, dans une large mesure, la « bataille des idées ». Par la suite, les 10 élu-es encore éblouis de leur victoire ont expliqué comment ils constituaient à l’assemblée nationale la « véritable opposition ». Avec le PLQ et le PQ encore sonnés de leur sévère défaite, et un gouvernement caquiste incohérent, il y a effectivement un bel espace à occuper pour « briser la distance entre le peuple et les castes politiques traditionnelles », dixit GND, qui a ajouté que le 1er octobre, plus qu’un accident de parcours, était un « déplacement des plaques tectoniques ».

L’histoire est longue

Des intervenant-es ont mis en garde le Conseil national contre une vision exagérément triomphaliste, considérant, notamment, l’attractivité d’un « jeune-vieux » parti comme la CAQ auprès d’une majorité de l’électorat, de même que le haut taux d’abstention. Sans minimiser l’effort de l’équipe centrale de QS et de plusieurs milliers de militants et de militantes dans les 125 circonscriptions, il y a eu un alignement des astres qui résultaient d’autres facteurs, dont l’aplatissement du PQ, qui est aujourd’hui, après avoir marqué l’histoire du Québec, à la porte de l’unité de soins palliatifs. Plusieurs ont d’ailleurs souligné que la tentation d’une « alliance » entre QS et le PQ, qu’avait manifestée une partie de la direction du parti dans l’année qui s’achève, aurait été une grave erreur. En réalité, QS se cherche une orientation qu’on pourrait appeler « stratégique ». Le programme (qui a pris 10 ans avant de prendre forme) est à la fois une base intéressante reflétant la convergence entre générations et secteurs militants, est un peu un fardeau qui reste obscur pour la majorité des membres, encore plus pour la population. Il y a quelques mois, avant le déclenchement officiel des élections, la direction de QS n’avait pas vu la centralité de la question environnementale (elle ne faisait pas partie des 4-5 grandes priorités du plan de campagne). Sous l’influence d’un rapport plus ou moins secret de l’IREQ, on semblait vouloir aller vers un consensus « mou », de peur de passer pour des « écologistes radicaux ». Cependant, la mobilisation déterminée d’un écologisme de plus en plus militant a fait pencher la balance. Certainement si on parle de déplacement des plaques tectoniques, notamment au niveau des jeunes, c’est là que cela s’est passé. Un peu à la dernière heure, la direction de QS a rectifié le tir. Une grande partie de l’appel de Manon lors de ses spectaculaires prestations aux débats des chefs, a marqué le pas.

Un « vrai » parti et quelques maux de tête

Franchement, QS a été plus qu’admirable dans ses pratiques de débats démocratiques jusqu’à présent, avec des congrès et des commissions très récurrents et déterminés. Bien sûr avec 3 parlementaires, l’« aile parlementaire » ne prenait pas trop de place. Mais maintenant, aux 10 élu-es va en plus s’ajouter une grande équipe (avec le budget de $1,8 million alloué à QS en tant que parti reconnu). Il est probable que le centre de gravité se déplace davantage vers l’Assemblée nationale. Comme pour tous les partis progressistes, cela sera un vrai défi. Avec une telle puissance « de feu », l’équipe parlementaire va prendre une énorme place. Néanmoins, elle devra se conformer à un terrain politiquement contraint, qui s’appelle l’Assemblée nationale et le système des partis, pensé au départ par le régime colonial britannique et depuis par les parlements bourgeois, dans le but de mettre à l’écart le peuple. Les élu-es, au-delà des clivages de partis, ont fini par constituer une caste, entourée, protégée, jusqu`à un certain point insularisée par les « cadres et compétents » (adjoints de toutes sortes), dont le travail est de servir, voire de défendre leurs patrons, les élus, plus que QS dans son ensemble.

Les buts et les moyens

Le dilemme est que cet appareil que QS va bientôt mettre en place, aura tendance (je ne dis pas que c’est inévitable) à fonctionner sur ses propres bases. Au pire, il devient un « parti dans le parti » et alors, il est possible que l’objectif (la transformation) est soit sur une tablette pour être remplacé par l’élection, coûte que coûte. Or QS n’a pas été mis en place pour « gagner les élections » : ce n’est pas le but, c’est un moyen. Or pour entreprendre la grande transformation, il faut également penser aux autres moyens, comme la mobilisation, l’éducation populaire. En réalité, QS appartient à quelque chose qui est plus grand que lui et que nous pouvons appeler pour simplifier le « mouvement populaire ». Sans ce mouvement, on n’ira nulle part. Certes, on dira, avec raison, que notre parti est loin, très loin même, d’être sclérosé et de ne pas entendre la voix du peuple. Mais attention, le PQ n’était pas l’affaire d’une clique au départ. Le NPD, pendant ses bonnes années, était en phase avec le mouvement populaire. Ailleurs, la gauche a relancé des véritables élans d’émancipation, comme le Parti des travailleurs (PT) au Brésil. On dira qu’on n’est pas pareils ici, mais il faut réfléchir. Dès l’élection de Lula en 2002, les mécanismes de démocratie interne ont été atrophiés. On disait que le PT devait gouverner, que les élu-es avaient des comptes à rendre à leurs électeurs (et non aux militant-es du parti, etc.). Parallèlement, des mouvements populaires ont été « décapités », leurs militants absorbés par l’appareil. De fil en aiguille, un grand mouvement populaire a perdu le cap pour aboutir à la grande défaite actuelle.

Bouger maintenant pour anticiper

Autre question, soyons réalistes, QS est encore très loin du « pouvoir ». Je mets le mot « pouvoir » entre guillemets, car je ne pense pas qu’un gouvernement provincial (c’est la réalité pour le moment) détient le « pouvoir » réel, qui va rester aux mains du véritable État (fédéral) et qui, plus encore, est balisé par les circuits divers de la bourgeoisie canadienne et de l’impérialisme américain. Ce n’est pas pour dénigrer l’importance de la lutte qu’il faut mener pour changer ce gouvernement québécois. Mais il faut le faire, sans illusion. C’est ce que nous a appris Gramsci : le combat est une « guerre de position », lente, parsemée d’embuches, qui ne sera pas terminé le jour d’une victoire électorale. Comme cela, on s’évitera de grandes déceptions, sans oublier que la force réelle, c’est celle du peuple organisé, dont les élu-es sont la voix sur la scène parlementaire. Entretemps, QS doit investir dans le travail extra-parlementaire au-delà des déclarations de principes. Los du Conseil national, Simon Pepin-Tremblay a d’ailleurs dit que QS devait se « coller » aux mobilisations en cours, en tant que partie prenante d’une grande convergence. Pour cela, il faudra des moyens, donc des ressources, consacrées à la mobilisation et à l’éducation populaire, distinctes, mais protégées, de celles pour soutenir l’aile parlementaire.

Éviter les « faux-vrais » débats

Devenir parti, c’est s’insérer sur la scène politique telle qu’elle existe, avec ses contraintes. Le système et l’appendice médiatique qui va avec, est fait pour tromper, susciter des discussions sans issue, éviter l’essentiel. Et c’est ainsi qu’il faut placer le débat actuel sur l’immigration et les signes religieux. GND l’a répété dans son allocution inaugurale au CN, cette « crise » est fabriquée de toutes pièces. Les immigrant-es ne sont pas une menace pour notre société. La pratique de l’islam ne comporte aucun signe de « débordement », pas plus que d’autres pratiques religieuses. Les signes ostentatoires se manifestent par une petite minorité de toutes les populations, sans avoir d’influence sur l’ensemble de population. Alors où est le vrai problème ? Il y en a un. Le capitalisme sous sa forme néolibérale discrimine, infériorise, surexploite des populations, dans sa logique de l’accumulation. On a besoin de cheap labor pour cueillir les brocolis de St-Hyacinthe. Ou de travailleuses domestiques qui vont d’occuper de nos enfants. Les immigrants-es sont les victimes de cela : compétences non reconnues, pratiques discriminatoires « informelles », contrats contraignants, etc. Pour imposer là, les dominants doivent convaincre la population que les migrant-es ne « méritent » pas les mêmes avantages que les autres. On crée un « eux » et « nous », qui construit la discrimination contre laquelle, sans hésitation ni nuance, il faut se battre.

La guerre yes sir

Deuxième considération, le capitalisme globalisé, États-Unis en tête, se militarise. La prochaine guerre mondiale est déjà commencée, dans cet arc-des-crises qui traverse une grande partie de l’Afrique et de l’Asie. Pour la justifier, il faut enraciner l’idée que ce sont les populations concernées, majoritairement arabo-musulmanes, qui sont la menace, et non les velléités impérialistes de puissances. C’est la souche de l’islamophobie, ce nouveau nom du racisme. Alors là aussi, il faut résister, aussi fort que nos ancêtres l’ont fait contre la haine des Juifs, qui était en fin de compte la haine des travailleurs et des partis de gauche, alimentée par la droite et l’extrême-droite, bien capables, à l’époque comme aujourd’hui, de se parer dans le drapeau d’un nationalisme frileux. Dans le moment qui s’en vient, cela sera une des cartes maitresses de la CAQ. Comment lutter ? On ne peut agir si on ne revient pas, au-delà des « signes religieux » aux questions systémiques. Par ailleurs, c’est un vaste combat mondial, nous ne sommes pas seuls. L’internationalisme et l’altermondialisme (des mots que je n’ai pas entendus souvent au Conseil national) doivent être au premier plan, et non un vague point à l’ordre du jour (généralement à la fin).

Un beau défi

Je suis fier de voir QS pris en mains par les nouvelles générations. La gauche, dans le passé et même encore maintenant, n’a pas toujours reconnu ce changement nécessaire. Certes, les « jeunes de cœur » (dont l’auteur de ces lignes) ont encore bien des choses à dire et à faire (il y avait encore beaucoup de têtes blanches au Conseil national). Des camarades des générations antérieures continuent de jouer un rôle essentiel dans l’avancée des projets. Je pense notamment à André Frappier, dont le mandat n’a pas été renouvelé comme responsable des communications, et qui a encore à partager les leçons apprises des innombrables batailles menées par le peuple, les avancées et aussi les reculs, les belles transformations et les « angles morts ». À l’époque où nous étions au premier plan, il y avait beaucoup d’arrogance, de je-sais-tout-isme, voir un sentiment que nous écrivions littéralement sur une page blanche. Avec ce rêve insensé d’une « victoire imminente », nous avons brisé un élan. Avec plus de modestie, plus de capacité d’écoute, plus de compréhension des processus complexes qui nous confrontent, nous aurions pu faire mieux. Aujourd’hui, c’est rassurant de constater que les QS de ce monde essaient d’aller plus loin.

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