Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

La bataille contre le pétrolier Shell est engagée à Seattle

La compagnie pétrolière Shell persiste à vouloir aller forer le pétrole de l’Arctique. Piétinant ses promesses sur le climat, Barack Obama lui a donné le feu vert. Mais la mobilisation monte, et ce week-end, des kayaks vont envahir le port de Seattle pour s’opposer à l’amarrage de la plate-forme pétrolière.

Tiré de Reporterre. Photos Greenpeace USA.

Des centaines de « kayaktivistes » viennent à Seattle, dans l’Etat de Washington au nord-ouest des Etats-Unis, ce week-end du 16 au 18 mai, pour bloquer Polar Pionneer, l’énorme plate-forme de Shell qui est arrivée en vue du port, celle-là même sur laquelle six activistes de Greenpeace avaient déjà installé un camp, en avril dernier, alors qu’elle faisait route vers la ville.

Seattle devrait servir de base à Shell pour ses nouveaux forages en Arctique. La société prévoit de forer jusqu’à six puits offshore dans la mer des Tchouktches, qui s’étend au nord du détroit de Béring entre l’Alaska et de la Russie.

Pourtant, Ed Murray, le maire de Seattle, avait déclaré le 4 mai, que les immenses plates-formes et les navires logistiques de Shell qui doivent s’y amarrer pour assurer la maintenance des forages, n’entrent pas dans le cadre du permis actuel, et le conseil municipal de Seattle a voté à l’unanimité une résolution exhortant le Port à reconsidérer son bail avec Shell. Le conseil d’administration du Port de Seattle, bien qu’il demande à la ville de reconsidérer sa position, a néanmoins ordonné à Shell de retarder l’arrivée de ses plates-formes et exigé un examen juridique des plans de forage.

Mais Shell reste impassible devant les protestations et les questions réglementaires et fait comme si de rien n’était… risquant ainsi que la ville lui inflige des amendes.

Méprisant le risque climatique, Obama a donné le feu vert

En juillet 2012, le Discoverer-Noble, une plateforme de forage de Shell dont l’ancre s’était détachée, avait failli s’échouer sur les côtes de la ville d’Unalaska, avant d’être finalement remorquée. Une inspection des garde-côtes avait détecté des défaillances de la propulsion du navire et des systèmes de sécurité.

Ensuite, une autre plate-forme de forage, le Kulluk, s’était échouée fin décembre sur une plage d’une île inhabitée d’Alaska après que l’amarre des deux remorqueurs qui devaient l’emmener à Seattle pour des opérations de maintenance s’était rompue, dans une tempête.

La région a déjà vécu l’une des plus grosses marées noires de l’histoire en 1989, lors de naufrage du pétrolier américain Exxon-Valdez, déversant quelque 40 millions de litres de brut dans la mer et polluant 1 300 kilomètres de côtes.

« Si Shell exploite le pétrole de l’Arctique, il y 75 % de probabilités qu’il y ait un accident et 100 % pour qu’il y ait des conséquences néfastes sur le climat » : c’est le message adressé par les activistes à Obama, publiée fin avril sur une grande page de pub dans USA Today, un des grands journaux américains.

Mais le jeudi 14 mai 2015, le président Obama, méprisant le risque climatique, a défendu sa décision d’autoriser les forages de Shell dans l’Arctique, oubliant sans doute aussi la déclaration de son secrétaire d’État aux affaires intérieures de l’époque, Ken Salazar, qui avait exprimé son « trouble » devant cette « série d’incidents » et ordonné une enquête de soixante jours sur la politique de forage de Shell, en plus d’une enquête des garde-côtes américains sur les accidents. Deux de ses anciens conseillers, Carol Browner et John Podesta, avaient aussi appelé à l’arrêt définitif des forages dans l’océan Arctique.

Le Bureau américain de la gestion de l’énergie océanique (BOEM) a déclaré lundi 11 mai dernier, que l’autorisation était subordonnée au respect par Shell d’une nouvelle série de contraintes concernant la sécurité des forage et le respect des lois fédérales protégeant les mammifères marins et les espèces en voie de disparition.

Obama a affirmé que Shell « a été obligée de revoir sa copie et de repenser son projet » avant que le gouvernement n’accepte, et que ces forages ne sont qu’une « transition pendant laquelle la production américaine de pétrole et de gaz naturel continuera. »

En 2008, un rapport de l’US Geological Survey a relancé les enchères, estimant qu’il y aurait dans l’Arctique 13 % des réserves mondiales de pétrole non encore découvertes (environ quinze milliards de barils) et 30 % de celles de gaz. Les permis d’exploration offshore se sont multipliés, y compris dans des zones difficiles. La compagnie norvégienne Statoil exploite déjà le gisement gazier Snøhvit, dans la mer de Barents. Exxon Mobil (en mer de Kara), ENI et Statoil se sont alliés au Russe Rosneft. Le Groenland propose sa zone côtière ouest, après celle de l’Est. Shell a déjà dépensé six milliards de dollars pour exploiter les nouvelles réserves de pétrole et de gaz, en mer des Tchouktches, dans l’un des environnements maritimes les plus dangereux du monde.

Toutes les sociétés de pétrole ont un œil, ou un pied déjà, dans l’Arctique. Et Obama avait probablement à l’esprit le montant de leurs contributions aux membres du Congrès (327 millions de dollars) et à sa propre campagne (beaucoup moins qu’à Romney tout de même), même si Shell est une société anglo-néerlandaise, car interdire à Shell de forer serait un fâcheux précédent.

Un des derniers paradis écologiques

Les mers arctiques de l’Alaska sont un sanctuaire non seulement pour des dizaines de milliers de baleines, mais aussi pour des centaines de milliers de morses et de phoques, des millions d’oiseaux, des milliers d’ours polaires, et une centaine d’espèces, d’innombrables poissons, sans parler de toute la vie sous-marine invisible, phytoplancton, étoiles de mer, holothuries, concombres de mer, oursins et clypéastres. L’océan Arctique est l’un des derniers paradis écologiques marins qui subsiste sur terre. Mais ça, Obama l’a probablement oublié aussi.

Le contrat de Shell avec le port lui permet de forer dans la mer des Tchouktches jusqu’en 2020. En plus, elle aura encore besoin d’autres autorisations d’organismes provinciaux et fédéraux pour forer dans l’Arctique et pour évacuer les eaux usées. Les activistes, de leur côté, comptent bien la tenir à l’œil : « Plus Shell est surveillée, mieux on verra qu’ils sont susceptibles de ne pas répondre aux exigences inscrites dans le plan d’exploration, ou dans les permis nécessaires pour travailler dans l’Arctique », estime Travis Nichols, de Greenpeace USA.

C’est pourquoi, la société, prévoyant « de retards nombreux et inattendus » a d’ores et déjà demandé au gouvernement fédéral d’allonger son permis d’exploration de plusieurs années.

Elisabeth Schneiter

Journaliste à Reporterre (France).

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